PROTECTION SOCIALE. L'Allocation chômage des travailleurs indépendants (ATI) a fêté sa première année le 1er novembre 2020 mais semble avoir raté sa cible. Dans un contexte économique et social plus que jamais troublé, le président de l'association GSC, Anthony Streicher, analyse les dysfonctionnements du dispositif et réclame une vaste campagne d'information auprès des chefs d'entreprises.
Promesse du candidat Macron à l'élection présidentielle de 2017, l'Allocation des travailleurs indépendants, ou ATI, a été mis en place par le gouvernement d'Édouard Philippe en 2019 et a fêté le 1er novembre 2020 sa première année. Accessible aux chefs d'entreprises qui perdent leur emploi, elle permet de toucher 800 € par mois sur une durée de 6 mois. Mais d'après les chiffres et tendances issus de ce premier anniversaire, le dispositif semble avoir raté sa cible. L'association GSC, qui avait déjà tiré la sonnette d'alarme sur les imperfections de l'ATI, réclame ainsi plusieurs mesures pour mieux faire connaître l'allocation et en tirer un premier bilan. Son président, Anthony Streicher, analyse pour Batiactu les dysfonctionnements de l'aide et insiste sur la nécessité d'une vaste campagne d'information auprès des chefs d'entreprises.
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Batiactu : Avant toute chose, pouvez-vous nous présenter votre association ?
Anthony Streicher : L'association GSC a été créée il y a une quarantaine d'années par différentes organisations patronales, le Medef, la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) et l'U2P (Union des entreprises de proximité), qui sont parties du constat qu'un entrepreneur qui tire le rideau ne bénéficiait d'aucune couverture sociale. En 1979, GSC a donc souscrit le contrat d'assurance de groupe GSC auprès d'un pool d'assureurs composé de Groupama, Allianz, Generali et SMABTP, pour permettre aux entrepreneurs et aux mandataires sociaux de maintenir leurs revenus en cas de perte d'activité professionnelle et ainsi de pouvoir rebondir. L'association continue aujourd'hui à informer et à interpeller les chefs d'entreprises pour les inciter à mettre en place une solution de précaution, au cas où les difficultés s'accumuleraient.
Instaurée par le Gouvernement en 2019, l'ATI célèbre en ce mois de novembre 2020 sa première année d'existence. Quel bilan dressez-vous de ce dispositif ?
A. S. : On estime à l'heure actuelle que moins de 1% des chefs d'entreprises ont mis en place une solution, qu'il s'agisse d'un dispositif d'assurance-chômage ou d'un compte épargne spécifique. Le sujet est là. L'Allocation des travailleurs indépendants est une réponse à une promesse électorale d'Emmanuel Macron, qui souhaitait mettre en place une couverture universelle pour les entrepreneurs prélevée sur la CSG (Contribution sociale généralisée). L'ATI a bien été instaurée en novembre 2019 et est gérée par Pôle Emploi ; elle s'élève à 800 euros par mois pour une durée de 6 mois. Mais GSC avait déjà alerté à l'époque sur les critères d'éligibilité qui risquaient de rater leur cible, et cela se confirme aujourd'hui.
Plus de 22.000 chefs d'entreprises ont mis la clé sous la porte entre janvier et septembre 2020 ; or, seulement 2.352 dossiers de demande d'ATI ont été déposés sur ce même laps de temps, dont 700 ont bien donné droit à l'allocation. Environ 800 sont toujours en cours d'analyse et le reste a été refusé. Voilà le problème dramatique du dispositif : il est complètement passé à côté de son objectif. Et les perspectives ne sont guère optimistes, avec de premières tendances pour 2021-2022 qui estiment qu'entre 100.000 et 150.000 entrepreneurs risquent de tirer le rideau, les trésoreries se réduisant fortement.
Le segment de la rénovation s'en tire bien mais tout ce qui concerne les travaux publics et les chantiers d'infrastructures se retrouve dans une situation de plus en plus difficile. La construction est le plus gros pourvoyeur d'activité, et même si elle s'en tire un peu mieux par rapport à 2019, l'économie vit sous perfusion vu le nombre d'aides mises en place.
Disposez-vous de chiffres plus précis sur le secteur de la construction ?
