SANTÉ. L'exercice 2021 se traduit par une forte reprise de l'activité pour les artisans du bâtiment, d'après un baromètre consacré à leur santé et conditions de travail. Les professionnels ont retrouvé leur rythme d'avant la crise sanitaire, qui s'est même accentué à cause du contexte économique actuel. Ce qui génère davantage de fatigue et pèse sur le moral.
Le retour de l'activité rime avec le retour de la fatigue. Surtout dans un contexte économique difficile : des problèmes d'approvisionnement - voire des pénuries - affectant les matériaux et les équipements, qui entraînent logiquement une hausse de leurs prix, tout comme ceux de l'énergie d'ailleurs ; des trésoreries qui doivent composer avec le remboursement des PGE (prêts garantis par l'État) ; des difficultés de recrutement sur certains postes... Pour les artisans du bâtiment, tous ces éléments sont à prendre en compte dans leur quotidien, ce qui finit inéluctablement par peser sur leur fatigue et leur moral.
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C'est le principal enseignement de la 8e édition du baromètre Arti Santé BTP, une enquête nationale sur la santé et les conditions de travail des chefs d'entreprises artisanales de la construction, réalisée en janvier dernier - donc avant le déclenchement du conflit russo-ukrainien - auprès de 1.800 professionnels, et co-pilotée par la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), la Chambre nationale de l'artisanat des travaux publics et du paysage (CNATP) et l'Institut de recherche et d'innovation sur la santé et la sécurité au travail (Iris-ST).
Si la majorité des artisans ont donc retrouvé leur rythme d'avant-Covid - lequel s'est même accentué -, cela n'est pas sans conséquence sur leur santé : la part de chefs d'entreprises travaillant plus de 60 heures par semaine a progressé de 5 points. "La reprise de l'activité dans le bâtiment apporte évidemment de l'optimisme aux chefs d'entreprises mais le contexte actuel très incertain et les contraintes du quotidien ne leur permettent pas de retrouver totalement la sérénité ni de garder le moral", analyse le président de la Capeb, Jean-Christophe Repon.
Qui rappelle que les tâches administratives pèsent "trop fortement" sur les très petites entreprises : "C'est un enjeu de simplification sur lequel nous oeuvrons quotidiennement afin d'apporter un meilleur accompagnement administratif et juridique aux entreprises".
"Multitude de tâches"
Dans le détail, l'étude explique que cette charge de travail accrue est en partie imputable à "la multitude de tâches" qu'elles ont à effectuer : réalisation de chantiers, gestion du personnel, élaboration des devis, gestion et contact des clients, démarches administratives... Ces dernières représentent 10 à 25% du temps de travail des artisans et a tendance à "augmenter considérablement" lorsque l'entreprise emploie plus de 5 salariés.
"À noter que cette charge de travail concerne l'ensemble des dirigeants, quelle que soit leur situation familiale (en couple, seul, avec ou sans enfant) mais qu'elle évolue en fonction de la taille de l'entreprise", précise l'enquête. L'année dernière, 14% des chefs d'entreprises travaillant seuls ont déclaré faire plus de 60 heures par semaine, contre 42% pour ceux employant 11 à 15 salariés.
"Le volume d'heures de travail de nos chefs d'entreprises artisanales demeure toujours élevé. Celui-ci l'est particulièrement pour nos petites structures où toutes les responsabilités pèsent sur la même personne", abonde Françoise Despret, présidente de la CNATP. "Dans un monde de plus en plus procédurier, nous constatons depuis de nombreuses années une part de l'activité dédiée à l'administratif non productif toujours plus chronophage, et d'autre part l'évolution des mentalités des clients toujours plus exigeants sur les délais de réponse de leurs devis", poursuit la responsable.
