BILAN. La Caisse nationale d'assurance-maladie vient de faire le point sur la réalité des risques psychosociaux en entreprises. Elle observe notamment une augmentation, ces dernières années, des affections psychiques reconnues comme accidents du travail.
La Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS) a tenu une conférence, le 16 janvier à Paris, au sujet des risques et troubles psychosociaux. L'occasion de faire un point sur l'évolution de cette problématique au sein des entreprises françaises, notamment issues du secteur de la construction. "La France est quasiment le seul pays au monde à reconnaître les maladies psychiques", rappelle en introduction Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la Cnam-TS.
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Quelle différence entre les risques psychosociaux (RPS) et les troubles psycho-sociaux ?
Dans l'analyse des risques psychosociaux, on s'intéresse à la probabilité de voir survenir dans une entreprise des troubles psychosociaux, en fonction de l'analyse d'une série de facteurs (intensité du travail, horaires, exigences émotionnelles...). Les troubles psychosociaux, eux, sont les pathologies qui découlent éventuellement de ces facteurs, dans le cadre du travail.
Comment sont reconnus les troubles psychiques au travail ?
Les troubles psychiques au travail peuvent être reconnus de deux manières, précise la Cnam-TS.
Il y a tout d'abord les affections psychiques reconnues au titre d'accidents du travail (AT) ou de trajet. Dix mille AT de ce type ont été reconnus en 2016, (soit 1,6% des accidents du travail avec arrêt). "Ce n'est pas un risque qui est considéré comme prioritaire, mais force est de constater que ce chiffre commence à être important", observe Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la Cnam-TS. "Et cela ne cessse d'augmenter, même si on arrive peut-être à un plateau : +10% sur 2011-2014, +5% en 2015 et +1% en 2016." A ces dix mille cas, il faut ajouter 3.500 accidents psychiques liés au trajet domicile-travail.
Quand une affection psychique est reconnue comme accident du travail, cela signifie généralement qu'un fait générateur ponctuel et exogène (comme subir une agression, être témoin d'un accident de la circulation ou d'un attentat...) a pu déclencher le trouble. Mais, précise la Cnam-TS, ce trouble aparemment ponctuel peut aussi être révélateur d'un malaise plus profond au sein de l'entreprise (dans l'esprit de "la goutte d'eau qui fait déborder le vase"). Le salarié peut "profiter" d'un souci ponctuel pour témoigner d'un problème plus durable lié à des difficultés dans ses conditions de travail.
L'autre moyen de faire reconnaître un trouble psychique est celui de la reconnaissance de maladie professionnelle par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). En 2016, 596 affections psychiques ont été reconnues, sur la base de 1.138 demandes. C'est sept fois plus qu'il y a cinq ans. Parmi ces maladies, les cas de dépressions sont très largement majoritaires. "En 2012, un changement réglementaire a assoupli les conditions de saisine du comité d'expert. Mais la proportion de cas acceptés est restée à peu près stable, à environ 50%", explique Marine Jeantet.
Qui sont les secteurs et les salariés les plus touchés par des troubles psychiques ?
Les femmes sont plus touchées que les hommes, en nombre de cas. "On dénombre 40 accidents psychiques par an pour 100.000 salariés chez les hommes, et 70 chez les femmes", décrit la Cnam-TS. Pour quelle raison ? Les secteurs les plus concernés par ces risques sont le médico-social (20% des cas), les transports (15%) et le commerce de détail (13%) : à savoir des professions où davantage de femmes travaillent. La Cnam-TS signale que ces secteurs sont ceux où l'on est en contact régulier avec les clients ou le public. "On ne peut donc pas parler d'une moins bonne résistance des femmes face aux RPS", précise Marine Jeantet.
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Autre élément : contrairement aux idées reçues, les cadres ne sont pas en première ligne, mais les employés, car ils sont plus souvent "sur le terrain".
Dans quelle mesure le secteur de la construction est-il concerné ?
Dans les douze premiers secteurs concernés, d'après les statistiques de la Cnam-TS qui ne concernent que les salariés du privé, le BTP n'apparaît pas. Peut-être parce que dans ce secteur le stress touche en premier lieu les chefs de TPE-PME (et, dans les plus grandes entreprises, des conducteurs de travaux).
Une chose est sûre : les RPS et le stress sont bien présents dans la construction. Pour preuve, le secteur a pris à bras-le-corps ce problème, qui a notamment émergé durant les difficiles années de crise. Ainsi, en mars 2017, une étude de la Capeb affirmait que 36% des petits patrons pensaient avoir fait ou avoir été proche d'un burn out. La Fédération française du bâtiment avait également, il y a quelques années, lancé l'initiative des "Casques bleus" pour soutenir des patrons en situation de surmenage.
"Ce secteur reste en premier lieu soumis à des risques physiques tels que des chutes de hauteur", rappelle toutefois Marine Jeantet. Il n'empêche, il sera probablement de plus en plus concerné, dans les années à venir, par la gestion des risques psychosociaux.
Quelles sont les conséquences financières et humaines ?
7,5% des affections psychiques reconnues comme AT débouchent sur une incapacité permanente (pour les AT 'normaux', cette proportion est de 5%).
Le coût de ces affections pour la branche AT/MP est de 230 millions d'euros, sur une dépense générale de 8-9 milliards d'euros.
Que doit faire l'entreprise pour gérer les risques psychosociaux ?
Comme nous l'expliquait Corinne Metzger, avocate au cabinet Seban et associés, l'entreprise est soumise à une obligation de sécurité et de résultat en matière de risque psychique. "Ce qui signifie que l'entreprise doit prendre toutes les mesures visant à atteindre l'objectif, et pouvoir prouver qu'elle l'a fait."
Le syndrome dépuisement professionnel ('burn-out') est-il reconnu comme maladie professionnelle ?
Toujours pas. Mais un nouveau tableau de maladie professionnelle vient d'être présenté à la Cnam-TS par des députés de la France insoumise. "Le tableau que nous a présenté François Ruffin est mieux fait que les précédents, il y a eu beaucoup de travail", explique Marine Jeantet. "Mais nous sommes prudents sur l'idée d'utiliser un tableau, car cela pourrait se retourner contre le salarié si c'est mal pensé." En effet, un tableau est constitué de divers critères permettant d'identifier à coup sûr une maladie professionnelle. Une procédure pas forcément adaptée à une affection psychique, forcément plus délicate à diagnostiquer qu'une affection physique.