EXCLUSIF. Dans son dossier 2019, l'Office général du bâtiment et des travaux publics (OGBTP) s'intéresse à l'obligation de moyens et à celle de résultat, des notions remises sur le devant de la scène après la ratification des lois Elan (logement) et Essoc (modernisation de l'administration). Paul-François Luciani, vice-président de l'organisation, revient pour Batiactu sur le contenu de cette publication.
Comme chaque année, l'Office général du bâtiment et des travaux publics (OGBTP) publie un dossier thématique. L'association, qui a célébré en 2018 son centenaire, a pour mission de nouer un dialogue paritaire entre architectes et entrepreneurs autour de différents sujets liés au secteur de la construction. Pour son édition 2019, le dossier de l'OGBTP est consacré à l'obligation de moyens et à celle de résultat, deux notions évidemment rattrapées par l'actualité législative et réglementaire du fait de l'adoption des lois Essoc (portant modernisation de l'Administration) et Elan (portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique), respectivement en août et novembre 2018. Les 52 offices départementaux de l'OGBTP ont donc planché sur le sujet, d'autant qu'un amalgame a souvent pu être commis par les architectes qui pensaient être dorénavant dans l'obligation de résultat alors qu'ils demeurent soumis à l'obligation de moyens.
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"Nous avons voulu procéder à la clarification des deux types d'obligations, pour en délimiter les frontières, et ensuite faire un focus sur les obligations incombant aux architectes ainsi qu'aux entrepreneurs", explique Paul-François Luciani, vice-président de l'OGBTP, à Batiactu. Pour rappel, l'obligation de moyens consiste pour le "débiteur" (c'est-à-dire l'architecte ou l'entrepreneur) à "employer tous les moyens appropriés dans une tâche à accomplir, sinon à faire de son mieux pour permettre au maître d'ouvrage d'obtenir le résultat qu'il recherche". Quant à l'obligation de résultat, elle tient juridiquement le "débiteur" à obtenir le résultat déterminé par le contrat. Dans son dossier, l'OGBTP souligne que, dans tout contentieux, "le juge se fonde sur la preuve de 'l'inexécution de l'obligation' et que la jurisprudence en ce domaine repose sur l'interprétation que les juges peuvent faire de cette preuve".
Une obligation de résultat "loin d'être généralisée" dans la pratique
"Les architectes sont globalement toujours liés à l'obligation de moyens, et les entrepreneurs à celle de résultat. Les architectes peuvent aussi y être soumis mais seulement dans le cas d'une contractualisation", poursuit Paul-François Luciani. En effet, les architectes sont, sur le principe, tenus à une obligation de moyens jusqu'à la réception des travaux, puis une obligation de résultat après la réception ; cependant, les parties prenantes sont toujours dans la possibilité de contractualiser ce qui aurait pu s'inscrire dans une obligation de moyens en une obligation de résultat. Et c'est en fait la notion de performance, inscrite dans la loi Essoc, qui aurait conduit à cet amalgame de la profession entre moyens et résultat : "Sur le plan sémantique, on pouvait penser qu'on s'acheminait vers une obligation de résultat, notamment sur la base de l'article 49 de la loi Essoc. Le Législateur pourrait le faire croire au vu des textes, mais cette obligation de résultat est, dans la pratique, loin d'être généralisée quand on écoute l'analyse des juristes. Il va bien sûr y avoir quelques expérimentations pour répondre à une demande politique, mais pourra-t-on parler d'une révolution institutionnelle ? Je ne le pense pas."
Les entrepreneurs sont toujours soumis à une obligation de résultat, avant comme après réception
Du côté des entrepreneurs, l'OGBTP rappelle qu'ils sont toujours soumis à une obligation de résultat, avant comme après réception. Le seul cas de figure où ils peuvent s'en exonérer doit être un cas de force majeure, autrement dit un évènement exceptionnel comme un glissement de terrain ou un aléa climatique - et encore, cela dépend des cas, mais d'une manière générale l'évènement doit correspondre au critère "d'imprévisibilité", "d'irrésistibilité" et "d'extériorité". La responsabilité de l'entrepreneur peut aussi être dégagée du fait du maître d'ouvrage, soit avant réception, dans le cas de "l'acceptation du maître d'ouvrage qui a bien été avisé par l'entrepreneur des risques inhérents à l'absence de certains travaux", soit après réception, dans le cas d'un défaut d'entretien. En revanche, la responsabilité de l'entrepreneur peut être engagée après réception du chantier en cas de dommages "intermédiaires" - des petits désordres qui ne relèvent pas des garanties légales (décennale, biennale et garantie de parfait achèvement) mais qui renvoient à l'obligation de résultat -, de travaux non-constitutifs à l'ouvrage - des travaux annexes qui "rendent l'ouvrage impropre à sa destination" - ou de levée de réserves - tant que les réserves n'ont pas été levées, l'obligation de résultat est maintenue. Dernier cas de figure à noter : quand l'entrepreneur réalise des prestations en lien avec la conception, sa responsabilité doit rentrer dans le champ de l'obligation de moyens. Mais dans le cas d'un manquement avéré, cela relève de son devoir de conseil.
Pour ces professionnels, ce changement de paradigme ne bouleverserait ainsi pas fondamentalement la donne dans la pratique. "La loi ne change en rien les dispositions actuelles", conclut le vice-président de l'OGBTP.
Focus sur les Contrats de performance énergétique (CPE)
Le dossier 2019 de l'OGBTP s'attarde par ailleurs sur les Contrats de performance énergétique (CPE). L'organisme rappelle pour commencer que trois textes "permettent de baliser l'évolution de la politique en termes de performance énergétique" : la directive européenne 2009/125/CE de 2009 qui introduit la performance environnementale, ensuite formalisée en 2012 au titre de l'efficacité énergétique ; l'article 73 du Code des marchés publics, datant de 2011 ; et la RT 2012, laquelle introduit le contrôle de la performance énergétique. Partant de là, il existe deux types de performances énergétiques distincts : la performance dite "théorique", qui relève de l'obligation de moyens, et la performance dite "mesurable" ou "chiffrée", qui relève pour sa part de l'obligation de résultat.
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Dans son analyse, l'OGBTP note toutefois que la performance mesurable peut s'avérer aléatoire "en l'absence de tout protocole précis de contrôle, s'agissant, par exemple, des conditions d'occupation des locaux". Et le cadre technique et juridique de la RT 2012 demeurerait quant à lui trop théorique, ce qui fait dire à l'organisme que "faute d'un protocole rigoureux de mesure de la consommation à la réception", la réglementation énergétique au sens de la RT 2012 peut être considérée comme relevant de l'obligation de moyens. Instituer une obligation de résultat impliquerait donc de produire une nouvelle réglementation, en se fondant sur un protocole "strict" mesurant la consommation réelle à la sortie du bâtiment.
"A ce stade, les architectes sont avisés de traiter avec la plus grande prudence les CPE, en considérant qu'un engagement de performance énergétique mesuré sur la consommation pourrait les contraindre à une obligation de résultat", prévient l'OGBTP dans son dossier. "Dans ce type de contrat, il y a lieu de parler de performance à atteindre qu'en terme 'théorique'."