ANALYSE. Le rapport de l'Observatoire des délais de paiement indique dans son édition 2021 que le phénomène a perdu en intensité dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. La situation est cependant encore loin d'être optimale, et les très petites entreprises sont toujours les plus exposées au manque de solidarité des autres acteurs de la filière.

Les délais de paiement vont en s'améliorant, mais ils ont encore une marge de progrès. Dans son état des lieux de l'exercice 2021 publié en avril dernier, le groupe Altares estimait déjà que le secteur du bâtiment et des travaux publics avait redressé la barre. Un constat nuancé quelques mois après par la dernière édition de l'Observatoire des TPE (très petites entreprises, de 0 à 9 salariés), publié par le spécialiste en moyens de paiement American Express en partenariat avec l'institut de sondage BVA.

 

 

En cette fin juin, c'est au tour du ministère de l'Économie d'en arriver aux mêmes conclusions. Bercy vient en effet de se voir remettre le rapport de l'Observatoire des délais de paiement, lequel confirme que le phénomène tend à se "normaliser" après avoir connu un pic dû à la crise Covid. Ceci dit, les retards de paiement n'ont toujours pas retrouvé leur niveau d'avant la pandémie.

 

De plus, le contexte géopolitique, économique et énergétique actuel n'aide en rien : "Les organisations professionnelles attestent d'une relative détente des retards de paiement en 2021 mais également de délais de paiement qui restent élevés du fait des problèmes d'approvisionnement et des hausses de prix des matériaux et des matières premières", précise le ministère.

 

D'après les chiffres d'Altares, les entreprises de tous les secteurs d'activité étaient confrontées fin 2021 à 12,4 jours de retards de paiement en moyenne, soit un jour de plus qu'en 2019. Selon la Banque de France cette fois, les délais de paiement observés en 2020 se sont stabilisés autour de 43 jours de chiffres d'affaires pour les clients, et 49,4 jours d'achats pour les fournisseurs. "Pour autant, la crise sanitaire et ses conséquences économiques n'ont pas été neutres : la baisse des délais amorcée les années précédentes a été interrompue", constate Bercy.

 

La reprise d'activité est passée en priorité

 

S'agissant du BTP, les statistiques de BTP Banque indiquent "un écart structurel dans le bâtiment, d'un peu moins de 15 jours, entre le poste des délais de paiement des clients et celui des fournisseurs". La différence en question avait stagné entre 2016 et 2019 avant de repartir à la hausse en 2020, ce qui pourrait s'expliquer par le fait que "compte tenu d'une trésorerie très importante alimentée par des PGE (prêts garantis par l'État), et dans un contexte d'organisation compliquée des chantiers, un nombre important d'entreprises se soient pleinement mobilisées sur l'activité lors de la reprise, laissant un peu courir les créances de leurs clients".

 

Les données de la Banque de France démontrent quant à elles que les délais fournisseurs ont légèrement reculé de 1,2 jour dans le secteur de la construction en 2020, pendant que les délais clients augmentaient de 0,7 jour. "En tendance, depuis 2012, les entreprises de construction ont d'ailleurs consenti de larges efforts pour diminuer leurs délais de paiement fournisseurs, se rapprochant de ceux relevés pour l'ensemble de l'économie, alors que leurs délais clients restaient globalement stables et bien supérieurs, d'un peu moins de 20 jours, à ceux observés tous secteurs confondus", peut-on lire dans le rapport de l'observatoire.

 

"Cibler" davantage les "mauvais payeurs"

 

D'après les enquêtes d'opinion de l'Insee (Institut de la statistique et des études économiques), les chefs d'entreprises du bâtiment ont même considéré que les délais de paiement clients avaient baissé en 2021 et ce, toutes tailles d'entreprises et tous types de clientèles confondus. Des niveaux d'opinions qui n'avaient pas été atteints depuis longtemps (2019 pour les entreprises de plus de 10 salariés et 2007 pour les artisans), signe d'une relative confiance "dans un contexte de trésoreries déjà fortement mobilisées par l'envolée des prix des matériaux, observée depuis début 2021 et qui se poursuivrait au moins jusqu'à l'été 2022".

 

Une autre étude réalisée par la Banque de France pour le compte de la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) relève néanmoins que les délais de règlement des fournisseurs ont été en moyenne de 48 jours d'achats TTC pour les petites entreprises du bâtiment en 2020, quand les délais de règlement des clients étaient en moyenne de 64 jours de chiffre d'affaires TTC.

 

Les plus petites structures seraient donc encore largement exposées au phénomène alors qu'elles-mêmes font preuve de réactivité, ce qui les amène logiquement à réclamer plus de fermeté envers les entreprises accusant des retards. La Capeb demande a fortiori à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) de mener des contrôles plus "ciblés" envers les "mauvais payeurs".

 

 

Enfin, la filière des travaux publics a affiché une nouvelle augmentation de ses délais de paiement et de ses délais clients, tous donneurs d'ordre confondus et qui intègrent les délais cachés, à 90,5 jours en 2020, contre 86,4 jours en 2019. En moyenne, les délais fournisseurs moyens se sont élevés à 80,8 jours de production en 2020 contre 77,5 jours en 2019. "Le sujet de préoccupation de la FNTP (Fédération nationale des travaux publics) demeure les délais effectifs de règlement des marchés publics", note le rapport.

 

Les grandes entreprises pointées du doigt

 

D'une manière générale, le Covid n'aurait fait qu'aggraver "les anomalies structurelles" que les observateurs ont depuis longtemps mis en évidence, et plus particulièrement l'attitude des grandes entreprises, jugée "très préoccupante" : depuis 2019, leur délai moyen de paiement fournisseur est en constante augmentation, et seulement 41% d'entre elles paient en temps et en heure.

 

Un chiffre à comparer aux 75% de PME (petites et moyennes entreprises) qui honorent leurs factures dans les temps. Si ces comportements cessaient, les bénéfices engrangés donneraient le vertige : "À titre indicatif, en l'absence de retards, les PME récupéreraient 12 milliards d'euros de trésorerie et les ETI (entreprises de taille intermédiaire) 4 milliards d'euros, dont 9 milliards d'euros dus par les grandes entreprises et 7 milliards d'euros par les autres agents économiques (secteur public, étranger...)", souligne le ministère.

 

À la tête de l'Observatoire des délais de paiement, Jeanne-Marie Prost juge "essentiel que les grandes entreprises corrigent ces dysfonctionnements qui portent préjudice à la solidité de notre tissu économique". Régulièrement, les organisations professionnelles du BTP réclament d'ailleurs plus de solidarité entre les différentes tailles d'acteurs, surtout dans la conjoncture incertaine que l'on connaît actuellement.

 

La DGCCRF assure de son côté continuer à maintenir la pression. L'année dernière, quasiment 1.300 établissements ont été contrôlés par ses soins, et le taux d'anomalie s'est élevée à 32%, en légère hausse en comparaison à 2020. "Les procédures de sanctions administratives ont représenté un total de 40,7 millions d'euros d'amendes environ. Le constat qui ressort de ces contrôles est que les entreprises sanctionnées le sont le plus souvent au titre de manquements à l'égard des plafonds applicables aux délais de paiement et de défaillances en matière d'organisation comptable", complète Bercy.

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