ANALYSE. En dépit de leur rôle incontournable dans la création de richesses et d'emplois, les sociétés employant de 1 à 9 salariés ne seraient pas assez considérées par les politiques publiques et les autres catégories d'entreprises. Une étude avance plusieurs pistes pour remédier à cette situation.

Les très petites entreprises n'ont probablement pas la place qu'elles méritent dans les politiques publiques actuelles. Dans une étude qui vient d'être publiée, l'Institut Terram - un groupe de réflexion multidisciplinaire spécialisé dans l'étude des territoires - s'est intéressé au lien entre le poids économique des TPE et le développement des territoires.

 

 

Il en est arrivé à la conclusion que ces structures, qui emploient de 1 à 9 salariés et qui sont surreprésentées dans certains secteurs comme le bâtiment, ne sont pas suffisamment considérées au regard de leur rôle dans l'économie de proximité. Car c'est l'une des spécificités mises en lumière dans l'étude : les TPE sont globalement assez bien réparties sur l'ensemble du territoire national, "leur poids s'avérant même proportionnellement plus élevé dans les ruralités et les petites agglomérations que dans les métropoles, de même qu'il est plus significatif dans la moitié sud du pays".

 

Malgré leur durée de vie parfois brève - l'enchaînement des créations d'entreprises et liquidations judiciaires fait partie du jeu économique -, elles contribueraient aussi à amortir "les chocs des crises". L'auteur de l'étude, le consultant et enseignant Nicolas Portier, rappelle à ce sujet que les TPE ont su se saisir des dispositifs de soutien public lors de la crise sanitaire (chômage partiel, prêts garantis par l'État, fonds de solidarité...) et des mesures de relance pour se maintenir à flot et, pour une partie d'entre elles, rebondir.

 

"Énergie entrepreneuriale"

 

Pour autant, ce poids économique ne se traduit pas toujours de manière logique dans les faits. Si les TPE représentent plus de 80% des entreprises employeuses, elles n'accueillent cependant que 20% des emplois salariés privés.

 

Pourquoi ? Car elles participent davantage à la création d'emplois mais, du fait de leur petite taille, ne comptent évidemment qu'un nombre limité de collaborateurs. En revanche, lorsque la croissance est au rendez-vous, elles peuvent se développer et devenir des PME, voire des ETI, et même être rachetées par de grands groupes.

 

"Elles disparaissent des statistiques mais leur énergie entrepreneuriale se perpétue à l'intérieur d'entités plus vastes. Elles alimentent ainsi la régénération constante du tissu productif", analyse l'auteur. "À l'opposé du spectre, les grands groupes détruisent davantage d'emplois qu'ils n'en créent. Pour autant, ils concentrent une part croissante des effectifs à travers leurs absorptions d'autres entreprises."

 

Souplesse et réactivité

 

Par nature hétérogènes, les TPE se basent sur une grande variété de modèles économiques et de projets entrepreneuriaux dont "la vitesse de croisière est assez vite atteinte en termes d'effectifs". Ce n'est pas forcément le cas des entreprises de la construction, mais cela concerne notamment les agences immobilières.

 

Plus souples et plus réactives car plus petites et donc plus résilientes, les TPE peuvent mieux réagir dès lors que des difficultés apparaissent. En contrepartie, elles sont bien plus exposées à des trésoreries fragiles, des délais de paiement importants ou des fonds propres insuffisants. D'autant plus qu'elles ne peuvent souvent pas se permettre de disposer de certaines compétences en interne, tels que des comptables ou des juristes spécialisés.

 

Pour l'Institut Terram, le constat est donc simple : "Aujourd'hui diluées dans les statistiques des micro-entreprises, les TPE doivent redevenir un sujet d'étude spécifique afin de mieux en saisir l'hétérogénéité et les dynamiques globales, en observant leurs évolutions sur longue période et leurs diverses contributions aux économies territoriales". L'étude formule plusieurs propositions en ce sens.

 

 

1. Mieux comptabiliser pour mieux représenter

 

D'abord, elle préconise d'améliorer le comptage des TPE en incitant les universités, collectivités et autres instituts statistiques à les prendre en compte dans leurs études, travaux et publications. Revoir les outils de suivi éviterait ainsi de continuer à comptabiliser les TPE dans la catégorie "fourre-tout" des micro-entreprises.

