CONJONCTURE. Vers la mi-avril, les remontées des entreprises artisanales de la deuxième région française en termes de contribution au Produit intérieur brut étaient loin d'être rassurantes. L'antenne locale de la Capeb propose une dizaine de mesures pour leur apporter une bouffée d'oxygène.

L'heure ne semble pas être aux réjouissances du côté des entreprises artisanales d'Auvergne-Rhône-Alpes. Vers la mi-avril, leurs remontées du terrain étaient pour le moins inquiétantes, traduisant un moral en berne et un manque de confiance dans l'avenir. En cause, évidemment : la conjoncture économique et le contexte géopolitique, entre difficultés d'approvisionnement, voire pénuries de matériaux, et flambée des prix. L'inflation qui avait démarré sous le Covid n'a cessé de prendre de l'ampleur depuis la reprise économique qui a fait suite aux confinements sanitaires, et la guerre russo-ukrainienne aggrave encore la situation.

 

 

Une enquête diligentée par la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) d'Auvergne-Rhône-Alpes (Aura) auprès de ses adhérents montre effectivement que 31% d'entre eux redoutent même de ne pouvoir faire face plus d'un an. Toute la chaîne de valeur s'en retrouve perturbée : "Désormais, un certain nombre d'enseignes et d'industriels se refusent à s'engager sur les prix et les délais de livraison", indique l'antenne locale de la confédération dans un communiqué. Pour rappel, la région Auvergne compte 80.000 entreprises artisanales, faisant travailler 100.000 salariés et générant un chiffre d'affaires de 10,5 milliards d'euros.

 

Pas de mesure spécifique aux marchés des particuliers

 

Les artisans comme les entreprises sont très peu confiantes dans leur capacité de résister à terme : 18% des entreprises sans salariés et 17% des sociétés employant entre 1 et 5 salariés pensent pouvoir tenir deux ans, voire plus. Et ce, alors que le moral des artisans est bien plus secoué (56%) que celui des entreprises de plus de 20 salariés (27%).

 

Les représentants régionaux de l'artisanat déplorent le peu de place accordé au secteur du bâtiment dans le plan de résilience économique et social déployé par le Gouvernement pour limiter les répercussions du conflit en Ukraine sur les ménages et entreprises tricolores. "Même si certaines mesures vont dans le bon sens, comme appeler une nouvelle fois les acheteurs publics à faire jouer la clause de l'imprévisibilité dans les contrats et à ne pas appliquer les pénalités de retard pour un chantier du fait de difficultés d'approvisionnement liées à la guerre en Ukraine, elles sont loin d'être suffisantes", regrette la Capeb.

 

Les marchés publics ne représenteraient en effet que 17% des marchés des artisans, alors que les marchés des particuliers, qui constituent l'essentiel de leur activité, ne prévoit aucune disposition en ce sens. En revanche, la filière se félicite que Bercy ait prévu de réviser les index à compter du mois de mai. De même, l'instauration d'une aide temporaire pour les entreprises de travaux publics, l'organisation d'un comité de crise du BTP par département et la publication d'une circulaire destinée aux maîtres d'ouvrage publics et portant sur la révision des prix sont également saluées par les professionnels.

 


Les chiffres-clés du sondage de la Capeb Aura

 

D'après l'enquête d'opinion réalisée par la Capeb Aura, les principales difficultés rencontrées par les artisans de la région sont l'augmentation du prix des matériaux (95% des répondants), la hausse du prix du carburant (90%), l'augmentation des délais de livraison (71%) et les difficultés d'approvisionnement (70%).

 

Certains problèmes sont plus importants en fonction de la taille de l'entreprise : par exemple, les cyberattaques touchent 18% des entreprises de 20 salariés et plus, tandis que les vols de carburants concernent 18% des plus de 20 salariés, et les vols de matériaux sur chantiers 36% des plus de 20 salariés. L'abandon des travaux par les particuliers affecte 28% des entreprises de 1 à 5 salariés, et la modification des conditions fournisseurs 49% des sociétés ayant entre 11 à 19 salariés.

 

"Dans la liste des matériaux les plus touchés par les pénuries et augmentations de prix ressortent particulièrement l'acier et les autres métaux (aluminium, cuivre, laiton, inox) ; le bois et les produits dérivés (menuiseries, parquets, panneaux, OSB, bois de charpente, lamellé/collé, etc), sans distinction d'essence ou de localisation ; les matériaux d'isolation ; la ferraille ; les consommables (visserie, quincaillerie, silicone, joints, etc)", précise l'étude.

