ANNONCES. Face à une révolte sociale et une gronde des professionnels grandissantes, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé ce mardi 4 décembre que le Gouvernement suspendait pour une durée de 6 mois la hausse de la taxe carbone ainsi que la suppression du taux réduit de TICPE pour les entreprises du BTP. Réactions.
Une prise de position de l'exécutif était attendue, et elle est intervenue ce mardi 4 décembre. Dans un contexte où la révolte sociale des Gilets jaunes prend de l'ampleur, et où les professionnels expriment leur désarroi face à une fiscalité jugée trop lourde, le Premier ministre Edouard Philippe a pris la parole pour tenter d'apaiser les tensions. "Durant ces deux dernières semaines, j'ai beaucoup consulté. J'en tire deux conclusions : les Français qui ont enfilé un gilet jaune aiment leur pays, ils veulent que les impôts baissent et que le travail paye [...]. Fixer le cap et le tenir est une nécessité pour gouverner la France, mais aucune taxe ne mérite de mettre en danger l'unité de la nation", a déclaré en préambule le chef du Gouvernement.
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Après avoir entendu cette demande exprimée par tous mes interlocuteurs au cours des consultations de ces derniers jours, je suspends, pour une durée de 6 mois, ces mesures fiscales : pic.twitter.com/JUpDJEvKJJ
- Edouard Philippe (@EPhilippePM) 4 décembre 2018
"C'est pourquoi, dans un souci d'apaisement, nous avons pris avec le président de la République les décisions suivantes. En premier lieu, trois mesures fiscales devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2019 : la hausse de la taxe carbone, sur l'essence, le fioul et le diesel ; la convergence de la fiscalité du diesel avec celle de l'essence ; et enfin, pour les professionnels, l'alignement sur la fiscalité des particuliers de la fiscalité du gazole des entrepreneurs non-routiers, ce que l'on appelle le GNR. Je suspends, pour une durée de 6 mois, ces mesures fiscales ; elles ne s'appliqueront pas avant d'être débattues par toutes les parties prenantes." Le Premier ministre a ajouté qu'une concertation allait s'instaurer durant ces 6 prochains mois, et que "des mesures d'accompagnement justes et efficaces" devaient être trouvées, sans quoi l'exécutif en "[tirera] les conséquences".
Le débat commencera dès le 15 décembre et il se terminera pour le 1er mars. Il devra déboucher sur des traductions concrètes dans la vie quotidienne de nos compatriotes.
- Edouard Philippe (@EPhilippePM) 4 décembre 2018
"On doit régler ce problème de taxe et on doit travailler sur le CITE"
Les professionnels du BTP, qui critiquaient depuis plusieurs semaines la hausse de la taxe carbone ainsi que la suppression du taux réduit de TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) sur le GNR (Gazole non-routier), ont accueilli avec satisfaction ces annonces de Matignon. "J'avais indiqué que la Capeb se tenait prête à participer à des réunions, mais il fallait auparavant revenir sur la taxe carbone et le GNR", assure Patrick Liébus, président de la Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment, à Batiactu. "On doit régler ce problème de taxe et on doit travailler sur le CITE [Crédit d'impôt pour la transition énergétique, NDLR]. On a 6 mois pour discuter des gains de pouvoir d'achat dont a parlé le Premier ministre. Et ces gains de pouvoir d'achat de nos compatriotes permettront une relance de l'activité dans notre secteur."
Récupération de la TVA sur les carburants et système de prime écologique
Pour autant, la profession se veut aussi force de proposition et a déjà formulé plusieurs requêtes auprès du Gouvernement. "J'ai demandé la récupération de la TVA sur les carburants pour les entreprises, pas seulement pour le gazole mais aussi pour l'essence", poursuit Patrick Liébus. "J'ai également demandé que les professionnels aient les mêmes droits que les particuliers quand ils achètent un véhicule neuf, c'est-à-dire un système de prime, de bonus écologique identique." Avec le désir de concilier relance économique et transition écologique dans le secteur du BTP, les artisans se montrent toutefois attentifs à la suite des évènements : "Pour l'instant tout semble aller dans le bon sens. Je positive mais je reste prudent car il faut régler cela sur le long terme. On a été écoutés, les Gilets jaunes ont dit et fait ce qu'ils avaient à dire et faire. Leur mouvement a aidé à faire bouger les choses. Mais aujourd'hui nous avons aussi la preuve que les corps constitués peuvent être force de proposition... Quoi qu'il en soit, les trois dernières semaines ont coûté cher à la France et à nos entreprises. Il faut maintenant trouver des solutions plus pérennes."
