PODCAST. La ministre du Travail Muriel Pénicaud a présenté le mercredi 20 février l'ordonnance transposant la directive européenne concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de service. En parallèle, le jeudi 21 février, une proposition de loi visant à interdire le détachement va être discutée à l'Assemblée. Réécoutez notre chronique sur Batiradio.
Lors du Conseil des ministres de le mercredi 20 février, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a présenté l'ordonnance transposant la directive européenne du 28 juin 2018, modifiant elle-même la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de service. Souhaitant consacrer le principe "à travail égal, salaire égal", ce texte ambitionne de mieux lutter contre la fraude, en apportant une batterie de mesures complémentaires aux sanctions qui existent déjà. Dans le détail, l'ordonnance du Gouvernement renforcera les obligations de transparence sur les règles applicables en matière de détachement de salariés intérimaires, qui seront aussi mieux contrôlées. De nouveaux motifs de sanctions administratives seront par ailleurs créés en cas de non-respect des obligations prévues par l'ordonnance. Enfin, l'Inspection du travail jouira de moyens plus efficaces pour punir plus rapidement les violations à la réglementation en vigueur. Un objectif de 24.000 contrôles lui a en outre été fixé pour l'année 2019.
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En parallèle, l'exécutif compte aussi sur la création de l'Autorité européenne du travail et sur la refondation du système de déclaration et d'information en matière de prestation de service international. En 2017, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, a en effet annoncé pendant son discours sur l'état de l'Union européenne "qu'il était prévu de créer une Autorité européenne du travail qui garantirait que les règles de l'UE sur la mobilité de la main d'œuvre soient appliquées de façon juste, simple et efficace". Les missions de cette structure consisteraient plus précisément à renforcer la coopération administrative et mutualiser les dispositifs existants dans le domaine de la mobilité transfrontalière, sans oublier bien sûr la lutte contre les abus, l'organisation de contrôles conjoints aux frontières et une meilleure gestion des activités transfrontalières, en s'appuyant pour cela sur les agences existantes.
Une proposition de loi débattue en séance publique ce jeudi 21 février
Une autre actualité est à noter dans ce dossier : une proposition de loi "pour l'interdiction du régime européen de travail détaché sur le territoire national" a été déposée le 9 janvier dernier par le groupe de la France insoumise (LFI). Renvoyée en commission des affaires sociales, qui a été saisie sur le fond, le texte y a été intégralement amendé et sera débattu en première lecture le jeudi 21 février en séance publique. Son rapporteur, le député LFI Jean-Luc Mélenchon, a expliqué devant ses collègues de la commission : "La proposition de loi que nous examinons vise à interdire le travail détaché ou, pour être plus précis, l'application du régime européen actuel du travail détaché, sur le territoire français. Son objectif est, tout d'abord, de faire barrage au processus ordinaire de nivellement par le bas que permet le Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dès lors qu'il interdit, par son article 153, toute harmonisation sociale. Nous devons donc être très vigilants quant aux processus qui encouragent un tel nivellement. [...] Ce texte a également pour objectif de mettre un terme aux mauvais traitements dont font l'objet les travailleurs détachés et de tarir la source de fraude que représente ce dispositif."
A l'issue des travaux de la commission des affaires sociales, la totalité des articles de la proposition de loi a été supprimée. Le texte a été conséquemment considéré comme rejeté par la même commission. Néanmoins, il sera discuté en séance publique sur la base du texte initial ce jeudi 21 février. Voici le détail des 3 articles supprimés par les membres de la commission :
- Article Ier : "Abrogation du régime européen du travail détaché"
Cette disposition vise à abroger l'ensemble du titre du Code du travail relatif au détachement. De fait, il met un terme à la transposition de la directive européenne sus-citée et de la directive originelle de 1996. L'article Ier implique par ailleurs des modifications rédactionnelles conséquentes et fait rentrer le régime européen de travail détaché dans le champ du travail dissimulé, ce qui engendre les sanctions administratives et pénales correspondantes.
