TRAVAIL. Dans une récente enquête, le syndicat des indépendants (SDI) constate une précarité financière personnelle grandissante de près de la moitié des travailleurs indépendants et des dirigeants des petites entreprises françaises. Ceux du secteur du Bâtiment subissent à la fois l'inflation, les pénuries de matériaux mais aussi un manque cruel de candidats.
Les indépendants et dirigeants des très petites entreprises poussent un cri d'alerte. Face à une inflation galopante et les crises - sanitaire, énergétique, ukrainienne et pénuries - qui se multiplient, beaucoup sont à bout. Au point, pour certains, de vouloir jeter l'éponge. Alors que le gouvernement prépare son projet de loi sur le pouvoir d'achat, le syndicat des indépendants (SDI) tire la sonnette d'alarme. Près de la moitié des indépendants et dirigeants de TPE se rémunère moins d'un Smic mensuel pour un temps de travail hebdomadaire de presque 50 heures, selon des données de 2019 de l'Urssaf.
L'année 2022 n'a fait que renforcer le phénomène de précarité. La baisse du pouvoir d'achat se confirme, entraînant la chute de la consommation des ménages. De nombreux dirigeants et indépendants doivent ainsi baisser leur rémunération, déjà faible, pour s'acquitter des dépenses de l'entreprise et s'assurer du versement des salaires de leurs salariés. Rien qu'au premier trimestre 2022, ils sont 53% à observer une baisse de pouvoir d'achat s'échelonnant entre 10% et 30%, selon une enquête* menée auprès de 1.657 adhérents du SDI. Les pénuries de matières premières et la hausse de celles-ci par les fournisseurs ont un impact sur les entreprises, qui répercutent les prix ou, souvent, rognent leurs marges. In fine, ce sont les rémunérations des indépendants et dirigeants qui sont revues à la baisse pour compenser ces dépenses. Au total, 83% des chefs de TPE indiquent que le bond des prix de l'énergie et des matières premières a eu un impact négatif sur leur activité.
Une augmentation du chiffre d'affaires en demi-teinte
Durant la crise du Covid-19, en 2020 et 2021, les aides déployées par l'État ont concerné les outils de production et le maintien dans l'emploi des salariés, "y compris la facilitation de l'endettement des entreprises par les prêts garantis par l'État (PGE) et les différents moratoires sur le paiement des charges", souligne Marc Sanchez, secrétaire général du SDI, contacté par Batiactu. Mais "aucune n'avait pour objet ou pour effet de s'attacher à la personne du chef d'entreprise et de sa rémunération. Et donc aussi, de garantir la sauvegarde pérenne de l'outil de production", selon lui. Les professionnels concernés n'avaient pas le droit non plus au chômage partiel. L'Urssaf a estimé que les revenus de 2021 des travailleurs non-salariés seraient de moitié inférieurs aux revenus de 2020.
La précarité des indépendants et dirigeants de TPE se creuse dans une période difficile, où ils doivent rembourser les 61 milliards d'euros de dettes accumulées sur les deux dernières années via le PGE et le report de charges Urssaf. C'est pourquoi le SDI souhaite donner une visibilité aux oubliés de la crise économique, "qui ont permis à la France de garder la tête hors de l'eau un certain temps" mais qui sont aujourd'hui "impactés, entravés, parfois laminés". "Entre l'augmentation des loyers commerciaux, celle des matières premières et, maintenant, la potentielle hausse des salaires des salariés, la coupe est pleine", tranche-t-il. Et si l'Ordre des experts-comptables a notifié un chiffre d'affaires des TPE/PME en progression depuis 2019, Marc Sanchez parle plutôt de "rattrapage après le Covid-19". "Ce n'est pas parce qu'il y a un chiffre d'affaires plus important que l'on note une hausse nette des marges ou une augmentation de la rémunération du dirigeant."
"Pour vivre et non survivre"
Pour l'instant, le faible niveau de défaillances des entreprises fait dire au secrétaire général du SDI qu'il n'est pas inquiet pour ses confrères. L'enquête du syndicat illustre pourtant des situations de détresse de certains professionnels. L'une décrit : "depuis décembre mon mari et moi nous ne pouvons pas nous verser nos salaires. [...] Fiches de paie à zéro." Un autre demande à ce qu'une solution soit trouvée "pour que l'on puisse vivre et non survivre". Le constat est sans appel : beaucoup de dirigeants ont dû rogner dans leurs économies et salaires pour payer les charges et préserver des emplois. Du côté des professionnels du Bâtiment, la situation reste "compliquée". Ils se trouvent "à flux tendu et subissent les pénuries et hausses des matières premières mais aussi des difficultés de recrutement. Les apprentis manquent à l'appel pour la rentrée de septembre 2022", affirme Marc Sanchez.
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Plusieurs propositions mises en avant
Pour que les porteurs de projets trouvent un juste équilibre, le SDI propose plusieurs leviers d'action qui aideraient à éviter que la trésorerie et la rémunération des dirigeants soient perturbées. Le blocage de l'indice des loyers commerciaux durant deux ans est évoqué, tout comme la suppression de la répercussion sur le locataire commercial du paiement de la taxe foncière due par le bailleur. "Dans certaines régions, des adhérents ont vu la taxe foncière bondir de 25%", chiffre Marc Sanchez. Il estime également primordial d'allonger le droit de la durée de remboursement du PGE d'au moins deux ans, et l'étalement du paiement des charges personnelles Urssaf de 2021 des dirigeants, sur 12 à 36 mois. Cela serait "une bouffée d'air pour les entreprises", considère-t-il. Cette dernière mesure est d'ailleurs soutenu par 41% des sondés.
Toutes les mesures proposées ne pèseraient, selon le délégué général, pas sur le budget de l'État. À tout cela, le SDI suggère l'extension aux TPE du bouclier tarifaire énergétique. Le syndicat espère obtenir des réponses lors du prochain rendez-vous avec le cabinet de la Première ministre Élisabeth Borne. Prévu le jeudi 9 juin 2022, cette réunion vise à discuter du projet de loi sur le pouvoir d'achat. "Nous lui parlerons également des PGE contractés par les indépendants et petites entreprises de moins de cinq salariés, afin que la vision gouvernementale englobe davantage de secteurs d'activités."
* L'enquête a été menée par le syndicat des indépendants auprès de 1.657 artisans, commerçants, professionnels libéraux et dirigeants de très petites entreprises.