ÉGALITÉ. Violences sexistes et sexuelles, invisibilisation… Les sujets concernant l'égalité homme-femme sont encore nombreux dans la profession d'architecte. L'Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa) s'est saisie de ces enjeux lors de son événement annuel, tenu fin octobre à Reims.

La profession d'architecte se féminise mais les inégalités subsistent entre hommes et femmes. La part des femmes architectes a doublé en 20 ans, passant de 16,6% en 2001 à 32,3% d'inscrites à l'Ordre des architectes en 2021, selon l'étude Archigraphie 2022-2023 du Conseil national de l'Ordre des architectes (Cnoa). Les femmes représentent 60% de la part d'étudiants en écoles mais la différence de salaires entre les genres une fois diplômés est énorme (38,8%).

 

Le sujet intéresse fortement l'Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa), qui a pris ces enjeux à bras-le-corps lors de son congrès annuel à Reims (Marne) du 24 au 26 octobre 2024. Une table ronde a ainsi été organisée. "L'Unsfa a un rôle à jouer, en donnant la parole [à des experts] à part égal", affirme Virginie Granger, vice-présidente de l'Unsfa.

 

Peu de femmes récompensées

 

"Beaucoup de jeunes femmes me disent qu'elles ont besoin d'avoir des femmes à qui s'identifier", témoigne Anne Labroille, architecte, élue au Conseil régional de l'Ordre des architectes d'Ile-de-France (Croaif) à la commission sur l'égalité et co-fondatrice de l'association MéMO (Mouvement pour l'equité dans la maîtrise d'œuvre), un groupement d'architectes, urbanistes et paysagistes, qui œuvre à lutter contre les inégalités professionnelles.

 

"Neuf pour cent de femmes sont à la tête d'agences qui produisent des bâtiments d'envergure. Les femmes sont aussi peu représentées dans la presse spécialisée et dans les espaces de consécration", souligne-t-elle, citant des données de "l'étude sur les dynamiques de genre dans l'architecture, pratiques professionnelles, inégalités et violences de genre" de 2023.

 

Depuis le premier prix Pritzker remis à un professionnel, seuls 6% de femmes ont été récompensés, et 4% pour les Albums des jeunes architectes et paysagistes (Ajap). Aucune femme n'a remporté le Grand Prix national de l'architecture (en dehors des récompenses remises à des agences dirigées par des équipes mixtes).

 

(In)visibilisation

 

Son association, la Drac Île-de-France et la maison de l'architecture Île-de-France ont imaginé une série d'ouvrages, dont le premier tome "Elles construisent : portraits d'architectes franciliennes" vient d'être publié. "Ce livre présente le travail de 16 femmes architectes franciliennes, pour la plupart très engagées sur le développement durable. Certains ont critiqué l'écriture de ce livre mais je leur réponds que le jour où il y aura l'égalité, alors, nous n'aurons plus besoin d'écrire des ouvrages et de créer des prix dédiés aux femmes", poursuit Anne Labroille.

 

"Je remarque des réticences chez certaines à ce que leur travail soit mis en lumière. Notre profession est encore très patriarcale pour que même les femmes aient du mal à assumer le fait d'être femmes architectes." L'association constate plus globalement un phénomène "d'auto-invisibilisation". C'est notamment le cas de Lu Wenyu, cofondatrice du bureau Amateur Architecture Studio à Hanghzou (Chine). Son mari, Wang Shu, avec qui elle fonde l'agence en 1998 remporte le prix Pritzker. Lu Wenyu a refusé ce trophée, affirmant qu'elle préférait "s'occuper de son fils".

 

Congrès des architectes 2024 UNSFA exposition (In)visibles
L'exposition (In)visibles a été imaginée par MéMO et a été présentée lors du Congrès des architectes 2024. © L-A F. pour Batiactu

 

Son parcours est raconté dans l'exposition (In)visibles, imaginée par MéMO et présentée lors du Congrès des architectes 2024. L'installation qui met en lumière un héritage architectural féminin raconte la carrière d'une quinzaine de femmes architectes. "Des calques montrant des hommes architectes reconnus [tels que Le Corbusier ou Norman Foster] cachent des portraits de femmes", explique Aurélie Vanhove, membre du collectif MéMO. Elle affirme n'avoir "pas assez étudié de femmes architectes" lors de ses études. "Leur travail n'était pas visibilisé."

 

Un sexisme encore présent en agence

 

L'autre sujet important que veut mettre en lumière l'Unsfa est celui du sexisme dans la profession. "Soixante-huit pour cent des violences sont verbales, 21% concernent des interpellations familières et 14% sont des propos réduisant [la victime] à un objet sexuel", chiffre Virginie Granger, en s'appuyant sur une enquête de l'Unsfa de 2022.

 

Le sexisme est particulièrement répandu sur les chantiers (64%) mais aussi lors de réunions (29%) et en agence (22%). Les agresseurs sont le plus souvent des maîtres d'ouvrage (44%), des entrepreneurs du bâtiment (43%) et des supérieurs hiérarchiques (25%).

 

Ces violences sexistes et sexuelles poussent au licenciement ou la fin de la collaboration dans 31% des cas, à la mise en place de stratégie (21%). "Seuls 5% s'installent comme indépendantes", fait remarquer la vice-présidente de l'Unsfa. "Heureusement, des actions se mettent en place, notamment avec la branche architecture, composée d'organisations syndicales de patrons et salariés."

 

Un cadre juridique pour aider

 

"La branche a justement négocié un accord sur l'égalité en 2021, et un comité égalité a été créé", indique Tassadithe Ouazzar, responsable des affaires juridiques et sociales de l'Unsfa. "Le cadre juridique est un levier au service de l'employeur et des salariés, et non une contrainte, pour le bon fonctionnement de l'entreprise. Notre volonté est de faire changer les mentalités mais le plafond de verre existe toujours au sein des entreprises. Nous avons constitué des groupes de travail, notamment sur le thème des agressions sexistes et sexuelles, et avons mis en place une campagne de sensibilisation à destination des sociétés pour les sensibiliser."

 

Le sujet plus général de l'égalité homme-femme sera de nouveau discuté ces prochains mois par les professionnels. L'Unsfa mène actuellement une enquête "architecte et maternité" et a déjà obtenu plus de 500 réponses.

 

"Soixante-quinze pour cent des répondantes souhaiteraient que la maternité soit davantage prise en compte par les organisations, telles que l'Ordre, les syndicats et les assureurs", affirme Virginie Granger. Les résultats de cette étude devraient être connus prochainement. Par ailleurs, Anne Labrouille présentera une étude sur les dynamiques de genre dans l'architecture au ministère de la Culture d'ici décembre prochain.

 

 

 

actionclactionfp