Des professionnels prêts à se mettre autour de la table
Du côté des carriers, on salue le moratoire sur le GNR décidé par Edouard Philippe : Nicolas Vuillier, président de l'Unicem (Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction), a indiqué espérer que "désormais nos organisations professionnelles seront sollicitées par le Gouvernement avant toutes prises de décision brutale impactant durablement nos activités". Par voie de communiqué, l'organisation a ajouté se tenir prête à discuter avec l'exécutif : "Dans cette période troublée, l'Unicem répond positivement à l'invitation du Gouvernement pour échanger avec lui sur les conditions nécessaires à la mise en place de cette politique publique majeure qu'est la transition énergétique".
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La Fédération française du bâtiment (FFB) se réjouit pour sa part d'une "réponse de bon sens, de nature à ramener l'apaisement et la sérénité sur le territoire". Dans un communiqué, son président, Jacques Chanut, "salue la décision raisonnable du Gouvernement et se tient à sa disposition afin que la courte période de moratoire soit mise à profit pour trouver une voie de sortie supportable par les entreprises et le budget de l'État, au profit de la transition écologique".
L'Union des entreprises proximité (U2P) se félicite également des décisions gouvernementales, mais avertit que le travail de concertation est encore long, parlant d'une "première réponse apportée au mécontentement des Gilets jaunes et aux inquiétudes" des artisans" et PME. "C'était un préalable à l'engagement de négociations entre tous les acteurs concernés et les représentants de l'État, en vue de remettre à plat les différents prélèvements obligatoires qui pèsent à la fois sur les Français et sur les entreprises", tempère l'U2P dans un communiqué. Assurant que son organisation est prête à discuter avec l'exécutif, le président Alain Griset, a affirmé : "Ces mesures doivent mettre fin au blocage de l'économie et aux pertes déjà subies par nos entreprises qui doivent au plus vite retrouver une activité normale". A ce sujet, les professionnels demandent d'ailleurs à ce que la sécurité de leurs personnels et de leurs biens soit garantie. L'U2P va même jusqu'à demander une trêve dans le mouvement des Gilets jaunes, pour permettre au dialogue de s'instaurer entre les différentes parties.
Le soulagement est également de mise à la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), qui estime que la "décision qui vient d'être prise est le fruit d'un véritable travail de fond mené par la FNTP et les FRTP [ses fédérations régionales, NDLR] auprès, notamment, du Gouvernement et des élus". Bruno Cavagné, président de l'organisation, a considéré que "ce nécessaire geste d'apaisement est de nature à calmer la colère des entrepreneurs de travaux publics qui ne cessait d'enfler dans nos territoires". Depuis l'annonce de la suppression du GNR, la FNTP dénonçait la brutalité de la mesure, laquelle "entraînait un déséquilibre de la situation économique des entreprises de TP et une concurrence déloyale avec les entreprises de travaux agricoles ou paysagers qui interviennent fréquemment sur des marchés de terrassement ou de voirie".
Toujours dans le secteur des travaux publics, la Chambre nationale de l'artisanat des travaux publics et du paysage (CNATP) se félicite d'une "grande victoire pour toutes les petites entreprises". Face à la suppression du GNR, l'organisation notait qu'à l'heure actuelle, "aucune solution alternative n'existe tandis que d'autres secteurs sont épargnés par cette mesure. De plus, les entreprises vont devoir faire face à une explosion des vols de carburants sur leurs chantiers et dépôts." Dans ces conditions, la CNATP maintient ses propositions, à savoir la suppression définitive du GNR ; le report d'un an de l'alignement du prix du GNR avec celui du gazole blanc afin de pouvoir répercuter la hausse dans les devis ; et enfin la mise en place d'un "véritable plan d'accompagnement à la transition écologique pour les TPE artisanales, comprenant des soutiens financiers significatifs au renouvellement et à la conversion" des véhicules utilitaires et autres engins de chantiers, à la condition que ceci soit possible sur un plan technique. Françoise Despret, présidente de la CNATP, reste malgré tout sur ses gardes : "C'est une grande victoire pour nos entreprises, qui, pour beaucoup auraient été acculées à la faillite en 2019, faute de pouvoir répercuter cette hausse du coût du carburant sur leurs marchés en cours. Nous avons obtenu un sursis, pendant lequel nous poursuivrons notre mobilisation pour convaincre le Gouvernement et les parlementaires de la nécessité de mettre en œuvre une politique adaptée à la réalité de nos TPE artisanales."
Enfin, la Fédération des SCOP (Sociétés coopératives et participatives) du BTP accueille elle aussi favorablement la nouvelle, mais précise que, "si à l'issue de cette période de six mois la remise en cause de la détaxation du GNR devait être réintroduite, des mesures d'accompagnement des entreprises devront nécessairement être prévues pour donner de la visibilité aux entreprises du secteur". Le président de la fédération, Charles-Henri Montaut, "a donc décidé d'interpeller le Gouvernement afin de s'assurer que des mesures d'indexation du prix des marchés, même en cours, seront immédiatement applicables en cas de mise en œuvre de la détaxation du GNR pour les entreprises exerçant une activité pour laquelle l'utilisation du GNR représente plus de 2% des coûts de production, ce qui est le cas dans les travaux publics".