 

65% des entreprises constatent une perte de rentabilité des chantiers

 

 

Parmi les solutions mises en place par les artisans, on peut citer la diminution du délai de validité des devis (77% des répondants), le stockage des matériaux (63%), la négociation avec les fournisseurs et distributeurs (45%) ou encore l'allongement des délais de réalisation des chantiers (39%). Certains professionnels choisissent également de se tourner vers des producteurs locaux, de diminuer l'activité et de réduire le personnel, de mettre en place des conditions de revalorisation des devis, ou de répercuter les hausses directement sur leurs prix de vente.

 

70% des sondés disent avoir subi des variations de prix entre le devis signé et la facture, un décalage "à la source de la perte de marge rencontrée par les entreprises". Pour autant, 18% seulement des répondants affirment avoir répercuté cette hausse. Au final, 85% des entreprises constatent malgré tout une perte de marge (78% des entreprises sans salariés), et 65% une perte de rentabilité des chantiers (45% des entreprises sans salariés).

 


Solidarité entre acteurs et stabilité des prix

 

Pour autant, la Capeb de la deuxième région française sur le plan économique propose une dizaine de mesures pour apporter une bouffée d'oxygène aux artisans. Pour commencer, elle suggère que les industriels, négoces et distributeurs "participent activement" au comité de crise et "intègrent dans leurs prix le juste coût" de la décarbonation de leur activité. Les risques de hausses de prix doivent aussi être assumés par ces acteurs "dans le cadre d'une charte de solidarité".

 

Une demande visiblement entendue : huit industriels et distributeurs, réunis autour de la Capeb nationale, ont signé une déclaration commune, publiée sur les réseaux sociaux ce 20 avril. Ils s'y engagent à adopter un certain nombre de mesures de solidarité pour soutenir la dynamique du marché du bâtiment.

 

Autre mesure proposée : exiger des fournisseurs qu'ils préviennent "au moins trois mois à l'avance" les entreprises du bâtiment de toute augmentation de prix, et qu'ils garantissent leur stabilité "durant au minimum trois mois". Le remboursement d'une partie de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) est en outre demandé, vis-à-vis des carburants utilisés par les professionnels pour leurs véhicules.

 

Dans un contexte où les défaillances d'entreprises augmentent - particulièrement dans le second-oeuvre -, la Capeb souhaiterait par ailleurs que les banques et les assureurs-crédits se voient imposer de ne pas dégrader la cotation des entreprises lorsque celles-ci demandent à repousser le remboursement de leur PGE (Prêt garanti par l'État).

 

"Mécanisme de bouclier tarifaire"

 

Mesure régulièrement réclamée par la confédération, l'application d'un taux de TVA (taxe sur la valeur ajoutée) de 5,5% sur l'ensemble des travaux de rénovation fait également partie de la liste des revendications. Il est aussi demandé de "rendre enfin systématique" l'application de pénalités en cas de retard de paiement du maître d'ouvrage.

 

Enfin, la Capeb Aura recommande "un mécanisme de bouclier tarifaire du coût de l'énergie aux niveaux européen et français". Le but : assurer ainsi une production industrielle "à prix maîtrisé" et garantir la poursuite des politiques publiques de rénovation énergétique. Sur ce point, le Gouvernement avait déjà dégainé un "bouclier tarifaire" en octobre dernier, dispositif consistant à "bloquer" les tarifs réglementés du gaz et à limiter l'augmentation de ceux de l'électricité.

 

Tables rondes locales

 

"La situation est particulièrement inquiétante pour nos entreprises : c'est leur rentabilité et, à terme, la pérennité de l'artisanat qui est en jeu", résume Dominique Guiseppin, artisan peintre basé en Savoie et président de la Capeb Aura. Réclamant une "solidarité économique", les antennes départementales et régionales de la confédération affirment solliciter les préfets pour qu'ils organisent des tables rondes locales avec toutes les parties prenantes, de manière à contenir l'inflation et à éviter les comportements irresponsables. Malgré les échéances électorales à venir, députés et sénateurs seraient également dans la boucle.

 

Et les premiers résultats de ces concertations sont apparemment en train de tomber : selon l'artisanat de la région Auvergne, "l'enseigne de distribution Saint-Gobain s'est récemment engagée par écrit auprès du président national de la Capeb (Jean-Christophe Repon, NDLR) pour encadrer la hausse des prix avec des propositions concrètes, comme celle de l'autoriser seulement le premier de chaque mois".

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