PROTECTION SOCIALE. Les sujets d'actualité ne manquent pas pour la nouvelle mandature du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants : loi en faveur de l'activité indépendante, réforme des retraites, part des micro-entrepreneurs dans le bâtiment... Son président fraîchement élu, Daniel Couillaud, revient pour Batiactu sur le rôle de son organisation au travers de tous ces dossiers.

Quelques jours après la promulgation de la loi en faveur de l'activité indépendante et à l'occasion de son élection à la tête du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), Daniel Couillaud a donné un entretien à Batiactu. Avec Valérie Copin, vice-présidente de l'organisation, ils sont revenus sur les dispositions du texte voulu par Emmanuel Macron et porté par l'ancien président de l'U2P (Union des entreprises de proximité) Alain Griset, mais également sur l'inéluctable réforme des retraites, le bilan de la SSI (Sécurité sociale des indépendants) et la part des micro-entrepreneurs dans le secteur de la construction. Interview.

 

 


Batiactu : Pouvez-vous tout d'abord nous donner votre avis sur la loi en faveur de l'activité indépendante qui vient d'être promulguée ?

 

Daniel Couillaud (D. C.) :
Dans sa mandature précédente, le CPSTI avait émis un avis favorable sur le plan indépendants en soulignant quelques points particuliers sur lesquels l'Assemblée nationale avait d'ailleurs souhaité appuyer lors de l'examen du texte. À l'heure qu'il est, nous maintenons notre position initiale. En termes de protection sociale des indépendants, la loi n'a que très peu d'effets si l'on va au fond des choses, dans le sens où la structure du plan a de multiples orientations qui nous intéressent mais qui, ramenés à la vie quotidienne des travailleurs indépendants, n'a pas d'impact substantiel. Nous avons formulé des propositions qui restent toujours d'actualité, avec une simplification des statistiques, une facilitation d'accès au service et surtout une justice sociale en termes d'assiettes de cotisations.

 

Valérie Copin (V. C.) : Un projet d'arrêté sur l'ATMP (accidents du travail - maladies professionnelles) a fait l'objet d'un avis défavorable du CPSTI. Les indépendants ne veulent pas d'augmentation de leurs cotisations mais ils veulent pouvoir travailler avec leurs propres assureurs. Je rappelle qu'un indépendant victime d'un accident du travail est soigné comme tout le monde ; le complément assurantiel résulte de son propre choix, en fonction de ses souhaits et de ses moyens. Il faut donc bien comprendre que la modification des taux de cotisations peut avoir de graves conséquences sur les volumes de cotisations.

 

Sur le plan de la protection sociale, on se bat pour garder notre site Internet dédié secu-independants.fr mais nous avons plus largement besoin d'une information massive par le biais d'échanges avec les réseaux CCI et CMA (Chambres de commerce et d'industrie et Chambres des métiers et de l'artisanat) et les experts-comptables dont le rôle est aussi de guider les chefs d'entreprises. Ces derniers ne pensent pas à la protection sociale en amont, ils ont la tête dans le guidon et cela représente pour eux un coût non-négligeable. C'est donc un poste sur lequel on est tenté de faire des économies, alors qu'il ne faudrait certainement pas faire l'impasse dessus.

 


Plusieurs organisations représentatives craignent que l'extension de la protection du patrimoine personnel de l'indépendant contenue dans la loi n'incite les banques à être beaucoup plus frileuses dans leurs octrois de prêts. Quel est votre analyse sur ce sujet ?

 

D. C. :
Cela renvoie à ce besoin d'information tout au long du parcours professionnel de l'entrepreneur qui lui permettra de choisir en parfaite connaissance de cause, de poser éventuellement des options et d'éviter de se retrouver dans une situation délicate. L'accès à l'information tout au long de la carrière est clairement capital.

 

V. C. : C'est une avancée mais cela ne servira pas à grand-chose. À un moment donné, il faudra arrêter d'exiger de l'entrepreneur une caution personnelle qu'il est de toute façon obligé d'accepter car sinon il n'obtient pas son crédit.

