CONJONCTURE. Invité à un échange sur l'inflation, la trésorerie des entreprises et les délais de paiement, le ministre de l'Économie a de nouveau appelé l'ensemble des secteurs d'activité à faire preuve de solidarité économique. Bercy et Matignon seraient par ailleurs en train de travailler sur plusieurs options pour mieux lutter contre les retards de paiement.

"L'économie française résiste bien, résiste mieux que la plupart des économies de la zone euro." Invité à un échange organisé par le Cabinet Arc sur l'inflation, la trésorerie des entreprises et les délais de paiement, Bruno Le Maire a pu rebondir sur les chiffres du dernier baromètre publié, avec l'institut Ifop, par ce spécialiste de la gestion du poste client et du recouvrement de créances.

 

 

Réalisée au mois de septembre auprès de 523 entreprises de plus de 50 salariés, l'enquête s'intéresse à la situation des sociétés françaises dans un contexte de flambée des prix et de crise énergétique, tout en abordant les problématiques du financement des trésoreries et des conséquences des retards de paiement.

 

Le baromètre met en lumière plusieurs chiffres-clés, que le président du Cabinet Arc, Denis Le Bossé, avait déjà explicités auprès de Batiactu : 61% des chefs d'entreprises affirment miser sur le maintien de leur activité, bien qu'ils s'inquiètent dans le même temps d'un ralentissement de l'économie. Quasiment un patron sur deux prévoit d'effacer les répercussions des différentes crises sur leur activité sous un à deux ans, mais 1 entreprise sur 10 dit manquer de visibilité.

 

En outre, la fin du "quoi qu'il en coûte" laisse penser à 56% des dirigeants interrogés que les dépôts de bilan de leurs clients vont prochainement augmenter, car plus de 40% estiment que ces derniers ne seront pas en mesure d'honorer le remboursement de leurs créances, du PGE (prêt garanti par l'État) aux échéances Urssaf en passant par les factures. "Le 'quoi qu'il en coûte' est fini et je ne le restaurerai pas", a tranché Bruno Le Maire après la présentation de ces chiffres. "Il a été mis en place pour faire face à l'effondrement du PIB (Produit intérieur brut) le plus important depuis 1929 ; il fallait sauver notre tissu économique", a-t-il rappelé.

 

Une notation "délais de paiement" dans les tuyaux

 

Et si les retards de paiement se sont réduits de 15 à 12 mois, 80% des entreprises redoutent malgré tout qu'ils deviennent "une variable d'ajustement". C'est pourquoi 73% d'entre elles se disent favorables à la création d'une notation "délais de paiement", et que la moitié des PME sollicitées déclarent refuser de répondre aux appels d'offres émis par le secteur public, à cause de délais trop longs voire d'impayés. "Je suis favorable à la création d'une notation 'délais de paiement' ; je trouve que c'est une excellente idée", a réagi Bruno Le Maire. "Nous allons travailler avec nos services à cette création pour rééquilibrer la situation entre les TPE-PME et les grands groupes."

 

En effet, les plus grandes entreprises sont régulièrement épinglées pour leurs mauvaises pratiques en la matière, avec des délais de paiement qui pénalisent l'activité des plus petites. "Il faut coopérer, avec plus de solidarité économique entre les filières françaises ; je trouve que les rapports restent encore trop brutaux entre les donneurs d'ordres, les grands clients et le tissu de TPE-PME", a regretté le ministre.

 

Mais pour l'heure, la priorité des pouvoirs publics semble clairement être la lutte contre la hausse des prix. "Il faut se débarrasser de l'inflation au plus vite, qui va tourner autour de 5% en 2022, et que j'aimerai ramener à 4% en 2023 puis à 2% en 2024", a confirmé le locataire de Bercy, admettant que cette situation conduisait à faire remonter les taux d'intérêt. Malgré tout, la prudence reste de mise car rien n''st gagné. "Il suffit que la situation s'aggrave en Ukraine, qu'il y ait une crise en Chine pour que tous ces chiffres volent en éclats", a-t-il prévenu.

 

"L'inflation structurelle est le prix de l'indépendance stratégique"

 

Pour limiter la casse, Bercy met en avant "des choix politiques", à savoir "la régionalisation des chaînes de valeur et la réindustrialisation". Des décisions qui doivent assurer à la France une certaine souveraineté en la matière. Mais le gigantesque chantier de la transition écologique et énergétique impliquant des investissements colossaux, il faudra bien payer à un moment ou à un autre.

 

"L'inflation structurelle est le prix de l'indépendance stratégique. Si nous voulons des produits décarbonés, ces produits seront structurellement plus chers", a mis en garde Bruno Le Maire. Toujours pour protéger les entreprises des conséquences d'un tel retournement de situation, "il faut garantir la stabilité fiscale" selon le ministre, qui établit ainsi le lien entre impôts, investissements, emploi et activité. Autrement dit, l'objectif est de rassurer les professionnels en leur assurant qu'il n'y aura pas de hausse d'impôts dans l'immédiat.

 

 

Ce qui ne veut pas dire pour autant ne pas prendre le train de la transition écologique : "La meilleure façon de se protéger est de continuer à investir pour innover et décarboner son entreprise ; je ne saurai trop vous conseiller de réaliser des diagnostics de performance énergétique", a lancé Bruno Le Maire.

 

Augmenter les salaires

 

Un appel qui intervient dans un contexte où l'exécutif demande à tous - particuliers, collectivités, entreprises, État - de moins et mieux consommer l'énergie afin de garantir l'approvisionnement pour cet hiver, et au-delà de réussir la transition écologique. Sur ce point, le Gouvernement insiste sur le rôle joué par le parc nucléaire tricolore, malgré les réacteurs arrêtés : "Cela fait plusieurs décennies que le message subliminal était 'le nucléaire, c'est fini', et suite au discours de Belfort du président de la République, on s'aperçoit qu'il n'y a pas de prospérité économique sans nucléaire".

 

Enfin, le locataire de Bercy a confirmé que la lutte contre l'inflation passe aussi par la question du pouvoir d'achat des salariés, et donc de leur rémunération. "Nous avons un problème de partage de la valeur. Une entreprise est faite de ses dirigeants, de ses actionnaires et de ses salariés, qui doivent y trouver leur compte. Toutes les entreprises qui le peuvent, qui en ont les moyens, qui ont les marges suffisantes, doivent augmenter leurs salaires."

 

Et d'appeler, encore une fois, toutes les entreprises à utiliser les dispositifs d'intéressement et de participation, dont les modalités de mise en œuvre ont été considérablement simplifiées depuis les lois dites Macron et Pacte (Croissance et transformation des entreprises) de 2015 et 2019. "Il n'y a plus de raison de ne pas faire d'intéressement et de participation", a martelé Bruno Le Maire.

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