TRANSPORTS. Avec ses gares situées à grande profondeur et la variété des sous-sols rencontrés, le Grand Paris Express cumule les difficultés. Les entreprises de TP et d'ingénierie sont mobilisées à un niveau sans précédent afin de minimiser les risques, sans toutefois parvenir à les faire disparaître totalement. Coup de projecteur sur ces incidents qui peuvent coûter cher.
En 2016, deux fuites d'eau successives submergent le chantier de prolongement de la ligne 14 du métro parisien entre Saint-Lazare et Mairie de Saint-Ouen. Des "incidents" survenus lors de la réalisation de parois moulées qui ont conduit à une entrée de près de 40.000 m3 d'eau, soit près de 20 mètres de hauteur d'eau dans la station en construction, et entraîné une dizaine de mois de retard. Plus près de nous, les travaux de la gare Eole (RER E) de la porte Maillot ont percé le tube du RER A et provoqué le déversement de plus de 25 tonnes de boues sablonneuses dans le tunnel. Résultat : la circulation des trains entre La Défense et Saint-Lazare a été suspendue pendant quatre jours, générant une importante gêne pour des millions d'usagers. Deux exemples de problèmes rencontrés sur les chantiers du Grand Paris Express, cet énorme projet d'extension des transports ferroviaires en Île-de-France.
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Que d'eau, que d'eau !
Un sujet qui préoccupe le gouvernement au moment de l'entrée en phase opérationnelle du plan, comme le souligne un chapitre de son document portant sur l'infrastructure publié le 22 février dernier. Les services ministériels notent deux risques majeurs, dont le premier est d'ordre technique voire géotechnique. Ils résument : "Les gares du Grand Paris Express ont en effet des quais situés à grande profondeur pouvant atteindre plus de 50 mètres. De ce fait, les parois moulées réalisées pour la construction sont souvent à la limite des possibilités techniques : une épaisseur de 1,80 mètre pour une profondeur allant jusqu'à 70 mètres". Une profondeur où la géologie du bassin parisien, complexe avec des sables, marnes et argiles vertes, est peut-être moins bien connue. Or, comme le rappellent les auteurs du rapport, "Sur de tels ouvrages, le moindre décalage entre les panneaux des parois conduit à des points de fragilité alors que la nappe, souvent haut perchée, génère une hauteur d'eau de dizaines de mètres et plusieurs bars de pression".
D'où l'adoption de techniques anciennes mais non habituelles, comme sur le prolongement de la ligne 12 à Mairie d'Aubervilliers où le chantier a rencontré des difficultés de percement dans un couche de sable et de gypse tendre, non prévue. Les services des ministères racontent : "Cela a conduit les équipes du chantier à mettre en œuvre une technique dite de la 'congélation des sols' pour consolider le terrain et pouvoir poursuivre le creusement". Techniquement, cela revenait à créer un bouclier de terre congelée sur près de 2 mètres d'épaisseur et plusieurs mètres de diamètre, au moyen d'un réseau de tubes de refroidissement de 1.700 mètres de long. Pendant plusieurs mois, une saumure y a circulé à -35 °C afin de geler le sol à son contact. Une technique déjà employée au début du 20e siècle pour construire au sec la station Saint-Michel sur la ligne 4 du métro, située sous le niveau de la Seine, et réemployée notamment pour creuser les niches de sécurité du grand tunnel duplex de l'A86.
Un secteur des TP à la limite de ses capacités ?
Deuxième risque identifié, corollaire au premier : une saturation des capacités des entreprises de travaux publics et des sociétés d'ingénierie, mobilisées sur l'ensemble des sections de ce gigantesque projet. Cette fois, le gouvernement note : "La tension qui s'est faite jour dans ces domaines de haut niveau de qualification professionnelle ne doit pas être sous-estimée, aussi bien pour éviter des coûts trop importants que pour permettre la réalisation dans des conditions optimales de sécurité de ces infrastructures". Il met en parallèle le dernier pic d'activité de ce niveau en France, à la fin des années 1990, avec les mises en service simultanées de la ligne 14 entre Bibliothèque François Mitterrand et la Madeleine, du raccordement du RER D entre gare de Lyon et Châtelet-Les-Halles ainsi que du premier tronçon souterrain du RER E. Puis, au cours des 20 années qui ont suivi, les entreprises ont adapté leurs capacités à un volume de travaux nettement plus faible. Le Grand Paris Express va même se montrer sans précédent : sa réalisation "va multiplier par quatre le volume de travaux constatés habituellement dans ce domaine". Une évolution qui "pose nécessairement des défis de ressources matérielles et humaines", avec des formations à mener pour les personnels et des investissements dans des matériels spécifiques, y compris une trentaine de tunneliers !
Les services du Premier ministre avertissent que ces points ne peuvent être ignorés et qu'ils imposent que le calendrier de réalisation du Grand Paris Express tienne bien compte de ces contraintes déterminantes. D'où la présentation, par Edouard Philippe lui-même, d'un nouvel échéancier pour l'achèvement des travaux ligne par ligne, entre 2024 et 2030, pour les dernières phases. Le gouvernement note que le coût global a déjà fortement évolué, passant de 25 à 35 Mrds € (+40 %) à cause de "coûts réels minorés" et de "risques mal pris en compte". La survenue des incidents déjà évoqués plus haut et d'autres perturbations (notamment la fermeture partielle de la RD1 pour 34 mois à Boulogne-Billancourt) n'a fait que renforcer la détermination de l'exécutif qui espère limiter cette inexorable hausse des coûts, tout en améliorant la sécurité des interventions.
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Comme le mentionne le rapport publié par le gouvernement, des travaux d'infrastructures souterraines génèrent régulièrement des incidents en surface, y compris à l'étranger. Le document donne l'exemple du tunnel ferroviaire sous Rastatt (Allemagne), creusé dans le cadre du projet d'autoroute ferroviaire entre Rotterdam (Pays-Bas) et Gênes (Italie). Ses travaux ont provoqué, le 12 août 2017, un affaissement de 80 cm d'une plateforme ferroviaire existante sur une longueur de 160 mètres environ, entraînant un arrêt complet des circulations pendant plusieurs semaines. Quant au tunnel, il entrera en service avec 2 années de retard sur les prévisions.
Autre exemple, celui du tunnel ferroviaire entre Olten et Aarau (Suisse) qui a provoqué un effondrement de 6 mètres de diamètre et 3 mètres de profondeur, en plein champ à Gretzenbach, après le passage du tunnelier, quelques 15 mètres plus bas. Un incident qui rappelle celui de la ligne 2 du tramway de Nice, survenu en juillet 2017.