INNOVATION. Les parlementaires de l'Opecst estiment que la France ne met pas assez de moyens dans la R&D orientée vers la rénovation thermique et l'efficacité énergétique. Ils proposent qu'un institut de recherche dédié soit créé pour travailler sur des problématiques techniques et comportementales, égratignant au passage le CSTB.
La rénovation énergétique des logements ne va pas assez vite dans le pays pour que la France puisse tenir ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Comme le rappelle l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), la loi Grenelle I votée à l'été 2009, fixait un objectif de réduction de la consommation des bâtiments de -38 % en 2020, prévoyant 4 millions de rénovations lourdes et 9 millions de rénovations intermédiaires, sans toutefois en préciser le niveau de performance. De très importantes incitations financières ont été allouées, s'élevant à 3,8 Mrds € pour la seule année 2015. Pourtant, la consommation énergétique totale des logements n'a que faiblement baissé, passant de 498 TWh à… 493 TWh (-1 %). "L'atteinte des objectifs nationaux et sectoriels implique donc une véritable rupture dans la démarche de rénovation énergétique", scandent les députés Jean-Louis Fugit et Loïc Prud'homme, auteurs d'un rapport sur le sujet, un an après la tenue de débats au sein de l'Opecst.
BIM et ITE ? Hors sujets
Ils notent tout d'abord que "la démarche en matière de construction neuve n'est pas immédiatement transposable à la rénovation" : les gains qui sont visés dans la réhabilitation thermique, de l'ordre de plusieurs centaines de kWh/m²/an, sont en effet très supérieurs aux niveaux désormais atteints par les bâtiments neufs où les progrès ne font plus grappiller que quelques dizaines de kWh/m²/an. Les deux parlementaires écartent instantanément la maquette numérique, comme solution miracle : "Des solutions numériques performantes pour la construction neuve, comme le BIM (Building information modeling), ne sont pas nécessairement transposables, sans un important travail d'adaptation, au monde de la rénovation". De même, pour les isolants, ils assènent : "Les caractéristiques des matériaux développés pour les constructions neuves, souvent épais et contraignants en termes de pose, ne répondent pas nécessairement à la diversité des situations en rénovation". Exit donc le polystyrène expansé rapporté en ITE, ou les importantes couches de laines minérales.
Miser sur les aérogels et isolants minces
Que proposent alors les auteurs de ce rapport ? Tout d'abord de pousser les recherches dans le domaine des "matériaux thermo-isolants très performants" : ils citent les aérogels, notamment issus de silices, qui pourraient "être intégrés à un revêtement mural ou projetés lors d'un ravalement". Ils évoquent également les isolants minces ou sous vide, voire des produits biosourcés. De quoi relancer le débat entre fabricants d'isolants en laines minérales et adeptes des solutions issues de l'aéronautique. Le rapport estime également que les sources de chaleur non carbonées doivent s'imposer, peut-être en récupérant de la chaleur fatale, et que les performances de certains équipements comme les pompes à chaleur aérothermiques doivent être améliorées en période de grand froid. Des recherches devraient également être menées dans la qualité de l'air intérieur, le confort et le respect du bâti existant, selon Jean-Louis Fugit et Loïc Prud'homme, ceci afin d'améliorer les conditions de vie dans les logements et conditions de travail dans les immeubles tertiaires.
Mais comment y parvenir alors qu'ils font valoir que "l'effort de recherche publique et privée en matière de rénovation énergétique n'apparaît pas à la hauteur des défis scientifiques et techniques à relever". Ils égratignent tout d'abord le secteur privé, en soulignant que le secteur du bâtiment qui génère un chiffre d'affaires colossal de 130 Mrds € n'allouait qu'entre 0,1 et 0,2 % de ce montant à la R&D. Depuis plusieurs années, les statistiques de l'Institut national de la propriété intellectuelle (Inpi) et de l'Office européen des brevets (OEB) montrent bien que les grands groupes français - hormis Saint-Gobain et Schneider-Electric - sont étrangement absents des classements d'innovation. Les membres de l'Opecst déclarent que les "grands groupes" sont, "à quelques notables exceptions près, peu mobilisés sur les problématiques de la rénovation énergétique". Et ce ne sont pas les myriades de PME qui pourront faire un effort conséquent de R&D. Autre problème, "une désaffection croissante des grands organismes publics de recherche et de financement pour le domaine de la performance énergétique des bâtiments". Ils déplorent à la fois des budgets de recherche et une communauté scientifique en déclin depuis plusieurs années. "En particulier, les crédits alloués par l'Agence nationale de recherche (ANR) à des projets concernant le bâtiment sont en décroissance : seulement un ou deux projets ont été attribués à des jeunes chercheurs", écrivent-ils.
Le CSTB encore une fois malmené par l'Opecst
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Quid du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, organisme public de recherche sur ces thématiques ? Les deux rapporteurs signalent que "des équipes très compétentes existent" en son sein, ainsi qu'au CEA et dans "quelques centres universitaires régionaux". Mais pour eux, la France ne dispose pas d'un grand pôle de recherche dans le domaine. Ils proposent donc la création d'un Institut de recherche dédié au bâtiment, potentiellement financé en partie par le secteur privé. De même, les députés Fugit et Prud'homme recommandent que la centralisation des diagnostics immobiliers au sein d'un observatoire géré par le CSTB, soit étendue et accélérée, avec la création d'un véritable Observatoire du bâtiment qui surveillerait l'état du parc national et évaluerait les actions engagées. Deux façons de déposséder le Centre Scientifique de ses prérogatives ? Car l'Opecst critique depuis de nombreuses années son fonctionnement dans l'évaluation technique des produits de la construction qui serait un frein à l'innovation. Le nouveau rapport ne sera donc pas de nature à améliorer les relations entre les deux organisations. Mais influencera-t-il le monde de la rénovation thermique ?