RÉGLEMENTATION. Dans un rapport sur le travail non-déclaré, France Stratégie et le Conseil d'orientation pour l'emploi recensent les pratiques, leurs causes et les politiques de luttes qui peuvent exister. L'analyse montre aussi des liens avec le travail détaché ou le régime de micro-entrepreneur. Détails.

En ce mois de février 2019, le Conseil d'orientation pour l'emploi et France Stratégie viennent de rendre un rapport sur le travail non-déclaré. La première organisation se présente comme instance de concertation regroupant l'ensemble des acteurs du marché du travail, tandis que la seconde structure est un organisme d'études et de prospective - les deux sont rattachées au Premier ministre. Le document se penche donc sur les caractéristiques du phénomène, mais analyse également ses causes et les politiques publiques pouvant permettre de lutter contre cette pratique. En premier lieu, le Conseil définit le travail au noir comme "toute activité rémunérée de nature légale, mais non-déclarée aux pouvoirs publics", avant de souligner que sa quantification est "extrêmement difficile", en raison de la diversité des méthodes, unités de mesure et périmètres d'étude.

 

 

Malgré cela, les spécialistes sont tout de même en mesure d'avancer deux chiffres, avec toute la prudence qui s'impose : en termes de volume, le travail non-déclaré représenterait environ 5% des personnes de plus de 18 ans, soit environ 2,5 millions de personnes ; en termes de valeur (donc d'économie), le phénomène représenterait entre 2% et 3% de la masse salariale totale versée par les entreprises. Ainsi, la France afficherait sensiblement le même niveau que dans les pays d'Europe du Nord et de l'Ouest, et aurait même un niveau plus faible que dans les pays d'Europe du Sud et de l'Est. Autre enseignement : la pratique du travail au noir aurait tendance à reculer légèrement depuis 10-15 ans, bien qu'il puisse y avoir de forts écarts en fonction du contexte économique.

 

Le travail au noir représente "entre 2% et 3% de la masse salariale totale"

 

Dans son rapport, le Conseil d'orientation pour l'emploi parvient à dresser le profil sociologique des individus les plus exposés par le travail non-déclaré. Ainsi, on apprend que les travailleurs les plus concernés sont soit les plus jeunes, soit les plus âgés, et qu'il s'agit majoritairement d'hommes. Il est toutefois intéressant de noter qu'on ne dispose pas d'éléments objectifs et fiables pour affirmer que les personnes peu qualifiées et en situation de précarité sont forcément impactées par ce phénomène. En revanche, il est certain que les chômeurs, les indépendants, les salariés en CDD et en intérim sont les plus exposées. De même, les taux les plus élevés s'observent dans les secteurs du BTP, de l'agriculture, de l'hôtellerie-restauration ou des services à la personne. Les pratiques les plus usitées ont aussi été identifiées par la puissance publique : le travail au noir se traduit par des dissimulations d'activité dans 30% des cas, et par des dissimulations d'emploi salarié dans 70% des infractions. Le cas des faux statuts a tendance à progresser, à l'instar des pratiques qui se complexifient et de diversifient toujours plus. A ce sujet, le rapport note que "le développement très fort et rapide du régime du micro-entrepreneur a remis au premier plan les pratiques de fraudes au statut, même s'il ne les a pas créées".

 

Qui plus est, le Conseil dresse un parallèle entre le travail non-déclaré et le régime européen de détachement : "Alors que le nombre de travailleurs détachés augmente en France, les fraudes au détachement apparaissent dans le même temps de plus en plus sophistiquées. Les dossiers traités sont souvent significatifs, même si les montants restent faibles en comparaison du total des redressements notifiés pour travail dissimulé." Et de préciser la structuration de la pratique : "C'est notamment via des entreprises de travail temporaire que des montages juridiques avec des sociétés 'écran' sont construits, mais aussi au travers de la sous-traitance en cascade, de sociétés intermédiaires qui n'ont pas ou plus d'activité ('coquilles vides') ou encore de sociétés éphémères." Le document analyse par ailleurs les motifs incitant les entreprises à recourir au travail non-déclaré : le niveau de développement économique du pays, le niveau de redistribution dans l'économie nationale, le niveau de la fiscalité, les contrôles et les sanctions, l'environnement réglementaire et l'efficacité des institutions sont les principales causes mises en avant.

