Dans un rapport alarmiste le Service central de prévention de la corruption (SCPC) alerte sur le "phénomène d'ampleur" que constitue la prise illégale d'intérêts d'élus locaux dans l'implantation de parcs éoliens sur une grande partie du territoire national. Le lobbying des opérateurs éoliens est aussi visé. Décryptage.
Les éoliennes auraient-elles la fâcheuse tendance à donner le tournis aux élus locaux ? A en croire le dernier rapport d'activité 2013, publié le 24 juin 2014 par le Service central de prévention de la corruption (SCPC), une instance interministérielle dépendant du ministère de la Justice, le "développement de l'activité éolienne semble s'accompagner de nombreux cas de prise illégale d'intérêts impliquant des élus locaux", est-il écrit dans ce document de 292 pages cité par Le Figaro, vendredi 4 juillet, que Batiactu s'est procuré.
Pour la première fois, le document pointe les dérives concernant la prévention de la corruption en France et dans les collectivités territoriales. "La corruption, la fraude, notamment fiscale, et les moyens de mieux réprimer et prévenir ces infractions ont continué, en 2013, à être au coeur des préoccupations des décideurs publics et de la communauté internationale", indique le magistrat François Badie, chef du SCPC, en introduction.
Lutter contre la multiplication des "prises illégales d'intérêts"
Si ce document met en garde globalement les pouvoirs publics contre la multiplication des "prises illégales d'intérêts", dans l'ensemble des secteurs, la filière éolienne est particulièrement visée à la page 119 du rapport.Le SCPC a pu notamment "relever qu'il ne s'agissait pas toujours de simples négligences, mais parfois d'agissements délibérés, leurs auteurs étant motivés par les revenus substantiels tirés de l'implantation d'éoliennes sur des terrains leur appartenant et par un régime fiscal favorable."
Avant d'enfoncer le clou : "On peut s'interroger sur la régularité et la portée de tels accords qui impliquent directement les élus dans le développement du projet et créent selon nous, une confusion entre l'intérêt public que doit servir l'élu et l'intérêt privé du promoteur éolien, voire un risque de collusion."
Par ailleurs, l'instance interministérielle signale être le "destinataire d'un nombre croissant de procédures engagées.(…) qui font état de dérives graves entraînant des recours devant les juridictions administratives et de plaintes déposées auprès de plusieurs parquets."
Jusqu'à 5 ans de prison et 75.000 euros d'amende
On apprend également dans ce document que "l'ingérence des élus survient dans diverses étapes de la procédure d'implantation des éoliennes", notamment sur la définition de la zone de développement de l'éolien et l'autorisation du permis de construire. "Les revenus substantiels sont tirés de l'implantation d'éoliennes sur des terrains leur appartenant et par un régime fiscal favorable", lit-on dans le document.Pour rappel : le fait pour un "élu de recevoir (…) directement ou indirectement, un intérêt quelconque (…) dans une opération dont il a, au moment de l'acte (…), la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende", complètent les articles 432-12 du Code pénal et l'article 2131-11 du Code général des collectivités territoriales.
Le lobbying des opérateurs éoliens dans le viseur
Autre point important révélant ce phénomène d'ampleur : le lobbying des opérateurs éoliens est clairement visé. "Il a pu être également constaté une forte pression exercée sur les élus, invités dans le cadre de 'Chartes morales d'étroite collaboration' à soutenir la société dans l'élaboration du projet, et en particulier à l'assister dans toute démarche administrative permettant de faire avancer le projet", signalent les auteurs du rapport.
Un audit réclamé
Par conséquent, le Service, très alarmiste sur "la gravité de ce phénomène", attire donc l'attention des pouvoirs publics et rappelle qu'"il est impératif d'empêcher et de sanctionner toute confusion entre l'intérêt public, que doivent servir les élus dans le cadre de leur mandat, et l'intérêt personnel qu'ils peuvent retirer d'une opération qui peut s'avérer litigieuse, particulièrement lorsque ces mêmes élus sont susceptibles de percevoir des redevances de location pour l'implantation d'éoliennes sur des terrains leur appartenant ou propriété de leurs proches."Avant de conclure : Une étude mériterait d'être entreprise afin d'évaluer sérieusement ce risque… Le SCPC réclame, en effet, un audit afin d'évaluer le risque d'"atteintes à la probité beaucoup plus graves, comme celui de la corruption".
Outre, la prise illégale d'intérêts dans l'activité éolienne, le Service de prévention de la corruption liste dans son rapport près de 30 propositions pour réduire le "risque de manquement à la probité dans le secteur public local". Parmi les autres thématiques à "risque", l'urbanisme et le PLU sont cités. Enfin, le PPP n'est pas épargné. Compte tenu des montants en jeu, les risques de corruption sont "réels", affirme le SCPC.