ENTRETIEN. Plus de vingt ans après l'interdiction de l'amiante en France, où en sommes-nous dans la gestion de cette problématique ? C'est à un point d'étape que nous invite le journaliste Roger Lenglet, dans son nouvel ouvrage intitulé Le Livre noir de l'amiante. Interview.
L'amiante est interdit depuis 1997, en France. Et le désamiantage est devenu une activité entrée dans les mœurs du secteur de la construction. Pourtant, les défis restent très nombreux pour espérer pouvoir se débarrasser de ce fléau : dépôts sauvages, produits importés, conditions de travail, contrôle des entreprises... Roger Lenglet, journaliste d'investigation qui suit l'affaire depuis plus de vingt ans, fait un point de ses connaissances dans son livre, Le Livre noir de l'amiante paru fin 2018 aux éditions L'Archipel. Batiactu l'a rencontré.
Batiactu : Votre livre s'ouvre sur une information peu rassurante : des produits amiantés sont visiblement importés, régulièrement, en France. Ce phénomène touche-t-il le secteur de la construction ?
Roger Lenglet : C'est effectivement ce dont on s'aperçoit en visitant la base de données Rapex, en accès libre sur Internet. Elle est destinée aux douanes, mais ceux-ci n'ont plus assez de personnel pour pouvoir contrôler le contenu de tous les conteneurs, en nombre grandissant. Certains produits amiantés importés concernent le secteur de la construction, notamment des matières premières, des câbles électriques, du verre ou encore des radiateurs. La situation ne devrait pas s'améliorer, dans la mesure où de nombreux pays, comme la Chine, la Russie, l'Inde, produisent encore de l'amiante. Et Donald Trump vient d'autoriser à nouveau les importations de produits amiantés aux États-Unis. Les services de contrôle européens ne sont pas assez sensibilisés à cette problématique, et les moyens de contrôle de la DGCCRF sont en diminution ces dernières années. Une interdiction de l'amiante au niveau mondial devient donc impérative pour protéger au mieux les populations.
Batiactu : Votre livre aborde également un sujet qui fait souvent l'actualité ces derniers mois, les dépôts sauvages d'amiante. Comment en est-on arrivés là ?
Roger Lenglet : La perception de la dangerosité de l'amiante s'émousse, on le voit notamment à travers cette problématique des décharges sauvages. De nombreux maires de petites communes ne s'intéressent pas au problème. Ainsi, particuliers et entrepreneurs indélicats jettent des déchets amiantés dans la nature, au mépris de la loi. Le corpus réglementaire n'est d'ailleurs pas très précis ni coercitif sur ce sujet. L'abandon d'ordures est passible d'une amende de 68 euros à régler immédiatement ou dans les 45 jours suivant le constat de l'infraction. Si un véhicule a été utilisé pour transporter les déchets, le contrevenant risque une amende de 1.500 euros. Encore faut-il les prendre en flagrant délit, ce qui est évidemment rarement le cas : ce genre de pratiques a lieu plutôt la nuit.
"Les cancers de l'amiante ne touchent pas seulement les poumons"
Batiactu : C'est étonnant de vous entendre dire que la perception du danger de l'amiante s'émousse, car dans le secteur de la construction c'est devenu un sujet incontournable...
Roger Lenglet : Je vais vous prendre un exemple. De nombreuses personnes croient encore qu'il faut avoir été longtemps exposé à beaucoup de fibres pour tomber malade. C'est pourtant faux. Chez certaines personnes, une brève exposition suffit, comme cela a été officiellement prouvé dès 1996. Il faut aussi rappeler que les cancers de l'amiante ne touchent pas seulement les poumons : c'est un fait acquis au sein de la communauté des toxicologues et des épidémiologistes que l'amiante favorise aussi l'apparition de cancers affectant le péricarde, les ovaires, les testicules et les voies digestives, dont les intestins, sans parler de l'œsophage et de l'estomac. Reste aussi le sujet de la nocivité possible de l'amiante dans l'eau, sujet sur lequel l'Anses a été saisie. Et, au-delà des cancers, l'exposition à l'amiante peut causer des plaques pleurales, qui sont loin d'être négligeables. Elles affectent la respiration, les poumons deviennent rigides et l'on peut finir par en mourir car le cœur est sursollicité. On est essoufflé, le sang s'oxygène moins.
Batiactu : Un passage de votre livre donne une mauvaise image des professionnels de la construction, dans leur gestion du risque amiante. Vous évoquez l'existence de la logique suivante : moins on trouve d'amiante, moins il est cher de désamianter, mieux c'est pour tout le monde. N'est-ce pas un peu exagéré ?
