Une instruction interministérielle datée du 27 avril appelle les préfets à juger "illégale" la clause Molière. Celle-ci vise notamment à lutter contre le travail détaché en obligeant les salariés à parler français sur les chantiers publics.
Toute utilisation de la clause Molière doit être traitée comme "illégale", car elle s'opposerait à la directive européenne sur le détachement de travailleurs. C'est le verdict posé par une instruction interministérielle datée du 27 avril et adressée aux préfets. Elle a été signée par quatre ministres : Myriam El Khomri (Travail), Michel Sapin (Economie), Mathias Fekl (Intérieur) et Jean-Michel Baylet (Aménagement du territoire). La réalisation de cette circulaire avait été annoncée en mars dernier.
Ce texte précise ainsi aux préfets le cadre juridique à opposer aux collectivités territoriales dont les actes "tendraient à limiter, voire interdire, le recours aux travailleurs détachés".
Pour rappel, la clause Molière en marchés publics vise à rendre le français obligatoire sur les chantiers, ou d'avoir recours à un interprète. Comme on sait, les défenseurs de la clause Molière font valoir qu'elle permet surtout d'assurer la sécurité sur les chantiers, grandement dépendante du fait que les compagnons se comprennent les uns les autres par l'emploi d'une langue commune. Des arguments balayés par les pouvoirs publics.
"Discrimination à l'égard des travailleurs d'autres Etats membres"
En effet, d'après l'instruction interministérielle, la clause Molière "ne saurait se réclamer valablement de la volonté de protéger les travailleurs, compte tenu des garanties qui leur sont apportées par le droit européen et national". Si des mesures de protection des travailleurs peuvent être légitimes, elles ne doivent pas créer de "discriminations directes ou indirectes à l'égard des opérateurs économiques et des travailleurs d'autres Etats membres". En outre, le droit national organise déjà "la lutte contre le travail illégal" et "l'emploi irrégulier de travailleurs détachés". En effet, le Code du travail impose à l'employeur détachant des salariés en France des obligations, dont l'application d'un "noyau dur de droits" en matière de durée du travail, de salaire minimum, de santé et de sécurité.
Enfin, le texte rappelle également que les maîtres d'ouvrage doivent afficher sur le lieu de travail la réglementation en vigueur, "traduite dans l'une des langues officielles parlées dans chacun des Etats d'appartenance des salariés détachés". Ainsi, imposer la maîtrise du français est "discriminatoire" et "porte atteinte au principe d'égal accès à la commande publique".
"Il fallait voir si ce dispositif était légal ou non"
Une source proche du dossier, au ministère de l'Economie et des Finances a apporté, pour Batiactu, plusieurs éclairages concernant la mise au point de cette instruction. "C'est le ministère du Travail qui a impulsé la rédaction de ce texte", nous explique-t-on. "Il s'était soucié de ces décisions liées à la clause Molière qui relevaient de certaines régions." Questionné sur le timing de la sortie de cette instruction, qui a beaucoup fait parler durant la campagne présidentielle, cette source du ministère nous répond que "élection ou pas, il fallait surtout voir si ce dispositif était légal ou non. C'est pourquoi les quatre ministères ont pris le temps de vérifier s'il pouvait être mis en place. Le gouvernement se doit d'être le rempart contre les pratiques qui sont contraires à la loi."
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De son côté, Patrick Liébus, président de la Capeb, a réagi à l'application de cette instruction à Batiactu. "Cette clause nous convenait bien pour résoudre le problème du travail détaché et de la sécurité sur les chantiers. Mais nous attendions d'avoir la confirmation qu'elle était bien légale. J'espérais qu'elle était bien réglementaire, et ceci afin d'éviter aux artisans de se retrouver en situation difficile lors de l'attribution d'un marché. Nous prenons acte de la décision des pouvoirs publics. Toutefois, nous rappelons que le problème du travail détaché se résoudra au niveau de l'Europe."
Contactée par Batiactu, la Fédération française du bâtiment (FFB), qui s'est prononcée plusieurs fois en faveur de la clause Molière, n'a pas souhaité réagir.