A. S. : La première vision dont nous disposons à fin septembre 2020 sur l'ensemble de l'année écoulée montre que 4.720 chefs d'entreprises du secteur du bâtiment ont perdu leur activité, soit 21% du total. Le segment de la rénovation s'en tire bien mais tout ce qui concerne les travaux publics et les chantiers d'infrastructures se retrouve dans une situation de plus en plus difficile. La construction est le plus gros pourvoyeur d'activité, et même si elle s'en tire un peu mieux par rapport à 2019, l'économie vit sous perfusion vu le nombre d'aides mises en place. Le problème, c'est qu'on aide l'entreprise mais qu'on oublie l'artisan qui est derrière. Et 2021 sera probablement une nouvelle année complexe pour le bâtiment. En 2019, malgré un net recul de 8,3% par rapport à 2018, les entrepreneurs du BTP (24,9%) représentaient toujours un quart (24,9%) des pertes d'emploi. Les dirigeants des entreprises de gros-œuvre et second-œuvre ont été particulièrement concernés, avec respectivement 4.000 et 5.893 chefs d'entreprises ayant perdu leur emploi.
Ne pas dire aux chefs d'entreprises qu'ils peuvent - et même doivent - mettre en place des solutions de précaution pour leur avenir professionnel et personnel est pour le moins sidérant. L'échec fait évidemment partie de toute vie entrepreneuriale, mais il faut rendre le droit d'information obligatoire pour justement faire passer l'information à chaque entrepreneur.
Pour en revenir plus largement à l'ATI, quels sont les griefs que vous portez à son encontre ?
A. S. : Il y a un énorme défaut d'information : moins de 10% des chefs d'entreprises déposent un dossier de demande d'ATI auprès de Pôle Emploi. Ce chiffre est assourdissant de silence. Instituer un socle minimum est une chose, mais encore faut-il qu'il soit efficace. Mettre en place une protection sociale des entrepreneurs partait d'un bon principe, mais au final la montagne a accouché d'une souris. L'information est totalement atone : l'ensemble de l'écosystème ne communique pas sur l'ATI ! C'est notre rôle à tous que l'allocation devienne une cause nationale. Ne pas dire aux chefs d'entreprises qu'ils peuvent - et même doivent - mettre en place des solutions de précaution pour leur avenir professionnel et personnel est pour le moins sidérant. L'échec fait évidemment partie de toute vie entrepreneuriale, mais il faut rendre le droit d'information obligatoire pour justement faire passer l'information à chaque entrepreneur. D'autant que les interlocuteurs sont multiples et variés partout dans les territoires : le Gouvernement, Bercy, le ministère du Travail, les chambres consulaires, les organisations professionnelles représentatives…
Quelles sont vos propositions pour améliorer le dispositif existant ?
A. S. : Nous demandons de travailler sur quatre points qui nous paraissent essentiels : les deux premiers concernent l'élaboration d'un programme d'information à deux niveaux, d'abord celui de l'Etat et des chambres consulaires, et ensuite celui des organisations professionnelles et des cabinets d'avocats. Il est véritablement dramatique de ne pas agir en amont de la cessation d'activité et donc de la perte d'emploi. Mais il faut aussi savoir que 30% des bénéficiaires de l'ATI parviennent à relancer une activité par la suite. Le troisième point consiste à systématiser l'information sur l'allocation, et le quatrième vise à assurer cette information au moins une fois par an.
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L'association GSC demande également au Gouvernement la mise en place d'une mission d'évaluation de l'ATI pour en réaliser le bilan. Initialement, le taux de couverture du dispositif ambitionnait d'être d'environ 60% ; on estime qu'il est aujourd'hui inférieur à 10%. Quels sont les freins, les obstacles ? Pourquoi cela ne marche pas ? La communication a été très clairement ratée, et l'obtention de l'aide s'avère très compliquée. Pourquoi ne crée-t-on pas quelque chose de simple ? Il faudrait déjà que l'allocation soit efficace afin de toucher tout le monde, c'est pourquoi nous réclamons un assouplissement des critères d'éligibilité et du transfert d'information entre les parties prenantes. La première action immédiate à opérer, c'est donc de rendre l'ATI simple et accessible.
Les premières projections sur l'impact économique du second confinement commencent à être publiées, et font état de conséquences moins lourdes mais plus étalées dans le temps en comparaison au premier confinement. Que constatez-vous au niveau de votre association ?
A. S. : On estime que plus de 100.000 entreprises ont moins de 30 jours de trésorerie d'avance et ce, en prenant en compte l'ensemble des aides qui existent aujourd'hui. Un chiffre anormalement haut et qui prouve que c'est tout l'écosystème qui va se prendre une deuxième onde de choc avec le reconfinement de l'automne. À l'échelle de l'association GSC, nous avons ainsi mis sur pied un fonds social pour nos adhérents, qui vient en complément des dispositifs de soutien actuels, en comblant les trous dans la raquette du Gouvernement.