DÉCRYPTAGE. La Banque de France tire une nouvelle fois la sonnette d'alarme face à l'aggravation des délais de paiement observée depuis le début de l'année. Certains acteurs plaident pour un renforcement des sanctions.
"La maîtrise des délais de paiement est un enjeu majeur pour nos entreprises. Mais je tire l'alarme : il n'est pas acceptable de voir de nouveau ces délais s'aggraver depuis le début de l'année 2024 - 12,9 jours à fin juin selon les chiffres d'Altares." L'avertissement de François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, en introduction des Assises des délais de paiement et des financements organisées le 17 octobre à Paris, devrait mettre la puce à l'oreille des entrepreneurs.
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L'institution monétaire met en évidence que les délais fournisseurs se stabilisent en moyenne à 51 jours en 2022 et 2023. Mais il y a une inégalité particulièrement inquiétante aux yeux du gouverneur : "Plus de la moitié des grandes entreprises et 44% des ETI paient leurs fournisseurs en retard, alors que moins de 30% des PME (hors micro-entreprises) payent en retard". La situation est plus satisfaisante du côté de l'État mais le feu repasse à l'orange pour certaines collectivités territoriales.
"Cette situation pénalise les PME qui souffrent d'un déficit de trésorerie estimé à 15 milliards d'euros en 2023", prévient François Villeroy de Galhau. Selon lui, "il faut une vraie mobilisation - probablement doit-on être encore plus exigeant en prononçant des sanctions en pourcentage de chiffre d'affaires". La Banque de France s'est déjà saisie du dossier : au 31 août 2024, les dégradations de ses cotations ont bondi de 37% sur un an.
Les TPME particulièrement lésées
Mais quid des autres acteurs économiques ? Pour Nicolas Flouriou, à la tête de l'AFDCC (Association française des 'credits managers' et conseils), "certaines entreprises sanctionnées n'ont toujours pas compris pourquoi elles l'ont été, et disent 'on paye mal parce qu'on est mal payé'". Une attitude jugée "totalement irresponsable" et qui peut parfois conduire jusqu'à la défaillance d'entreprises, surtout chez les plus petites.
Le président de la Figec (Fédération nationale de l'information d'entreprise, de la gestion des créances et de l'enquête civile), Charles Battista, estime pour sa part qu'il y a d'un côté le discours théorique, et de l'autre la réalité du terrain.
"Il y a ceux qui peuvent mais ne veulent pas et il y a ceux qui veulent mais ne peuvent pas. Il y a 350.000 PME qui font l'activité économique de ce pays ; or il n'y a pas 350.000 grands groupes dans ce pays", déroule-t-il. "On décide en ce moment de réduire les aides à l'apprentissage et d'arrêter le portail gratuit pour la facturation électronique, mais il faut donner des clés aux entreprises, leur donner de la visibilité pour affronter la conjoncture actuelle."
Quelque peu lassés de constater que les mêmes sujets reviennent toujours sur la table, les observateurs préfèreraient ne pas voir le pic actuel des retards de paiement se transformer en plateau. "Arrêtons la communication ! En France, on communique beaucoup mais on n'agit peu ; or il est temps d'agir pour nos entreprises", lance Charles Battista.
Les grands groupes sont plus vertueux dans le BTP
Il convient cependant de distinguer la tendance actuelle de la tendance de long terme. "Il y avait une amélioration depuis le Covid mais cela s'aggrave de nouveau", note la présidente de l'Observatoire des délais de paiement, Virginie Beaumeunier.
Qui rappelle que le respect des délais de paiement "est d'abord le respect d'un engagement contractuel". Une mauvaise organisation ou un manque d'informations peut être à l'origine de ces retards, sans pour autant, bien évidemment, les justifier. C'est pourquoi l'observatoire planche sur un guide de bonnes pratiques pour les marchés inter-entreprises.
