SOLIDARITÉ DE FILIÈRE. Afin que la filière de la construction franchisse le cap de la crise inflationniste actuelle, plusieurs grands acteurs viennent de s'engager, aux côtés de l'Etat, à respecter plusieurs "bonnes pratiques contractuelles et commerciales". Détails.
Aider la filière de la construction à supporter les effets des pénuries de matériaux, de la hausse de leurs coûts ainsi que de celle des prix de l'énergie : c'est l'objectif d'une déclaration commune de solidarité de filière signée, ce 11 juillet 2022 aux côtés de l'État, par 11 organisations patronales (1) du bâtiment et des travaux publics. Cette initiative se veut le prolongement concret de la mise en place, mi-2021, d'un comité de crise réuni autour des services de la Médiation des entreprises. Celle-ci vient de publier, pour l'occasion, une première série de bonnes pratiques que les acteurs signataires reprennent donc à leur compte (dont la liste détaillée est consultable en cliquant ici).
à lire aussi
Promouvoir aussi le texte auprès des acheteurs publics
"C'est une signature importante d'une filière tout aussi importante", s'est félicitée Olivia Grégoire, fraîchement nommée ministre déléguée aux petites et moyennes entreprises (PME) et à l'artisanat. L'enjeu de ce texte est, d'après elle, de "mettre à mal ce cycle infernal que le Médiateur des entreprises connaît bien" en période d'inflation, à savoir les hausses de prix se répercutant sur toute la chaîne de production et d'approvisionnement, ce qui finit bien souvent par plomber la trésorerie des TPE-PME tout en ralentissant du même coup l'activité des grands groupes.
Les réunions qui se sont succédées depuis plus d'un an ont donc abouti à cette déclaration d'intention, dont le but est de lister les bonnes pratiques et de les diffuser au plus grand nombre. Olivia Grégoire a malgré tout reconnu un angle mort : l'absence de représentants des acheteurs publics. Pour y remédier, la ministre assure qu'il y aura bien "une promotion de la déclaration auprès des acheteurs publics".
Dans le cas où la charte ne serait pas respectée par un acteur du secteur, une sorte de rappel à l'ordre lui sera notifié, en renvoyant à l'engagement pris ce jour par les signataires. L'idée étant de faire passer le message auprès de l'acteur que son comportement ne s'inscrit pas dans une démarche de solidarité, a fortiori dans un contexte économique délicat pour beaucoup d'entreprises. "Croyez-moi, rien que cela peut avoir un effet", assure Pierre Pelouzet, le Médiateur des entreprises.
Une première étape...
La Médiation des entreprises "accompagnera la mise en œuvre de cette déclaration", peut-on lire dans un communiqué de presse diffusé lundi 11 juillet 2022 par le ministère de l'Économie. "En 2021, 18% des médiations ont concerné le BTP, contre 13% en 2020. Actuellement, ce secteur représente près de 20% des sollicitations et demandes de médiation."
"C'est une fierté car c'est la première fois, je crois, que les représentants de l'amont à l'aval d'une filière ont accepté de travailler ensemble", renchérit Pierre Pelouzet. Selon lui, la charte fait passer un message : "Face à la flambée des prix, on ne peut pas faire comme avant. Quand tout va bien, on peut passer la hausse à son voisin, mais quand ça coince, on entre dans le rapport de force, ce qui fait naître des tensions dans la chaîne."
Parmi les points forts du document, le listage des bonnes pratiques à adopter et des mauvaises à éviter, mais également le "gros travail" effectué sur les index et indices de prix "qui ne reflétaient pas forcément la réalité actuelle", ajoute le Médiateur des entreprises. "Le comité de crise a permis cet accord de filière en identifiant les acteurs qui ne jouaient pas forcément le jeu et on peut dire que cela a bien marché ; le simple fait d'évoquer le comité a apparemment suffi à changer les comportements !", se réjouit le Médiateur des entreprises.
à lire aussi
Avant de nuancer : "Ce n'est qu'une première liste, nous allons continuer à promouvoir ces bonnes pratiques. C'est un texte d'équilibre et évolutif. Le travail continue."
... avant les Assises du BTP en septembre
Les futures Assises du bâtiment et des travaux publics doivent permettre de "déboucher sur un net renforcement de la solidarité de filière au service de nos clients et de l'emploi en France, avec un accompagnement de l'État", demande Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), dans un communiqué de presse diffusé ce même jour.
Il est toutefois à noter que l'unanimité n'a pas été atteinte autour de cette charte d'engagement. La Confédération de l'artisanat et des petites entreprises de bâtiment (Capeb) s'est notamment abstenue de parapher le document, tout en exprimant sa solidarité. La raison : le texte n'irait pas assez loin sur le soutien aux TPE-PME. L'organisation regrette surtout l'absence d'un "éventuel délai de prévenance pour avertir en amont les entreprises des futures hausses de prix", comme elle l'indique dans un communiqué de presse diffusé ce jour. "On ne peut que se satisfaire du travail qui a été fait depuis un an", a reconnu Jean-Christophe Repon, son président, lors d'une conférence de presse qui s'est tenue à Bercy. Mais il souligne aussi que le dispositif loupe une partie de son intention vis-à-vis des artisans, TPE-PME. "Nous trouvons la démarche frileuse. C'est pourquoi nous sommes présents, solidaires mais non signataires."