 


"La création d'entreprise via le régime de la micro-entreprise n'est pas une mauvaise chose en soi mais engendre des dérives dans nos métiers. En effet, il est plus rentable d'être en micro-entreprise mais le rêve de chacun est de pouvoir basculer en entreprise artisanale."
- Valérie Copin

 


De même, certains avancent que les micro-entrepreneurs seraient avantagés par la loi et pourraient constituer une forme de concurrence déloyale envers les entreprises artisanales…

 

V. C. :
Je soulignerai d'abord qu'il y a un certain nombre d'erreurs sur les créations d'entreprises. Ces démarches sont globalement complexes et on pousse souvent les indépendants à se lancer en micro-entrepreneur puis à choisir des segments d'activité fourre-tout, comme l'activité dite "nettoyage de chantiers" qui correspond en pratique au secteur du bâtiment… C'est en réalité un sujet délicat : la création d'entreprise via le régime de la micro-entreprise n'est pas une mauvaise chose en soi mais engendre des dérives dans nos métiers. En effet, il est plus rentable d'être en micro-entreprise mais le rêve de chacun est de pouvoir basculer en entreprise artisanale afin d'avoir une réelle stabilité. Et attention au distinguo entre l'activité principale et l'activité secondaire…

 

 

Concrètement, cela présente aussi un danger pour les clients, qui ne sont souvent pas formés et informés. Sur le marché, les micro-entrepreneurs ne savent pas forcément qu'ils doivent garantir leur matériel, leurs produits et leur pose ; il y a aussi une concurrence entre un devis avec TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et un devis sans TVA. Finalement, c'est surtout un problème fiscal, avec un gros manque à gagner potentiel au niveau de l'État puisque les micro-entrepreneurs ont un abattement de 20% sur la TVA. Nous devons vraiment travailler ensemble, expliquer aux clients le risque qu'ils prennent en faisant appel à un micro-entrepreneur, mais aussi insister sur l'embauche et notamment la transmission aux apprentis. La copie doit être revue au niveau fiscal pour régler ces distorsions de concurrence malsaines. C'est pour cette raison que l'on aimerait voir le régime de la micro-entreprise limité dans le temps et basculer au plus tard au bout de 4 ans dans le régime traditionnel.

 


M. Couillaud, quelles sont les priorités de votre nouveau mandat à la tête du CPSTI ?

 

D. C. :
Notre mission s'inscrit dans une dynamique transversale qui vise à s'assurer que chaque branche de la Sécurité sociale prenne bien en compte l'intérêt des travailleurs indépendants. Nous allons faire perdurer les conventions qui nous lient, les améliorer le cas échéant, pour la maladie, la vieillesse… L'autre aspect de cette mission va être de continuer à se prononcer sur les textes qu'on nous soumet et de travailler nos réponses en amont. La prochaine et probable réforme des retraites constitue un autre sujet d'importance : comment le CPSTI, via son régime complémentaire des travailleurs indépendants, s'inscrit dans une dynamique de pré-réflexion sur un tel projet de loi ? Nous devons être une force de proposition que nous comptons bien exercer.

 

Plus largement, le CPSTI s'inscrit dans une forte action sociale sur la protection des indépendants, pour l'adapter aux évolutions de la société, faire évoluer nos médiateurs régionaux, toujours être à l'écoute du Législateur en se penchant sur les PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) chaque année… C'est toute une volumétrie de travail annuelle qu'il nous faut assumer ! Avec une ambition  : nous rendre plus lisibles et continuer le travail fort bien entamé par la mandature précédente, en nous inscrivant définitivement dans le paysage, où nous sommes maintenant reconnus. Pour ce faire, il nous faudra peut-être saisir des missions nouvelles et miser sur davantage de visibilité. Si nos moyens de communications dépendent de l'Urssaf (Unions de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale), nous réfléchissons par exemple à des formats didactiques courts sur YouTube. L'idée étant d'arborer une certaine modernité pour assurer une nouvelle proximité.

 


"Notre système de retraite complémentaire est original et doit à ce titre être défendu, valorisé ; il est constitué de nos cotisations qui doivent être uniquement dévolues à nos indépendants."
- Daniel Couillaud

 


Comment comptez-vous vous positionner sur cette future réforme des retraites ?

 

D. C. :
Il y a la nécessité de proposer un régime adapté aux travailleurs indépendants qui ont de multiples spécificités. Tout projet de loi devrait en tenir compte : un indépendant n'est pas un bénéficiaire de régime salarié, sa carrière est particulière. Notre système de retraite complémentaire est original et doit à ce titre être défendu, valorisé ; il est constitué de nos cotisations qui doivent être uniquement dévolues à nos indépendants.