 

"Mieux connaître, mieux prévenir la non-déclaration - mieux inciter à la déclaration et mieux contrôler"

 

Et alors, que faire pour lutter contre le travail au noir ? Le Conseil préconise des politiques préventives, telles que des campagnes d'information et de sensibilisation. Mais l'enjeu réside aussi dans des politiques plus incitatives, dans l'optique de diminuer l'opportunité de recourir à cette pratique : par exemple, des mesures de baisse des prélèvements fiscaux et sociaux sur les revenus, ou de taux de TVA réduits dans des secteurs identifiés comme étant à risque. D'autres mesures, octroyant une baisse voire une suppression d'impôts sous certaines conditions, ou apportant un soutien financier à des chômeurs souhaitant créer leur propre entreprise, sont envisageables. De même, le pré-remplissage d'avis d'imposition, le recours à des vouchers (mode de paiement pour une prestation de service encadré et/ou subventionné par l'Etat pour rémunérer des heures travaillées dans le cadre d'emplois souvent saisonniers ou irréguliers) dans certaines conditions, ou encore l'aménagement de la réglementation du travail sont d'autres pistes à creuser. Enfin, des contrôles plus fréquents et mieux ciblés, couplés à une meilleure coordination des acteurs et à un alourdissement des sanctions permettraient de dissuader les fraudeurs.

 

En conclusion de son rapport, le Conseil d'orientation pour l'emploi "considère qu'il est nécessaire de renouveler notre vision et notre approche du travail non-déclaré", avant de formuler des recommandations articulées autour de 3 axes : "mieux connaître, mieux prévenir la non-déclaration - mieux inciter à la déclaration et mieux contrôler". Regrettant que les chiffres du travail au noir soient encore mal connus en France aujourd'hui, le Conseil préconise de "lancer une enquête quantitative de grande ampleur" et de "continuer à mettre en œuvre des plans de contrôle aléatoires". Pour ce qui est de la prévention, les propositions se concentrent sur l'instauration d'un "simulateur individuel permettant à chacun de mesurer les effets de la non ou de la sous-déclaration sur la constitution de ses droits sociaux" et d'une "démarche assumée de 'name and shame' en complétant régulièrement la 'liste noire' des entreprises condamnées pour recours à du travail dissimulé". Entre autres suggestions, le Conseil insiste sur le développement de conventions tripartites entre l'Etat et les partenaires sociaux pour prévenir le travail dissimulé.

 


Quelques chiffres sur le Plan national de lutte contre le travail illégal

 

La puissance publique a mis au point un Plan national de lutte contre le travail illégal (LCTI) pour la période 2016-2018, un dispositif qui prévoit notamment un renforcement des effectifs des Urssaf (Unions de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d'allocations familiales) affectés à la lutte contre la fraude au travail illégal. D'après le rapport de France Stratégie et du Conseil d'orientation pour l'emploi, cette décision aurait permis d'augmenter de manière constante les redressements effectués par les Urssaf : ainsi, ces derniers sont passés de 291 millions d'euros à 541 millions entre 2013 et 2017, soit un envol de 85%. A noter : après une hausse constante, le niveau des redressements a cependant marqué le pas en 2017 (541 M€), après avoir enregistré 555 M€ en 2016.

 

Ceci dit, l'évolution constante des redressements depuis 2013 s'explique par la hausse des contrôles effectués - le rapport en dénombre 51.539 pour la seule année 2017 - et par un meilleur ciblage de ceux-ci sur les secteurs d'activité et les entreprises "à fort enjeu" : en effet, les 100 redressements les plus élevés ont représenté à eux seuls 38% du total sur la période. Le secteur de la construction, pour sa part, englobe tout de même 30% des contrôles.

 

 

Concernant la répartition des redressements, on observe que 450,4 M€ (soit 84% du total) étaient liés à de la dissimulation d'emplois salariés en 2017. Les autres motifs sont arrivés bien loin derrière : la minoration d'heures a totalisé 31,3 M€ (5,8%) pendant que l'absence de déclaration de revenus de travailleurs indépendants (relevant ou non du RSI) s'est chiffrée à 19,2 M€ (3,6%). Un motif de redressement a toutefois connu un bond prodigieux entre 2016 et 2017 : l'absence de déclaration d'activité a enregistré +533% sur cette période.

 

Dans son rapport, le Conseil d'orientation pour l'emploi note que les contrôles pour fraude au détachement ne pesaient que 1,46% du total des contrôles en 2017, mais les redressements notifiés se sont chiffrés à 40,5 M€, soit 8% du total des LCTI. Et les pouvoirs publics de constater que, d'une manière générale, les sommes réellement recouvrées "demeurent faibles" : sur la période 2012-2017, seuls 288 M€ ont été collectés au titre de la LCTI, ce qui représente une moyenne annuelle de 48 M€, soit 11,6% des redressements notifiés pendant cette même période.

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