Alors que le débat sur la pénibilité au travail vient d'être validé par le Conseil constitutionnel, les partenaires sociaux vont désormais être mis très vite à contribution. Objectif : préparer les décrets dont l'objet sera d'asseoir concrètement les prévisions plus générales de la loi instaurant la création du "Compte personnel de prévention de la pénibilité." La Capeb et la FFB montent au créneau.

Pénibilité. C'est un mot auquel les professionnels du BTP devront
s'habituer. Le feu vert a été donné, jeudi 16 janvier, par le Conseil constitutionnel pour la mise en route du "Compte personnel de prévention de la pénibilité", prévue au 1er janvier 2015.

 

 

Les partenaires sociaux ont ainsi reconnu les 10 facteurs de pénibilité que les lois successives 2010 et 2013 ont repris à leur compte. En revanche, ce qui est moins défini, ce sont les seuils de pénibilité donnant accès aux compensations - nombres de nuit par an, définition d'une charge lourde, par exemple- soulignent les experts et les partenaires sociaux.

 

Ainsi, à partir de quand considère-t-on qu'on manipule une charge lourde ? "Tout ça sera fixé par décret", nous explique à son tour le médiateur Michel de Virville, chargé de rencontrer les "instances compétentes", dont au premier chef la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) qui chapeaute les Carsat implantées dans les régions, les syndicats de salariés, les organisations patronales, des DRH ou encore des médecins du travail pour recueillir leurs avis.

 

"Des négociations serrées"
"Les négociations promettent d'être serrées", reconnaît-il d'autant que le calendrier reste "contraignant." "Pour l'instant, il y a des appréhensions complémentaires de la part des partenaires sociaux, souligne-t-il. Est-ce qu'elles résisteront à nos premières propositions ? Nous le saurons très vite. La concertation démarre dès aujourd'hui."

 

Pour les fédérations du secteur de la construction, l'inquiétude est de mise. Didier Ridoret, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), s'emporte en particulier sur le volet du financement.

 

"Notre marge de manœuvre demeure désormais limité", reconnaît Didier Ridoret. Et de poursuivre : "Toutefois, nous mènerons une action branche par branche pour pouvoir modifier les décrets. La FFB attend d'ailleurs avec impatience les auditions entreprises par le médiateur Michel de Virville. Nous comptons d'ailleurs sur cet homme de consensus et de raison pour trouver une solution dans le secteur du BTP. Ce compte pénibilité n'est pas applicable en l'état actuel !"

 

"Une explosion de la main d'œuvre étrangère est à prévoir."
Les dépenses générées par son utilisation seront en effet prises en charge par un fonds financé par deux cotisations patronales. La première cotisation sera égale "à un pourcentage fixé par décret dans la limite de 0,2% des rémunérations des salariés entrant dans le champ d'application du nouveau dispositif." Par ailleurs, une cotisation égale à un pourcentage, fixée par décret, comprise entre 0,3 et 0,8% des rémunérations perçues par les salariés "exposés à la pénibilité au cours de chaque période"* sera également appliquée, nous explique-t-il. Autre point avancé par la FFB : La fédération compte bien que la cotisation de 0,11 % versée à l'Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP) soit prise en compte en déduction de la double cotisation prévue par le texte.

 

"Si on va tout droit dans ce sens, les employeurs, contraints par de nombreuses charges, auront recours à l'apprentissage, à l'insertion, et cela va entraîner une explosion de la main d'œuvre étrangère !" , rapporte-t-il.

 

La FFB critique aussi un "dispositif contraignant au quotidien." "C'est effectivement une aberration", estime Didier Ridoret. "Comment dans le bâtiment, peut-on mesurer le temps consacré par chaque salarié à chacun des facteurs comme les vibrations mécaniques, les manutentions manuelles de charges lourdes, les bruits, les températures extrêmes…. Sans compter que l'on ne créé pas la même fiche individuelle d'exposition à la pénibilité dans le bâtiment au même titre qu'une usine : on est confronté à différentes expositions de pénibilité sur un même chantier."

 

"Vers des litiges nombreux aux Prud'hommes ?"
La mise en œuvre du dispositif obligatoire depuis le 1er février 2012 reposant sur une utilisation quotidienne des fiches individuelles d'exposition à la pénibilité suscite le mécontentement également à la Capeb. "Nous allons directement vers une double peine, nous explique Patrick Liébus, président de la Capeb. En stigmatisant la pénibilité dans notre secteur, cette mesure va décourager la main d'œuvre chez les jeunes artisans ainsi que le patron de TPE ou PME chargé de créer des fiches individuelles. On devra se transformer en DRH, où va-ton ? Par ailleurs, il est évident que les litiges aux Prud'hommes seront nombreux."

 

La mesure de la pénibilité étant inévitablement en partie subjective - appréciation de la pénibilité d'une posture ou de la répétitivité d'une tâche par exemple-, il faudra, d'après Patrick Liébus, y ajouter le temps passé à subir les contrôles de l'administration et à se défendre en justice.

 

 

"Du choc de la simplification à la complexité…"
"Au moment où le chef de l'Etat nous martèle le choc de simplification, on voit bien au travers du compte pénibilité que l'on nous y ajoute de la complexité, conclut Patrick Liébus. Nous allons à contre-sens. Et c'est le meilleur moyen de déresponsabiliser l'entrepreneur dans le bâtiment et de se retourner à embaucher des ouvriers de l'Est !" A bon entendeur...

 

*Avec un taux spécifique -compris entre 0,6 et 1,6%- au titre des salariés ayant été soumis simultanément à plusieurs facteurs de pénibilité.

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