 

V. C. : Nos indépendants sont très fortement attachés à leur retraite complémentaire. Nous ne voudrions pas la voir intégrer dans un régime général, un aspect qui inquiète les jeunes comme les anciens. Notre régime fonctionne grâce à nos cotisations, qui nous ont par exemple permis de proposer une aide d'urgence pendant la crise du Covid, en complément des autres mesures d'aide. Nous voulons donc conserver ce régime à points et c'est pourquoi nous allons devoir entamer le travail avec le Gouvernement. J'espère que nous serons dans la boucle des négociations car nous sommes tout de même un acteur majeur de l'économie française et nous avons acquis une certaine légitimité. Sinon on saura se faire entendre !

 


Quel bilan tirez-vous du régime SSI ?

 

D. C. :
Les cotisants ont été, dans leur très grande majorité, parfaitement bien intégrés dans les différentes branches. 2021 nous a prouvé que les résolutions de problèmes étaient bien avancées. Les modulations de cotisations et les plans d'apurement de l'Urssaf fonctionnent également très bien. Aujourd'hui, on en est à aller chercher des détails de la vie quotidienne des travailleurs indépendants qui nous auraient échappés !

 

V. C. : À l'époque du RSI (Régime social des indépendants), il n'y avait pas d'unité au sein des différentes branches et nous n'avions pas la crédibilité que l'on a aujourd'hui. Nous avons réussi à tous se mettre autour de la table et tout le monde s'est mobilisé sur le sujet. Le projet politique initial a été réussi puisque l'intégration du RSI au sein de toutes les branches a été accomplie. Le Gouvernement nous interroge très souvent et nous l'en remercions, mais il faut que cela continue sur cette lancée. L'assiette reste cependant un sujet sensible mais ce travail ne pourra se réaliser qu'avec l'écoute de l'exécutif.

 


Les micro-entrepreneurs dans le BTP connaissaient déjà un certain succès avant la pandémie, et les chiffres semblent montrer que la crise a continué à inciter des indépendants à franchir le pas. Quelles tendances observez-vous à votre niveau ?

 

V. C. :
Les effectifs de cotisants ont été assez dynamiques en 2019 et 2020 en raison du rehaussement du seuil applicable à la micro-entreprise décidé en 2018, qui a créé un appel d'air pour ce statut. Les auto-entrepreneurs dits économiquement actifs - c'est-à-dire réalisant un chiffre d'affaires - progressent également mais avec des dynamiques moins fortes. En 2020, les chiffres d'affaires ont d'ailleurs baissé pour les micro-entrepreneurs dans le BTP.

 

Sur les données les plus récentes, il convient de relativiser : certes on constate sur 2021 un rebond d'activité, mais on ne retrouve pas encore les niveaux de 2019. L'activité globale reste en-deçà, les entreprises du bâtiment ont absorbé le choc sans pour autant licencier, au détriment malheureusement de l'intérim. La filière a enregistré une importante baisse des logements neufs l'année dernière, la faute à des services préfectoraux et territoriaux pas toujours à 100% de leurs capacités, d'où la nécessité d'accélérer sur la dématérialisation. Dans certaines grandes agglomérations, la couleur verte des exécutifs locaux a aussi pu donner un coup d'arrêt à la construction neuve. Le segment du tertiaire doit pour sa part faire face au phénomène accru du télétravail.

 

La santé financière des entreprises a diminué car les effectifs ont été conservés, les salaires augmentés pour les garder, parallèlement à une forte augmentation des coûts des matériaux et des énergies, et des difficultés d'approvisionnement qui font que les chantiers ne se finissent pas et risquent donc d'entraîner des pénalités de retard. En 2022, on espère un retour au niveau d'avant-crise avec une hausse d'environ 4% pour l'activité globale, de 2% pour l'emploi ; un rattrapage pour le logement avec +7% pour la construction neuve et +3% pour l'entretien-amélioration. Les aides à la rénovation représentent d'ailleurs un soutien assez fort au pouvoir d'achat de nos clients et aux carnets de commandes de nos entreprises.

 

Mais une problématique demeure sur l'emploi : nous avons besoin de gens qualifiés et nous avons du mal à recruter car les salariés préfèrent l'intérim. À ce sujet, un salarié déjà formé et qui n'obtient pas d'augmentation risque de quitter son entreprise pour aller s'installer en micro-entrepreneur ; mais de quelle qualité de formation parle-t-on à ce moment-là ? Il faut garder à l'esprit que les micro-entreprises ne vont former personne, et que les artisans du bâtiment doivent se positionner à long terme tout en veillant à la rentabilité de leurs entreprises.

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