ANALYSE. L'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales constatent que les dépenses liées aux niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage dépassent les ressources fiscales allouées à la formation professionnelle. Plusieurs recommandations sont formulées pour inverser la vapeur, et tenter de sauver la trésorerie de France Compétences.

C'est un rapport qui tombe à point nommé. Quelques jours après que les Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) ont lancé une "alerte rouge" sur le financement des formations en apprentissage, un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) consacré au même sujet a été publié. Un document dans lequel l'administration épingle les fameux niveaux de prise en charge (NPEC) des "coûts-contrats" (c'est-à-dire les frais pédagogiques), au centre des tensions actuelles entre les branches professionnelles, les acteurs de la formation et le Gouvernement.

 

 

Les effectifs d'apprentis ont augmenté de 160% en quatre ans

 

Le rapport commence par rappeler que la loi de 2018 "pour la liberté de choisir son avenir professionnel", qui a réformé l'organisation de l'apprentissage en libéralisant l'offre de formations et en confiant aux branches le soin de fixer les NPEC des coûts-contrats, a engendré un boom inédit des effectifs. Entre 2018 et 2022, le nombre d'apprentis est ainsi passé de 321.000 à 837.000, soit une progression de 160%, largement tirée par l'enseignement supérieur (+370% sur la même période). Avec, en filigrane, l'objectif annoncé par Emmanuel Macron d'atteindre le million en 2027.

 

Mais, en parallèle, l'enveloppe allouée aux NPEC pourrait atteindre les 10,3 milliards d'euros en 2023, et ainsi dépasser les ressources fiscales fléchées vers l'essor de la formation professionnelle. "Le développement de l'apprentissage a donc été financé par un creusement du déficit de France Compétences (-546 millions d'euros en 2022), et ce malgré les dotations financières exceptionnelles allouées par l'État à l'opérateur", explique le document. Pour rappel, France Compétences est l'autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle.

 

1.000 € de surcoût par apprenti

 

D'un côté, les branches sont censées définir les NPEC de leurs certifications tout en adaptant leur offre de formation à leurs priorités, comme le fait de répondre à un manque de main-d'oeuvre ou d'initier certains cursus à l'utilisation des nouvelles technologies. De l'autre, France Compétences constate les coûts, formule des recommandations et doit les faire converger, notamment pour garantir l'équilibre financier du système de l'apprentissage.

 


"Le mécanisme de financement des contrats d'apprentissage par les NPEC apparaît donc surdimensionné et intrinsèquement inflationniste, sans régulation ni par la norme ni par le marché"

 


Sauf que le compte n'y est pas, d'après l'IGF et l'Igas. "Dans les faits, la fixation des NPEC par les branches dans le respect des fourchettes recommandées par France Compétences a conduit à des niveaux de prix élevés. Même s'il est hétérogène, l'écart entre le NPEC et le coût moyen par apprenti s'élève en moyenne pondérée par les effectifs à environ 1.000 €", pointe l'administration.

 

"Les politiques menées par les branches ne sont pas toujours explicites et l'offre de formation paraît davantage répondre à une logique de complémentarité (nature des formations et répartition géographique) que de concurrence. Le mécanisme de financement des contrats d'apprentissage par les NPEC apparaît donc surdimensionné et intrinsèquement inflationniste, sans régulation ni par la norme ni par le marché", étrille-t-elle encore.

 

Une comptabilité à améliorer fortement

 

Les inspections ont clairement dans leur viseur les centres de formation des apprentis (CFA), à qui il est reproché "des concepts comptables qui manquent de sens", ce qui empêche d'avoir "une vision de leur modèle économique".

 

 

Deux raisons à cela : les coûts qui ne sont pas couverts par les NPEC (environ 13%), le sont par des financeurs tiers, tels que les Opco (opérateurs de compétences), les régions, l'Éducation nationale ou des groupes privés ; en outre, ces coûts sont évalués par certification et par branche, et sans aucun partage d'informations entre les acteurs de la formation, déplore le rapport. Afin d'y remédier, celui-ci suggère que les CFA communiquent à France Compétences leur comptabilité générale "détaillée" ainsi que le taux de remplissage de leurs sections.

 


"Les politiques menées par les branches ne sont pas toujours explicites et l'offre de formation paraît davantage répondre à une logique de complémentarité (...) que de concurrence"

 


Dans tous les cas, l'administration propose 580 millions d'euros d'économies, qui pourraient se concrétiser au travers de deux scénarios, dont l'objectif est le même : mettre les branches professionnelles face à leurs responsabilités et clarifier les rôles respectifs des acteurs de l'apprentissage.

 

Le premier consisterait à permettre aux branches d'ajuster les NPEC dans le respect d'un cadrage financier fixé par l'État ; le second se traduirait par un NPEC "socle" fixé par l'État sur la base de ses propres priorités (comme la localisation des CFA ou la qualité de formation), et complété par les contributions des branches, là aussi fondées sur leurs priorités à elles. "Le premier clarifie moins le rôle des acteurs et reste plus inflationniste que le second ; le second est dépendant de la capacité des branches à financer des politiques conventionnelles", résume l'administration.

 

Revoir le fonctionnement de la Cufpa

 

Quel qu'il soit, le scénario retenu pourrait s'accompagner d'autres mesures. Parmi elles, la simplification des financements complémentaires aux NPEC, la baisse des NPEC sur les certifications de l'enseignement supérieur, une modulation des aides aux employeurs en fonction du niveau de formation, ou encore un ajustement du taux de la Cufpa (Contribution unique à la formation professionnelle) selon la situation du marché de l'emploi et des difficultés de recrutement du moment. Concrètement, les entreprises auraient à verser une Cufpa plus élevée en cas de baisse du chômage.

 

Cet instrument est d'autant plus ciblé par le rapport que les deux inspections ont noté "le caractère peu rationnel de certaines dépenses fiscales au sein de la Cufpa : exemption de certains secteurs pourtant employeurs d'apprentis ou anciens apprentis, allègements faisant double emploi pour les petites entreprises, réduction de taux sur une base systématique". Pour arrêter les frais, l'IGF et l'Igas préconisent d'instaurer une incitation systématique au recrutement d'apprentis, ce qui pourrait ramener 300 millions d'euros dans les caisses, selon elles. Car si rien n'est fait, c'est la santé financière de France Compétences (et donc des deniers publics) qui s'expose à de gros risques.

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