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Même si comparaison n'est pas raison, un tour d'horizon des pratiques au-delà de nos frontières peut être riche d'enseignements. Les écarts de délais de paiement s'avèrent ainsi significatifs entre la France et les Pays-Bas, le Portugal ou la Grande-Bretagne. Idem entre les régions Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur, par exemple.
"Dans la construction, 53% des entreprises payent dans les délais. Mais alors que, d'une manière générale, les entreprises les plus vertueuses sont les TPE, dans la construction, ce sont les grandes entreprises qui sont les plus vertueuses, et les TPME qui le sont le moins", relève Jérôme Mandrillon, le délégué général des Assises des délais de paiement.
"Effet taille"
"En France, il y a un effet taille dans le public comme dans le privé : plus la structure est grande, plus il peut y avoir du retard", embraye Gilles Lambert, responsable marketing produit chez Altares. Sachant qu'en fonction des pays, la situation peut aller d'un extrême à l'autre : tandis que 95% des entreprises du Danemark sont vertueuses, moins de 40% des entreprises portugaises le sont.
Une fois de plus, la solidarité financière revient donc en force dans les débats. "Dans la filière construction, très sinistrée, les grandes entreprises ont compris qu'elles doivent être solidaires avec les TPME", note le responsable du pôle d'expertise financière d'Ellisphere, Alain Luminel. Et pour cause : "Il y a un écart de 20% entre la trésorerie théorique et la trésorerie disponible".
Mais si les constats se répètent, les solutions vraiment efficaces peinent à émerger. "Il y a un côté triste à toujours tenir les mêmes discours depuis au moins 10 ans sur les délais de paiement, surtout dans le contexte difficile actuel", soupire le Médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet. Selon lui, 25 à 30% des médiations diligentées par ses services concernent des délais de paiement.
Se saisir de l'affacturage inversé
Et de pointer un effet cascade : "Les clients nous disent : 'Tant que mon client grand compte ou ETI ne m'aura pas payé, je ne pourrai pas payer à mon tour mes clients TPME'. C'est donc tout notre tissu économique qui s'en trouve fragilisé." Les acteurs envoient donc encore et toujours le même message : il faut payer ses fournisseurs en temps et en heure.
"Le monde de la construction est spécifique, ne serait-ce que parce qu'il y a beaucoup d'acteurs publics et privés", souligne Pierre Pelouzet. "Je ne peux donc qu'engager toutes les entreprises du BTP à consulter nos guides consacrés à la commande publique et à se saisir de l'affacturage inversé."
À l'heure où de très nombreuses entreprises communiquent, parfois à outrance, sur leur politique RSE, le Médiateur des entreprises souhaiterait que leurs paroles soient justement suivies d'effets. "C'est bien de faire des choses pour l'environnement ou pour la société - et il faut le continuer à les faire. Mais la RSE, c'est aussi payer ses fournisseurs à temps."
Modifier les sanctions et mieux interpréter la réglementation
"On voit qu'il n'y a pas de solution miracle", résume Frédéric Visnovsky, le Médiateur du crédit. Rejoignant François Villeroy de Galhau, il juge "essentiel" de modifier le régime des sanctions, "qui pénalise aujourd'hui les petites entreprises car ce sont elles qui payent le plus en réalité".
Présente à l'évènement, la directrice administrative et financière de Cemex, Dalila Tardy, en appelle à une mobilisation plus large : "Les entreprises de la construction sont solidaires mais nous avons besoin du soutien de partenaires financiers et de cabinets comptables qui devraient mieux interpréter la réglementation pour notre secteur d'activité".
Autant de prises de position qui n'ont pas convaincu Jean-Lou Blachier, secrétaire confédéral de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) : "Vous faites de bonnes analyses mais ces analyses ne sont pas des solutions. On se retrouve chaque année pour tenir les mêmes analyses, mais j'aimerai qu'on trouve enfin des solutions pour nos entreprises, alors travaillons ensemble !" Les prochains mois montreront si le message est passé ou non.