CONJONCTURE. En ce début d'année 2019, la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) a présenté son bilan 2018 : avec 41 milliards d'euros de chiffre d'affaires, la profession profite d'une activité en hausse de 7%. Mais le climat économique et social, couplé à l'indécision politique, inquiète tout de même le secteur. Détails.

"2019 devrait être une bonne année en termes d'activité, sous réserve que nous ne nous retrouvions pas de nouveau au milieu du gué, avec une absence de décisions qui auraient déjà dû être prises depuis longtemps." Bruno Cavagné, le président de la FNTP, ne cache pas son scepticisme quant à la capacité du Gouvernement d'avoir les "bonnes" réactions pour stimuler l'activité des travaux publics. La conférence de presse présentant le bilan 2018 et les perspectives 2019 du secteur a néanmoins été l'occasion de rappeler quelques chiffres encourageants : en 2018, le chiffre d'affaires des entreprises de TP a atteint 41 milliards d'euros, une somme en progression de 7% par rapport à 2017, mais tout de même inférieure de 15% au "record" de 2007 - plus de 48 milliards d'euros. L'année 2018 a ainsi permis aux travaux publics de renouer avec un cycle de croissance plus important que prévu, grâce à l'accélération de la reprise de l'investissement local et du secteur privé, ainsi qu'au retour de l'inflation avec une hausse conséquente des coûts de production.

 

 

Dans le climat économique et social que l'on connaît, les TP se montrent prudents, tout en étant résolus à apporter leur contribution dans la concertation nationale : "Je ne sais pas comment cette situation, où tout le monde est contre tout, va évoluer. Mais à notre échelle, on n'a pas vraiment constaté de blocage ou de perte d'activité de nos entreprises à cause des Gilets jaunes", indique Bruno Cavagné. "Leur mouvement raconte la fracture sociale et territoriale de notre pays, fracture que nous dénonçons depuis longtemps au travers des inégalités d'accès aux infrastructures. Nous voulons aussi que le grand débat national qui va être organisé soit l'occasion pour nos chefs d'entreprises de s'exprimer, de participer aux échanges."

 

Inquiétude sur la réforme de la fiscalité locale, espoir sur les chantiers du Grand Paris

 

Les collectivités territoriales constituent toujours les premiers clients des travaux publics, représentant 41% de l'activité du secteur, et la FNTP note que la reprise de leurs investissements (+7,4% en 2018, avec une prévision de +6,3% pour 2019) explique en grande partie le redémarrage de l'activité constatée chez toutes les entreprises et dans toutes les régions. Ces dépenses publiques d'investissements devraient atteindre un point culminant en 2019, dernière année avant les élections municipales. Les professionnels espèrent également que les départements relanceront ce type de dépenses l'année prochaine. En revanche, la réforme de la fiscalité locale, qui va par définition impacter de plein fouet les collectivités, rend la situation "nettement plus floue", d'après la FNTP, qui gardera également "un œil attentif" sur la future Agence de cohésion des territoires.

 

Un autre dossier d'envergure, prépondérant pour les travaux publics, est celui du Grand Paris. S'agissant de la métropole parisienne, la fédération reprend les prévisions de la Cour des comptes, qui indiquent que la Société du Grand Paris devrait augmenter ses dépenses d'un milliard d'euros en 2019, passant ainsi de 2,47 milliards en 2018 à 3,51 milliards cette année. Plus largement, dans la grande famille des opérateurs de réseaux, tous les voyants sont en fait au vert : des sociétés concessionnaires d'autoroutes (qui sont pour la plupart des branches des majors du BTP) aux gestionnaires de réseaux électriques (RTE et Enedis) en passant par SNCF Réseau, toutes ces entreprises prévoient une croissance de leurs investissements et le lancement de travaux spécifiques. Concernant le très haut débit, le secteur attend aussi une intensification des investissements pour l'année 2019, où 4,4 millions de prises doivent être branchées. Au total, les grands opérateurs devraient bénéficier d'une dynamique forte, avec un accroissement de 12% de leur activité, essentiellement dû aux chantiers du Grand Paris Express.