- Article 2 : "Consécration d'une clause de mieux-disant social"
Il est ici question de consacrer dans le Code du travail une clause de mieux-disant social, laquelle s'appliquerait aux salariés exerçant une activité temporaire sur le territoire national. L'idée est de garantir aux travailleurs l'application du droit du travail qui s'avèrerait le plus protecteur : soit le droit national, par principe, dans le cas où il présenterait le plus de protections ; soit le droit du pays d'établissement de l'entreprise étrangère, par exception, s'il se révèle être le plus favorable. "Cette clause enclenche ainsi, dans notre droit du travail, le processus de convergence sociale par le haut, à rebours de la course au moins-disant social aujourd'hui à l'œuvre", ajoute le rapport de la commission.
- Article 3 : "Rapport relatif à l'action de la France auprès du Conseil européen pour permettre la non-application du régime européen du détachement"
La troisième et dernière disposition ambitionne de relayer les objectifs de convergence sociale par le haut et de non-application du régime de détachement à l'échelle de l'Union européenne. Pour y parvenir, il prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les actions menées dans ce domaine auprès des partenaires européens. Sur cette base, l'obtention par la France d'une clause "d'opt-out" relatif au régime de détachement pourrait être actée. Pour rappel, une clause "d'opt-out" correspond, en droit communautaire, à une option de retrait : elle permet à certains Etats-membres ne désirant pas participer pleinement aux politiques publiques communes d'obtenir des exceptions aux dispositions juridiques de l'Union européenne.
Nouvelle définition du travailleur détaché et nouveaux cas de délits de travail dissimulé
Pour l'heure, la loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel", promulguée le 5 septembre 2018, apporte déjà des précisions et des dispositions pour lutter contre la fraude au travail détaché, comme l'explique la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) dans une note juridique à destination de ses adhérents. En premier lieu, la notion de salarié détaché a été clairement précisée à l'article L.1261-3 du Code du travail, qui indique dorénavant qu'est considéré comme salarié détaché "tout salarié d'un employeur régulièrement établi et exerçant son activité hors de France et qui, travaillant habituellement pour le compte de celui-ci hors du territoire national, exécute son travail à la demande de cet employeur pendant une durée limitée sur le territoire national dans les conditions définies aux articles L.1262-1 et L.1262-2".
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En outre, le délit de travail dissimulé s'appliquait, avant la ratification de la loi, dans le cas d'une entreprise étrangère exerçant en réalité des activités permanentes en France, ou dans le cas d'une société n'ayant pas d'existence véritable là où elle prétend être établie. Depuis sa publication au Journal Officiel, la loi Avenir professionnel envisage deux cas supplémentaires : l'entreprise étrangère qui exerce des activités relevant uniquement de la gestion interne ou administrative dans son pays d'établissement ; et l'entreprise qui exerce une activité en France de façon habituelle, stable et continue.
Tour de vis pour le montant et le paiement des amendes
Le texte législatif a aussi introduit quelques assouplissements pour les entreprises étrangères réalisant certains types de détachement, mais ces mesures doivent encore attendre la parution d'un arrêté ministériel et d'un décret pour entrer en vigueur. C'est au niveau des amendes administratives que les changements sont les plus flagrants : désormais, une infraction constatée par un inspecteur du travail peut être immédiatement sanctionnée, sans besoin de passer par l'autorité judiciaire. Dans le détail, le montant des amendes est passé de 2.000 € à 4.000 € - et de 4.000 € à 8.000 € en cas de récidive dans un délai de deux ans. Ensuite, le paiement des amendes doit être vérifié par le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage avant d'établir un contrat avec un prestataire réalisant du détachement. De plus, "de nouvelles possibilités pour suspendre un chantier en cas de fraude" devraient être "prochainement" précisées, selon un communiqué de l'Elysée.
De plus, la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi) est maintenant en mesure de suspendre la prestation de service d'une entreprise étrangère (d'une durée de 2 mois renouvelables) en se basant sur un rapport motivé d'un inspecteur ou contrôleur du travail. Dans le cas où la suspension ne serait pas respectée, une amende complémentaire s'élevant à 10.000 € (maximum) par salarié pourrait être prononcée. A noter également : l'Inspection du travail peut ordonner à une société étrangère de payer ses amendes administratives et en informer son donneur d'ordre/maître d'ouvrage ; et si l'entreprise saisit la justice pour contester l'amende, ce recours n'a plus pour effet de suspendre le versement.