ÉROSION CÔTIÈRE. L'immeuble construit dans les années 1960, frappé de péril, sera démoli face à l'avancée de l'océan. Le phénomène sera massif d'ici 2050 et concerne de nombreuses collectivités, aujourd'hui peu outillées.
La démolition du Signal, un immeuble des années 1960 devenu un symbole de l'érosion côtière en France, a démarré, début février, sur le littoral atlantique, où des dizaines de milliers d'autres logements sont menacés d'ici la fin du siècle. "Au travers de ce qui passe aujourd'hui", on voit "ce que la montée des eaux et l'érosion du trait de côte vont projeter dans plein d'autres endroits du littoral français", a déclaré, le 3 février, le ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, qui s'est rendu sur place pour le lancement de la démolition.
D'ici 2100, 20% du littoral et "jusqu'à 50.000 habitations" sont concernées par le phénomène, a-t-il ajouté, tandis que les mâchoires d'une pelle hydraulique commençaient à croquer l'immeuble construit en 1967 à 200 mètres de l'océan, et désormais à flanc d'une dune à moins de 20 mètres des flots.
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Un phénomène ancien, fortement accéléré par le changement climatique
Phénomène naturel à l'œuvre depuis 18.000 ans sur le littoral atlantique, le recul du trait de côte se caractérise par un déplacement massif de sédiments sous l'effet des vagues, des vents et des marées. Selon les scientifiques de l'Observatoire de la côte de Nouvelle-Aquitaine, le littoral sableux du golfe de Gascogne pourrait ainsi reculer de 50 mètres, et les côtes rocheuses du Pays basque de 27 mètres, d'ici 2050.
Le changement climatique, qui devrait engendrer ces 30 prochaines années une montée des eaux similaire à celle mesurée sur tout le siècle dernier, menace également d'accentuer le repli de 20 mètres supplémentaires par endroits, indique Nicolas Bernon, ingénieur en risques côtiers à l'Observatoire.
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A l'origine, un vaste projet "Grande Motte"
L'immeuble a été l'unique bâtiment, achevé en 1967, d'un vaste projet "Grande Motte" (du nom de la station balnéaire méditerranéenne) de plus d'un millier d'appartements, avec un boulevard 2x3 voies en bord de plage, à une époque "où il fallait créer des villes nouvelles", raconte Jean-José Guichet, ex-président du syndicat des copropriétaires.
Une "erreur humaine" que les autorités "n'assument pas", estime une ancienne copropriétaire, amère et en colère, désignant de ses mains le front de mer et ses villas "inondées dans les années 1930", et la zone du Signal "où l'on a construit sans jamais prévenir les acheteurs du risque".
Un dédommagement exceptionnel inclus dans une loi dédiée
Fin 2020, après six ans de feuilleton juridico-administratif, les copropriétaires ont obtenu une indemnisation à hauteur de 70% de la valeur originelle de leur logement. Un accord entériné par une loi dédiée, qui "ne fera pas jurisprudence" pour éviter d'élargir le fonds Barnier - dédié uniquement aux risques naturels majeurs - aux milliers de propriétaires menacés par l'érosion dunaire, relèvent des spécialistes du dossier.
Car dans la région Nouvelle-Aquitaine, selon le Groupement d'intérêt public (GIP) littoral, principal acteur local de la gestion de l'érosion, jusqu'à 6.700 logements et commerces pourraient être avalés par l'océan d'ici la moitié du siècle, si rien n'est fait. Pour Nicolas Castay, directeur de cette structure financée par l'État, la Région et les collectivités du littoral, "l'affaire du Signal a été un révélateur, un drame pour avancer. Les collectivités se sont équipées et outillées avec des spécialistes" pour lutter.
Les collectivités en première ligne
Aidées jusqu'en 2027 par un fonds européen de 38 millions d'euros et, pour plusieurs d'entre elles, par des soutiens de l'État, les collectivités de la région ont mis en place des stratégies "mixtes", allant de la protection "en dur", via des enrochements et des digues, jusqu'au déplacement futur des bâtiments menacés.