 

2. Décentraliser les mécanismes de soutien et d'accompagnement

 

L'étude recommande par ailleurs de déléguer les dispositifs de soutien et d'accompagnement des TPE de l'État et de l'Union européenne aux collectivités territoriales - particulièrement aux intercommunalités -, aux réseaux d'entrepreneurs et aux organismes consulaires. Du fait de leur petite taille et de leur implantation locale, les très petites entreprises ont besoin d'être soutenues par des acteurs qui connaissent eux-mêmes le terrain sur lequel elles évoluent.

 

3. Proposer des "bouquets de services mutualisés"

 

En plus de solutions immobilières et foncières (pépinières d'entreprises, parcs d'activités...), Nicolas Portier estime que les pouvoirs publics et acteurs privés doivent proposer aux TPE "des bouquets de services mutualisés". Transports, logistique, crèches et restaurants interentreprises, très haut débit... sont autant de "services-supports" qui pourraient les aider dans leur croissance, sans oublier les réseaux d'entraide.

 

4. Arrêter de favoriser les "start-up" au détriment des TPE classiques

 

L'étude remet également en question la priorité donnée par les pouvoirs publics aux jeunes pousses, au détriment des TPE classiques. "Aider des dizaines de milliers de TPE à créer un ou deux emplois supplémentaires est tout aussi utile que de massifier des programmes de soutien public sur quelques centaines de pépites innovantes et de multiplier les appels à projets hypersélectifs", tacle l'auteur.

 

Et d'enfoncer le clou : "La volonté de limiter le saupoudrage des aides publiques ne doit pas se transformer en favoritisme au profit d'une petite élite entrepreneuriale connectée aux lieux de décisions." Pour l'institut, l'accompagnement des petites structures doit surtout servir à transformer des "autoentreprises en véritables projets entrepreneuriaux 'recruteurs'".

 

5. Ouvrir les portes de la commande publique

 

Avec près de 300 milliards d'euros de flux monétaires, la commande publique pèse très lourd dans l'économie française. Les TPE n'y ont toutefois que difficilement accès, soit parce qu'elles ne connaissent pas ces marchés, soit parce qu'elles ne peuvent pas ou ne veulent pas s'y aventurer, partant du principe qu'ils sont réservés aux grandes entreprises.

 

Nicolas Portier suggère donc de mettre en place "des plans d'accès des TPE à la commande publique" et de constituer des "plateformes numériques simplifiées" ou des "'marketplaces' (places de marché) accessibles" afin de faciliter leur référencement et leur faire gagner de la visibilité. Dans le même registre, "des plans de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences" pourraient être envisagés. Leur but : aider les TPE à former leurs équipes aux transitions écologique, énergétique et numérique.

 

6. Renforcer la solidarité entre petites et grandes entreprises

 

L'Institut Terram épingle par ailleurs les fameuses politiques RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) des grands groupes, dont certaines actions auraient plus tendance à brasser de l'air qu'à faire bouger les lignes. Ces politiques étant de plus en plus amenées à "prendre en compte une dimension territoriale, les grandes entreprises et ETI devraient être incitées à s'investir plus activement dans l'encouragement des TPE et des actions de parrainage", tranche l'étude.

 

Concrètement, cela peut se traduire par du mécénat de compétences, un accès aux référencements, une insertion dans des réseaux professionnels, des programmes de R&D collaboratifs mais aussi une relation donneur d'ordre/sous-traitant de qualité et des politiques d'achats responsables.

 

7. Encourager les "TPE de production" pour constituer des "microfilières"

 

Enfin, pour surfer sur le renouveau des métiers de l'artisanat observé un peu partout, l'auteur conseille de soutenir les "TPE de production". Ces entreprises s'implantent notamment dans des territoires industriels en portant des projets d'économie circulaire, tel que le réemploi de matériaux. Elles peuvent ensuite être à l'origine de "microfilières", dont l'étude recommande là aussi de favoriser l'insertion dans les chaînes de valeur locales.

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