Rénovation, numérique : comment les métiers du bâtiment peuvent-ils attirer des jeunes ?

 

 

On le sait, le secteur est confronté depuis longtemps à un manque de main-d'oeuvre et à une crise des vocations. L'absence de bras risque d'être d'autant plus problématique si les chantiers de rénovation énergétique sont amenés à se massifier, dans un contexte de chute de la construction neuve et alors que l'urgence climatique et la préservation de l'environnement brassent de nombreux enjeux, telle que l'artificialisation des sols.

 

"Nous ne réussirons pas la transition écologique sans les entreprises artisanales du bâtiment", avance d'ailleurs Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ouverture de l'évènement. Alors comment faire pour rendre de nouveau les métiers du bâtiment attractifs et motiver les jeunes générations à devenir plombier, électricien, menuisier ?

 

Opposition stérile entre métiers manuels et intellectuels

 

"Il y a un telle dévalorisation des métiers artisanaux depuis des années que cela a abîmé leur image", constate le journaliste économique Emmanuel Lechypre. "La réalité est aussi que ce sont des métiers pénibles, avec des enfants qui ont vu leurs parents se tuer à la tâche. Mais ces métiers ont évolué. Beaucoup de choses ont été faites sur l'apprentissage mais il faut le temps que la pompe se réamorce", poursuit-il.

 

Le politologue François Gemenne pointe également un autre problème. "Il y a un tabou dont on n'ose pas parler, c'est qu'il y a trop d'étudiants à l'université", conséquence de la "vraie opposition entre les métiers dits manuels et les métiers dits intellectuels". Or, "installer une pompe à chaleur, par exemple, n'est pas que manuel, c'est aussi intellectuel car on calcule le bilan carbone d'un logement", relève celui qui est aussi spécialiste des questions climatiques et migratoires.

 

Une histoire de valeurs

 

Évidemment, le bâtiment n'a pas attendu les confirmations de ces spécialistes venues d'autres secteurs pour s'emparer du dossier, qui concerne en réalité toutes les générations. "Il faut accepter tous les jeunes mais aussi tous les moins jeunes car la reconversion est très importante dans nos métiers", affirme Laure Vial, administratrice de la Capeb chargée des compétences et de la formation.

 

"Nous avons des artisans attirés par la transition écologique et des jeunes en quête de sens, donc il faut mettre en évidence qu'on a les mêmes valeurs. La transmission des savoirs est dans l'ADN des artisans, qui transmettent ce qu'ils ont eux-mêmes reçu comme savoirs." L'organisation, membre de l'U2P (Union des entreprises de proximité), tient cependant à distinguer les métiers du BTP des métiers de l'artisanat du bâtiment.

 

"Il n'y a que 4% de femmes cheffes d'entreprises dans le bâtiment"

 

Ces derniers auraient de quoi attirer : la possibilité de devenir son propre patron, la liberté d'entreprendre, l'agilité et la taille humaine de l'entreprise artisanale, la technicité des compétences, le fait de bien gagner sa vie, la transmission des savoirs, la protection de l'environnement et l'adaptation à l'urgence climatique... Seraient autant d'atouts dans leur manche.

 

 

Mais il reste certains domaines où beaucoup de travail doit encore être fait. Comme le pointe Laure Vial, "il n'y a que 4% de femmes cheffes d'entreprises dans le bâtiment, donc il y a encore une grosse marge de progression". Certes, les femmes ont malgré tout toujours été présentes dans le secteur, que ce soit en tant que conjointes-collaboratrices ou salariées. Il y a aussi des sujets spécifiques sur lesquels le ressenti n'est pas le même en fonction du sexe. "Selon qu'on est un homme ou une femme, la pénibilité ne revêt pas la même définition et les mêmes enjeux", ajoute l'administratrice de la Capeb.

 

Force et faiblesse de la culture du bâtiment

 

La culture du bâtiment n'est pas pour autant en cause. Invitée au congrès, la sociologue Florence Cognie, par ailleurs chercheuse à l'université de Rouen, explique ce qu'est une culture : "Ce sont des normes, dire ce qu'il est bien de faire et mal de faire, ce qui structure une façon de penser et d'agir".

 

Et dans le bâtiment alors ? "On voit l'art de faire, et l'art de bien faire. On voit aussi l'aspect formation, avec un engouement autour de ce que transmettent les artisans et professionnels du bâtiment, qu'ils perçoivent comme une sorte de devoir. Il y a aussi l'aspect famille, communauté. Ces trois dimensions communes fédèrent les gens dans l'artisanat, ce qui est une grande force."

 

Dans le bâtiment, "on voit l'art de faire, et l'art de bien faire"

 

La force peut néanmoins se transformer en faiblesse si cette culture "ne bouge pas, ne s'adapte pas". Le fait que des professionnels soient à l'écoute des besoins de leurs clients par rapport aux enjeux de transition écologique, ou à l'écoute des envies des jeunes pour les motiver à les rejoindre, serait précisément une preuve d'adaptation.

 

Le modèle de l'entreprise artisanale a aussi évolué avec le temps. "Dans les années 90, il y a eu une chute massive des héritiers, des repreneurs d'entreprises familiales, qui a été compensée par l'installation massive d'enfants d'ouvriers, qui se sont mis à leur compte. Cela a été possible parce que l'artisanat a développé la formation, institutionnalisé les compétences", analyse la sociologue.