Selon l'ingénieur Nicolas Bernon, "à long terme, il faudra relocaliser" car les ouvrages en dur, qui "protègent à court terme", intensifient le recul à leurs extrémités et devront être renouvelés régulièrement. Les maires, rassemblés au sein de l'Association nationale des élus du littoral, ont lancé vendredi "une alerte" en réclamant à l'État "des moyens, un fonds dédié et une écoute" pour financer ces projets.
Le Fonds vert à la rescousse… pour un an
Le gouvernement qui a mis en place, via le Fonds vert, des co-financements au cas par cas pour l'année 2023 uniquement, mène actuellement une "concertation" avec les élus, a rappelé le ministre Christophe Béchu. "Il faut des centaines de millions d'euros pour accompagner ce type de choses. Qu'on prenne quelques mois pour se demander quel est le meilleur mécanisme pour collecter cette somme, ça me semble plutôt rationnel".
Dans la région, la station balnéaire de Lacanau (Gironde), pionnière pour relocaliser plus d'un millier de logements, a repoussé ce projet à l'après 2050, faute de moyens juridiques et financiers. Elle privilégie désormais la construction d'une digue fixant temporairement le front de mer.
Du haut de ses quatre étages, Le Signal et ses 78 logements sont en danger. Construit en 1967 à 200 mètres du rivage, l'immeuble a vu la distance qui le sépare des flots être grignotée, au fil des ans, par une érosion côtière accentuée. Début 2014, après une série de grandes marées et de fortes houles, il n'est plus qu'à une vingtaine de mètres de la dune, transformée en falaise sableuse, et menace de s'effondrer. Les autorités ordonnent son évacuation.
Contraints de laisser leur logement, les copropriétaires se voient proposer par l'Etat une enveloppe de 1,5 million d'euros, soit 20.000 euros par logement. Insuffisant selon eux : ils veulent bénéficier du fonds d'indemnisation Barnier, réservé aux risques naturels majeurs mais pas à l'érosion dunaire, pour couvrir le prix d'achat de leur appartement. Cette revendication est portée devant le tribunal administratif de Bordeaux, qui exempte les collectivités locales et l'État de toute obligation.
Craignant une "catastrophe écologique" liée à un éventuel affaissement de l'immeuble, l'ancien préfet de Nouvelle-Aquitaine Didier Lallement décide de faire désamianter le bâtiment afin d'empêcher la libération de "12.000 tonnes de gravats contaminés". Un chantier à 870.000 euros, pris en charge exceptionnellement par l'État et achevé en juillet 2019.
Après la cour administrative d'appel de Bordeaux puis le Conseil constitutionnel en avril 2018, le Conseil d'État dit à son tour "non" à l'indemnisation des propriétaires, qui commencent à perdre espoir. Soixante-quinze avaient lancé la bataille, dont beaucoup de retraités, certains décédés depuis.
Quatre ans après l'évacuation du Signal, l'Assemblée nationale vote un amendement au budget 2019 qui permet de débloquer sept millions d'euros en faveur des propriétaires. Le texte prévoit une indemnisation à hauteur de 70% de la valeur originelle estimée du logement. Deux ans plus tard, un protocole "exceptionnel" est signé entre l'État, la mairie de Soulac et la communauté de communes Médoc Atlantique, qui devient propriétaire de l'immeuble en vue de sa destruction.
Le chantier de démolition de l'immeuble à l'abandon, qui doit durer trois semaines, est lancé le 3 février. "Un événement triste qui a beaucoup coûté d'un point de vue affectif et patrimonial et, peut-être, porté atteinte à l'image de Soulac à un moment", admet le directeur de Médoc Atlantique, Frédéric Boudeau. Qui voit néanmoins dans cette destruction une manière "de repartir". Et de tirer des leçons.