Les troubles du sommeil et la fatigue, deux fléaux qui affectent l'activité
Dans l'ensemble, l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée reste très délicat à atteindre pour les artisans du BTP : en 2021, 79% ont estimé que leur travail empiétait sur leur vie personnelle, contre 85% en 2020 et 87% en 2019. Sur le plan de la santé à proprement parler, 76% des sondés se déclarent cependant en forme. "Pour la 8e année consécutive, les douleurs musculaires sont en baisse. Une donnée d'autant plus encourageante que les troubles musculo-squelettiques sont la principale cause d'accident du travail et de maladie professionnelle dans le secteur de la construction", peut-on lire dans l'étude.
Malgré cela, les patrons interrogés continuent de souffrir de douleurs articulaires, de troubles émotionnels, de maux de tête ou encore de problèmes de sommeil. Un artisan sur deux se dit a fortiori fatigué, ce qui entraîne de nombreuses conséquences néfastes : 49% se réveillent en pleine nuit, 38% se réveillent précocement le matin sans parvenir à se rendormir, et 22% ont du mal à trouver le sommeil en se couchant. À noter : 4% des professionnels ont pris des médicaments pour les aider à s'endormir en 2021, contre 2% en 2019. Les problèmes de sommeil ne sont clairement pas à prendre à la légère dans la mesure où ils affectent l'activité des deux tiers des sondés !
"Or cette fatigue risque de s'accroître avec la hausse de la charge de travail et le contexte géopolitique actuel de la guerre en Ukraine dont les conséquences sur la hausse des prix inquiètent de plus en plus les chefs d'entreprises", prévient l'étude. Les répondants ont été 83% à reconnaître que les métiers du bâtiment sont physiquement durs, et mentalement difficiles à 87%. Les principales causes de tracas semblent être la gestion des chantiers, les démarches administratives et les difficultés du quotidien pour 51% d'entre eux ; un chiffre en baisse pour la première fois.
Un petit tiers des artisans rencontrent des troubles psychiques
Pour autant, 67% des artisans de la construction jugent être soutenus et accompagnés dans la gestion de leur entreprise. S'agissant des autres, ils sont 48% à demander plus d'accompagnement de la part des services de l'État, 44% de la part des comptables et 42% de la part des organisations professionnelles. Certains sujets cristallisent par ailleurs cette demande de soutien : les dossiers juridiques (santé/sécurité, droit salarial, assurance) pour 42%, le management des effectifs pour 17%, la formation pour 16%. Par contre, presque un chef d'entreprise sur trois affirme n'avoir besoin d'aucun autre accompagnement.
Mais alors que 34% des sondés - ils étaient 32% en 2020 - ont avoué rencontré des troubles psychiques (anxiété, épuisement, dépression) l'année dernière, seulement la moitié ont évoqué leurs difficultés à un interlocuteur quelconque, "soit une baisse de 8 points en comparaison avec 2020". Pis, ceux qui ne se sont pas confiés estiment à 90% qu'ils ne doivent pas le faire pour ne pas inquiéter leur entourage, et à 47% qu'ils ne voient pas l'utilité d'en parler. Pour les organisations à l'origine du baromètre, il faut donc renforcer la sensibilisation des chefs d'entreprises et de leurs proches, ces derniers ayant "souvent un rôle central dans ces situations".
Progressivement, les artisans font toutefois de plus en plus remonter leurs soucis à leurs organisations professionnelles : de 6% en 2020, ils sont passés à 9% en 2021. Les actions de sensibilisation devraient notamment cibler davantage les patrons dont la pérennité de leur entreprise est menacée (23% en 2021) : ceux-ci ne sont que 23% à se faire aider (-4 points par rapport à 2020), bien qu'ils soient 52% à avoir abordé le sujet (+2 points).
"Malgré une fatigue physique et morale toujours présente chez les chefs d'entreprises, nous constatons cette année que les répondants semblent plus aptes à demander de l'aide en cas de besoin, notamment auprès de la Capeb", confirme Cécile Beaudonnat, présidente de la commission nationale des femmes de l'artisanat et chargée des questions de santé-sécurité à la confédération.
Quel rapport les artisans de la construction entretiennent-ils avec leurs congés ?