"Le texte est une déclaration de bonnes intentions, un rappel du droit positif, sans aucune contrainte"
La Fédération nationale des travaux publics (FNTP), si elle a signé la charte qui permet de mettre en avant des attitudes solidaires, a estimé que le texte ne prenait pas assez en compte l'idée de pérennisation de l'activité des entreprises, au-delà des seules problématiques d'inflation. "Le texte est une déclaration de bonnes intentions, un rappel du droit positif, sans aucune contrainte", juge le directeur général de la fédération, Julien Guez. "Notre sujet est la lutte contre l'inflation mais aussi la poursuite de l'activité. Et j'insiste davantage sur le soutien à l'activité que sur la lutte contre l'inflation, car sinon nous risquons d'avoir l'inflation ET la récession."
Également présente à la table des négociations, la présidente de la CNATP (Chambre nationale de l'artisanat des travaux publics et paysagistes) Françoise Desprez a estimé que l'attention ne pouvait pas non plus se focaliser que sur les marchés publics : "Pour pérenniser nos entreprises et nos salariés, nous aimerions aussi des mesures sur les marchés privés", a-t-elle réagi.
Soutenir les TPE-PME
Cette signature symbolise, précise le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, le lancement des Assises du BTP, très attendues par la filière. "Je rencontrerai, en septembre prochain, les acteurs du secteur pour annoncer des premières mesures en matière d'équilibre économique des opérations, de simplification et de transition écologique", assure-t-il. Les pouvoirs publics espèrent que cette première déclaration d'engagement assainira les relations entre les différents acteurs, en soutenant notamment les TPE et PME.
Il faut "objectiver" les facteurs de hausse (Emmanuelle Cosse, Union sociale pour l'habitat)
L'Union sociale pour l'habitat (USH) a signé la charte d'engagement, déplorant par la voix de sa présidente Emmanuelle Cosse une hausse "spectaculaire" des coûts de construction. "Notre attention doit maintenant porter sur l'identification et l'objectivation des facteurs de cette hausse", peut-on lire dans un communiqué de presse. "C'est un sujet de forte préoccupation pour le Mouvement Hlm qui n'acceptera pas de faire des locataires actuels ou des futurs locataires les grands perdants de ce retour de l'inflation des coûts de production du logement."
Pendant que le Médiateur des entreprises poursuivra sa mission de conciliation et de pilotage du comité de crise, le Gouvernement veut donc déjà envoyer un "signal très fort" à la filière construction pour l'inciter à dialoguer. Et de préparer le coup d'après : les Assises du BTP, qui devraient se tenir à la rentrée. "Il faut que ces Assises soient définitivement un moment de mouvement", affirme Olivia Grégoire. "Nous voulons que ce document soit le début de quelque chose, peut-être un conseil national de la construction où l'on se retrouverait régulièrement", renchérit Olivier Salleron.
On l'aura compris, tous les acteurs, qu'ils soient signataires ou pas de cette charte de bonne conduite, misent beaucoup sur ces fameuses Assises du BTP. Bercy semble l'avoir compris : "Dès la rentrée, dans le cadre des Assises, les acteurs pourront aller plus loin tout en poursuivant sur les enjeux, par exemple de transition énergétique. Les Assises permettront aux acteurs de l'écosystème de voir quelles mesures pourraient être portées en projet de loi de Finances", a conclu la ministre.
(1) L'Association française des industries des produits de construction (AIMCC), l'Alliance des minerais, minéraux et métaux (A3M), la Confédération des grossistes de France (CGF), la Chambre nationale de l'artisanat des travaux publics et paysagistes (CNATP), France bois industries entreprises (FBIE), la Fédération française du bâtiment (FFB), la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), la Fédération des distributeurs de matériaux de construction (FDMC), la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (Fieec), l'Organisation des coopératives d'achat des artisans du bâtiment (ORCAB) et l'Union sociale pour l'habitat (USH).
- un traitement équitable dans la relation client-fournisseur (éviter, par exemple, les achats "spéculatifs" ou les "augmentations de prix inopinées et brutales dans leur ampleur, sans délai de prévenance raisonnable, remettant en cause l'économie des marchés déjà signés ou en cours de conclusion") ;
- des recommandations autour de la répercussion des augmentations de prix dans les marchés de travaux (un outil pratique d'utilisation des index BT et TP y est annexé) ;
- l'aménagement des conditions d'exécution des marchés ;
- la prolongation ou la suspension des délais d'exécution des marchés ;
- les conditions financières des marchés et les aides à la trésorerie des entreprises de travaux (par exemple, versement d'avances et d'acomptes) ;
- le recours à la médiation.