Inquiétudes chez les architectes. Un projet d'ordonnance transposant les directives européennes sur les marchés publics met en péril l'obligation de concours. Mais ce n'est pas tout, la "quasi-généralisation" des contrats globaux et les marchés de partenariat sont également dans le viseur des professionnels. Explications avec Catherine Jacquot, présidente du CNOA.
Malgré trois rencontres infructueuses ces derniers mois avec la Direction des affaires juridiques de Bercy, le Conseil national de l'Ordre des architectes et l'UNSFA s'inquiètent des contours d'un projet d'ordonnance qui souhaite en clair transposer la directive européenne sur les marchés publics et notamment supprimer l'obligation du concours d'architecte.
"Depuis notre dernière entrevue, le 29 janvier, à Bercy, cette ordonnance en cours de rédaction nous alarme, confie Catherine Jacquot, présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes. On espère bien faire amender le texte avec le soutien de notre ministère de tutelle !"
Dans la foulée, l'UNSFA, aux côtés de DPA et SFA* n'ont pas hésité à interpeller le chef de l'Etat, dans un courrier daté du 13 février dernier pour lui rappeler que ce projet ne "reconnaît pas les spécificités de la maîtrise d'œuvre et les assimile, au mieux à des marchés de travaux, et au pire, à l'achat de simples denrées ou de produits de consommation."
"Aucune disposition spécifique pour la passation des marchés de maîtrise d'œuvre"
En effet, le CNOA appuyé par l'UNSFA signale au ministère de l'Economie dans un courrier commun adressé ces jours-ci, que ce projet ne comporte aucune mention sur la maîtrise d'œuvre ou le concours. Une véritable préoccupation pour les professionnels."Il ne contient pas de disposition spécifique pour la passation des marchés de maîtrise d'œuvre, pas plus qu'il ne mentionne le concours comme une procédure de passation des marchés publics de maitrise d'oeuvre", précise Catherine Jacquot.
"Le concours permet une concurrence qualitative et ouverte des équipes"
Et de rappeler un point fondamental : "La disparition de l'obligation du concours est extrêmement inquiétante pour notre profession, car ce concours, obligatoire au-dessus du seuil européen** de procédure formalisée, permet une concurrence qualitative et ouverte des équipes ainsi qu'une maîtrise du projet par les responsables publics. Je répète, par ailleurs, que le concours favorise également l'émulation d'une maîtrise d'œuvre autonome et compétitive, condition essentielle au maintien de la qualité architecturale du cadre bâti."Pour rappel : le Code des marchés publics actuel impose la procédure de concours au-dessus du seuil déclenchant la procédure formalisée (Ndlr : article 74). Or, ce projet d'ordonnance relative aux marchés publics ne répond pas à ces objectifs, selon le CNOA et l'UNSFA.
Vive inquiétude autour de la "quasi-généralisation des contrats globaux"
Mais les inquiétudes ne s'arrêtent pas là. Autre élément pointé du doigt: la "quasi-généralisation" du recours aux contrats globaux, poursuit Catherine Jacquot. Avant de rappeler que "celui-ci s'associe à tous les acteurs dès l'amont du programme". "Ici, le projet d'ordonnance favorise les contrats globaux : les marchés de conception-réalisation, les marchés conception, réalisation, exploitation-maintenance, (CREM) et marchés de réalisation et d'exploitation-maintenance (REM) sont transformés en une nouvelle notion de contrat global ! Nous y sommes opposés", martèle-t-elle.Et d'argumenter : "Ce point sensible remet en cause les principes de la commande publique française d'architecture et de la loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d'ouvrage publique et porte ainsi atteinte à l'indépendance de la maîtrise d'œuvre. En intervenant sur le champ de la loi MOP et de la loi Boutin nous pensons que l'ordonnance sort du champ d'habilitation imposé par la loi du 20 décembre 2014."
C'est la raison pour laquelle, les architectes disposent d'un cadre légal et réglementaire spécifique, qui inscrit dans la loi l'indépendance de la maîtrise d'œuvre, indispensable à la transparence et à l'efficacité de la commande, et qui fixe des procédures spécifiques et encadrées de leur passation, estime le président du CNOA.
Enfin, dernier blocage : les marchés de partenariat."Les rédacteurs ont de manière tout à fait inacceptable, 'gommé' toutes les dispositions qui, dans l'ordonnance de 2004 sur les PPP (Ndlr : articles 12 et 14), pouvaient préserver la qualité architecturale des ouvrages", s'insurge l'UNSFA.
Les marchés de partenariat dans le viseur...
Sur ce sujet brûlant, Catherine Jacquot, voit également rouge et regrette profondément que le " texte ne reprenne pas les conclusions notamment du rapport sur les PPP, rédigé en juillet dernier par les sénateurs Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur." Ainsi, la définition d'indépendance de la maîtrise d'œuvre dans ces contrats n'est pas inscrite. "On peut encore corriger l'ordonnance, si Bercy comprend notre préoccupation", espère le CNOA, qui attend depuis une semaine un rendez-vous avec Emmanuel Macron… D'une manière ou d'une autre, le texte sera soumis au Premier ministre d'ici au mois de mars 2015.*DPA: Défense protection architecte, SFA: Societé française des architectes.
** Le seuil européen de procédure formalisée : pour les services 207.000 euros (marchés des collectivités locales), 134.000 euros pour les marchés de l'Etat et 5,186 millions d'euros pour les marchés de travaux.