Roger Lenglet : J'ai récolté le témoignage du patron d'un laboratoire d'analyse de l'air. Il m'a expliqué qu'il devait faire comme si les normes étaient respectées, car sinon il n'aurait plus de clients, pas même du côté des collectivités locales. De la même manière, des entreprises choisies pour désamianter ne sont pas habilitées à le faire, et certaines profitent de la méconnaissance des maîtres d'ouvrage pour abuser. J'ai aussi pu constater l'existence de techniques de pressions de la part de propriétaires publics et privés sur les diagnostiqueurs et les contrôleurs pour réduire la liste des endroits à désamianter. Et sur les chantiers, les EPI sont souvent non conformes ou en mauvais état. Un autre fléau est celui de la sous-traitance, pour faire baisser les coûts et se jouer des inspecteurs du travail. La Direction générale du travail a d'ailleurs été obligée de rappeler, dans une note de janvier 2017, que le désamiantage ne pouvait pas être effectué par un sous-traitant non certifié... [Voir, sur ces points, la réaction de la Direction générale du travail en encadré ci-dessous, NDLR]
Batiactu : Les victimes de l'amiante ont beaucoup de difficulté à ce qu'ait lieu un procès pénal des responsables nationaux français du scandale de l'amiante. Comment analysez-vous cette situation ?
Roger Lenglet : Il faut tout d'abord rappeler que les procès gagnés au civil et au pénal par les victimes de l'amiante se comptent en dizaines de milliers ! On peut parler d'un véritable raz-de-marée judiciaire. Au pénal, des petits entrepreneurs se sont retrouvés condamnés, parfois à des années de prison avec sursis, pour faute inexcusable de l'employeur. Quant au procès pénal mettant en cause les grands responsables nationaux, l'annulation des mises en examen intervenue en décembre 2018 ressemble à une forme d'amnistie générale. Il y a une crainte par rapport au nombre de personnes qui pourraient ensuite être mises en cause, dont des hauts fonctionnaires et des hommes et femmes politiques, dont des ministres du Travail, de l'Industrie et du Transport, du Commerce, de la Santé… Aujourd'hui, les associations de victimes veulent porter l'affaire au niveau de la Cour européenne des droits de l'homme.
"Aujourd'hui, on se garde bien de faire le rapprochement entre l'amiante et les risques liés aux nanoparticules, c'est trop explosif."
Batiactu : Aujourd'hui, on parle des nanomatériaux comme supports d'un prochain scandale sanitaire équivalent à celui de l'amiante. Êtes-vous d'accord avec cette idée ?
Roger Lenglet : Avec l'amiante, on est déjà dans une problématique nanomatériaux. Je rappelle toujours que ce qui fait que la fibre d'amiante voyage dans le corps, est dangereuse pour la santé, c'est son diamètre nanométrique (quelques centaines de nanomètres). Aujourd'hui, on se garde bien de faire le rapprochement entre l'amiante et les risques liés aux nanoparticules, c'est trop explosif ; pourtant, le sujet est bien là. On retrouve même, chez certains industriels aujourd'hui, une tendance à minimiser le problème posé par l'utilisation massive des nanomatériaux, avec l'emploi d'arguments fallacieux qui étaient les mêmes que ceux utilisés, à l'époque, par des industriels de l'amiante.
Sollicitée par Batiactu à la suite de cette interview, la Direction générale du travail (DGT) a souhaité réagir sur un point :
Repérages avant travaux de l'amiante
D'ores et déjà, la DGT a accompagné la mise en œuvre du repérage avant travaux de l'amiante, par une communication nationale et locale afin de sensibiliser notamment les donneurs d'ordre et professionnels qui pourraient être enclins aux pratiques de contournement de la réglementation.- sièges des entreprises certifiées ;
- organismes de formation à la prévention ;
- entreprises de couverture."
11.550 interventions de l'inspection du travail
"Dans ce cadre, les services de l'inspection du travail ont procédé en 2018 à plus de 11.550 interventions afin de vérifier le respect de la réglementation amiante, dont plus de 71,5% (8.200 contrôles) dans le cadre de la réglementation dite sous-section 3 (chantiers de désamiantage) mais aussi près de 29% portant sur la réglementation sous-section 4 (interventions autres que du retrait d'amiante, mais susceptibles d'exposer aussi les travailleurs à de l'amiante : plombiers, électriciens, couvreurs, etc.). Plus de 80% de ces interventions ont porté sur des chantiers du BTP.Montée en compétences des acteurs de la filière
Le PAIA permet ainsi d'amplifier les initiatives de tous les acteurs concernés sur des objectifs stratégiques communs et de dégager des priorités au regard des moyens mobilisables. Il implique l'ensemble de la filière dans une démarche collective qui allie tout à la fois la montée en compétence des acteurs en matière d'amiante et la standardisation des pratiques afin de garantir, sur l'ensemble du territoire national une égalité de traitement des travailleurs et une meilleure protection des citoyens.