 

"On paye aujourd'hui 10 ans de sous-investissements dans nos infrastructures"

 

Du côté de l'Etat, par contre, le flou règne. En effet, le budget de l'AFITF - Agence de financement des infrastructures de transports de France - doit disposer d'un budget 2019 en hausse selon la LOM (Loi d'orientation des mobilités), mais des incertitudes demeurent quant aux sources de financements. Déjà dans son budget 2018, les recettes des amendes provenant des radars routiers ont été de 200 millions d'euros inférieures aux prévisions (450 millions). Et en 2019, pour un budget global de 2,68 milliards d'euros, les travaux publics s'interrogent sur ces mêmes recettes des radars, ainsi que sur la suppression du taux réduit de TICPE (Taxe intérieure de consommation des produits énergétiques) pour le GNR (Gazole non-routier), pour l'heure suspendue par le Gouvernement. "Je n'imagine pas l'exécutif, dans le contexte actuel, décider de supprimer cet avantage fiscal pour la profession", relève d'ailleurs Bruno Cavagné.

 

Malgré cela, les professionnels retiennent l'hypothèse d'une croissance des crédits infrastructures de 7% dans le budget de l'AFITF. "Ne nous leurrons pas : on paye aujourd'hui 10 ans de sous-investissements dans nos infrastructures", note le président de la FNTP. "Certes, elles sont de meilleure qualité que dans d'autres pays, mais elles ne sont pas de grande qualité non plus. Il y a un souci de trajectoire budgétaire, c'est pourquoi il est très important à nos yeux de réintroduire le Conseil d'orientation des infrastructures [supprimé dans la version actuelle du projet de loi LOM, NDLR]. Et il faudrait aussi arrêter d'emmerder [sic] les collectivités quand elles veulent concrétiser un projet." Par ailleurs, le secteur s'inquiète de signaux négatifs émanant du bâtiment : à fin novembre 2018, les permis de construire de logements ont baissé de 5,2% sur un an, et ceux de locaux de 3% sur la même période.

 

L'activité devrait croître de 3%, les coûts de production de 2,5%

 

Pour autant, la FNTP table sur une hausse de 3% en volume de l'activité en 2019 : les collectivités représenteront 40,8% du portefeuille de commandes, le secteur privé 34,9%, les grands opérateurs 21,1% et l'Etat 3,2%. Mais c'est véritablement l'échéance de 2020 ou 2021 qui inquiète la profession, qui ne sait pas à quoi s'attendre à cet horizon. Elle se montre également vigilante sur la hausse importante des coûts de production - de l'ordre de 3,4% à fin novembre 2018 par rapport à 2017 -, qui s'explique par l'augmentation du coût de l'énergie et de certains matériaux, dont le bitume, sans oublier l'accroissement des charges salariales, en lien avec les besoins de recrutement. Pour 2019, cette inflation des coûts devrait se confirmer, avec une anticipation à +2,5%.

 

Le recrutement est d'ailleurs une grande priorité pour la profession, qui espère embaucher 40.000 personnes en 2019, correspondant concrètement à la création de plus de 10.000 emplois nets. Et sur les 5 ans à venir, 200.000 embauches potentielles seraient dans les tuyaux. Des objectifs importants à tenir quand on sait que la moitié des chefs d'entreprises sont confrontés à un manque de main-d'œuvre. A l'heure actuelle, les travaux publics emploient 300.000 collaborateurs, et espèrent atteindre 12.000 apprentis d'ici 5 ans, soit 50% de plus qu'aujourd'hui. Dans cette optique, la campagne de communication baptisée "#Franchement Respect" devrait être amplifiée dans les mois qui viennent : "A cause du vieillissement de nos effectifs, nous avons un besoin de renouvellement", confirme Bruno Cavagné.

 

 

"Si on ne trouve pas les financements, on ne fait que de la philosophie"

 

Pour soutenir l'investissement local, la profession recommande de redonner des marges de manœuvre aux collectivités, de soutenir les plans d'investissements dans les infrastructures - réseaux, transports collectifs en site propre, lutte contre les zones blanches numériques. Faciliter l'accès au cofinancement des solutions de mobilité et repenser le système des contrats de plan Etat-régions constitueraient deux autres pistes de réflexion.

 

Le président de la FNTP a donc formulé des vœux clairs pour 2019 : "Je souhaite qu'on avance, qu'on finance, qu'on prenne les décisions ; bref qu'on arrête de dire 'on va faire', sans faire. On peut toujours trouver tout ce qu'on veut, mais si on ne trouve pas les financements, on ne fait que de la philosophie. Le flou artistique nous inquiète toujours." Et quand c'est flou...

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