 

Capter - et surtout retenir - l'attention des jeunes

 

Citant des chiffres du CCCA-BTP (Comité de concertation et de coordination de l'apprentissage du bâtiment et des travaux publics), Laure Vial affirme que 90% des apprentis du bâtiment sont satisfaits de leur formation en CFA et en entreprise. Florence Cognie nuance : "L'apprentissage peine à recruter aujourd'hui, il faut reposer la question de savoir ce qu'est aujourd'hui l'idéal de l'installation. Les métiers se sont aussi complexifiés en demandant des compétences de gestionnaires face aux lourdeurs administratives."

 

Si la logique de transmission, et donc de pérennité, semble centrale dans l'artisanat du bâtiment, il va néanmoins falloir prendre rapidement le train en marche. Car "on a une urgence devant nous : la transition écologique", lance Patrice Grouzard, chef de service adjoint à l'Agence de la transition écologique.

 

"On se rend compte, à l'Ademe, qu'il faut qu'on change de discours, de récits, d'imaginaire : on ne peut créer une attractivité avec des arguments anciens, il faut les renouveler en les orientant d'une manière bien particulière" pour espérer capter - et surtout retenir - l'attention des jeunes.

 

L'artisan du bâtiment, "rouage de la transition écologique"

 

Il s'agit alors d'utiliser des moyens avec lesquels les jeunes ont des affinités, et sortir des sentiers battus : les réseaux numériques, les jeux vidéo, les web-séries... "Tout en donnant du sens qu'on peut trouver au travers de l'urgence climatique. Quand on s'adresse à des jeunes habitués à l'immédiateté, il faut mettre en place des circuits de communication extrêmement courts", complète le responsable.

 

À travers différentes campagnes de communication, l'Ademe cherche ainsi à replacer l'artisan comme "acteur-clé de l'économie" et comme "rouage de la transition écologique". Pour Patrice Grouzard, le marché de la rénovation est "un argument fort car prometteur, avec un gros potentiel et une employabilité pérenne".

 

Poursuite du soutien à l'apprentissage

 

D'autres leviers peuvent être actionnés. D'après Geoffroy de Vitry, Haut-commissaire à l'enseignement et à la formation professionnels, la réforme de l'enseignement professionnel et la compétition des Worldskills en seraient des exemples. "Il faut également insister sur l'apprentissage et sur la réussite qu'il représente dans le bâtiment, avec un bond de près de 80% depuis 2018", remarque le haut-fonctionnaire.

 

Dans la mesure où il porte ses fruits, l'exécutif serait donc enclin à poursuivre son soutien à l'apprentissage. D'autres pistes sont explorées. "Les vecteurs de communication évoluent et il faut faire découvrir les métiers aux jeunes assez tôt, dès la classe de 5e, et cela passe aussi par des stages d'observation", abonde Geoffroy de Vitry.

 

"La petite entreprise connectée est l'avenir"

 

Et attention à ne pas oublier la transition numérique. Selon l'économiste Philippe Dessertine, une organisation professionnelle comme la Capeb doit se saisir des sujets autour de la donnée et de la manière de la valoriser. L'artisanat serait au croisement du passé et du futur, de la transmission des savoir-faire et de l'appropriation de la modernité technologique.

 

"L'artisanat ne se crée pas d'un seul coup, mais sur le temps long, et il structure les territoires. Dans les temps qui viennent, où nous allons connaître de fortes innovations, c'est la petite entreprise qui saura le mieux innover, car elle peut se lancer, a le droit de se tromper, et peut rectifier le tir rapidement", développe celui qui est aussi professeur en sciences de l'encadrement professionnel.

 

Lui aussi croit que l'intelligence artificielle va apporter son lot de bouleversements aux métiers du bâtiment. "Elle va être intéressante pour les artisans en les aidant sur le temps qu'ils passent à ne pas être artisans, c'est-à-dire le temps administratif, au lieu de passer du temps sur les chantiers. Mais se posera la question de l'automatisation et de l'appropriation de ces outils. En tout cas, la petite entité connectée est l'avenir, et l'avenir sera les petites entités connectées entre elles", précise Philippe Dessertine.

 

Travailler avec les jeunes pousses

 

"D'évidence, il y a une fenêtre de tir pour qu'on fasse connaître notre rôle dans l'économie et la société", reconnaît Jean-Christophe Repon. S'il se félicite qu'il y ait aujourd'hui 110.000 apprentis dans le bâtiment, le patron de la Capeb juge que l'accompagnement des jeunes en entreprise, autrement dit l'aide à l'embauche des apprentis, est "un facteur extrêmement important" pour les artisans.

 

L'U2P a d'ailleurs proposé de limiter cette aide aux entreprises de moins de 50 salariés, ce qui génèrerait au passage des économies pour les finances publiques. "Nous avons aussi ouvert un chantier sur l''open innovation', en expliquant à des 'start-upeurs' qu'ils ont un marché potentiel de 600.000 entreprises avec qui travailler et réfléchir à des solutions pour demain", conclut Jean-Christophe Repon.