MAQUETTE NUMERIQUE. Si l'Île-de-France est une région dynamique sur la question du BIM, comment son déploiement se déroule-t-il dans les autres régions ? Cinov a fait parler des professionnels de la construction, lors de la première étape du REX BIM Tour, ce 4 décembre 2018, à Nancy (Meurthe-et-Moselle).
Dominique Sutra del Galy, président de la fédération Cinov (métiers de la prestation intellectuelle du conseil, de l'ingénierie et du numérique), nous précisait, ce mardi 4 décembre : "Il faut aller vers la réalité dans les territoires, pour aller voir ce qu'est le BIM sur le terrain". Car il se passe évidemment beaucoup de choses en dehors du microcosme parisien quant à l'adoption des pratiques de travail collaboratif dans le bâtiment. Pour parler de leurs expériences, plusieurs spécialistes de la question en région Grand Est étaient invités à Nancy, première date du REX BIM Tour.
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Bien établir les besoins en amont
Antoine Cavelier, responsable BIM d'Habitation Moderne, un bailleur social gestionnaire de 10.000 logements, a présenté la toute première tentative d'utilisation de la maquette numérique pour la conception-réalisation d'un bâtiment mixte, mêlant 80 logements et pôle associatif à Strasbourg. "Dans cette opération, le BIM a été envisagé dès la phase de sélection de la maîtrise d'œuvre, comme critère de notation", dévoile-t-il. Le bailleur s'est d'ailleurs rapproché du pôle Fibres Energie Vie, afin d'obtenir une assistance à maîtrise d'ouvrage déjà expérimentée. Philippe Jaqglin, lui aussi responsable BIM mais pour Fibres Energie Vie, précise : "La volonté d'expérimenter le BIM sur un projet où il y a déjà un architecte, un bureau d'études, c'était un peu compliqué car tous les acteurs n'étaient pas au fait". Malgré tout, plusieurs objectifs semblent avoir été atteints : "La facilité du travail collaboratif a été à moitié convaincante. Les architectes ont été un peu solitaires et la démarche n'est pas aboutie. Concernant la lisibilité et l'exploitation de la maquette, il s'avère qu'elle a été très utilisée en amont, mais plus du tout en phase exécution… Aucun DOE ne sera livrable en numérique", détaille Antoine Cavelier. Idem sur les possibilités de communication autour du projet, largement utilisées auprès de l'Eurométropole de Strasbourg et des riverains lors des étapes initiales mais délaissées par la suite. Sur le gain de temps constaté en phase chantier, il préfère réserver sa réponse et attendre la livraison des premiers locaux, au mois de mars 2019.
Le responsable BIM d'Habitation Moderne énumère ensuite les limites de cette première tentatives : "Cela manquait de définition des besoins : charte BIM, usages, niveau de détail (LOD) et niveau d'information (LOI). Ensuite, il y a eu une superposition inutile entre démarche BIM et démarche classique, avec un suivi en parallèle des deux, qui a été chronophage. Et le BIM chantier est resté purement théorique". Le spécialiste note un certain manque de formation des professionnels, à tous les niveaux (MOA, prestation intellectuelle, entreprise générale). Le bailleur social a donc lancé un audit interne, à la fin de 2017, afin d'améliorer ses procédures et sélectionner ses outils logiciels. "Le but est d'être prêts d'ici 6 mois, pour lancer une autre opération en BIM, au 2e trimestre de 2019, avec tout ce qu'il faut et éviter de partir dans tous les sens". La nomination d'un référent BIM en interne, chargé de rédiger la charte puis d'en vérifier l'application, devrait permettre d'optimiser l'organisation de ce second projet.
Un investissement en temps et en argent qui n'est pas anodin
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Camille Bouchon, gérante du bureau d'études Solaresbauen, et Guillaume Zilio (Nunc Architectures) ont, pour leur part, insisté sur les aspects financiers de l'adoption du BIM au sein des cabinets. Ils annoncent : "Ce sont des investissements qui ne sont pas anodins, avec 1.800 € par collaborateur formé, plus 3.000 € de licences, une mise à jour du parc informatique de 600 €, une perte de productivité - au moins pendant un certain temps - de l'ordre de 3.000 € et une période dédiée à la création de gabarits propres, estimée à 1.000 €. Soit un total de 10.000 € par poste, ce qui représente une part non négligeable du chiffre d'affaires". L'étape de création de gabarits correspond, pour Camille Bouchon, à une reprise des objets BIM fournis par les industriels, généralement trop "lourds" et ne correspondent pas toujours aux formats usités en interne. Ayant collaboré sur plusieurs projets, dont un centre culturel patrimonial à Strasbourg et un ensemble de 128 logements à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), les deux partenaires prévoient d'améliorer encore leur travail collaboratif avec la mise en place de serveurs et de VPN. Ils envisagent également de pouvoir gérer les simulations thermiques et les métrés au moyen de la maquette numérique, et notent que le BIM a un effet pernicieux : "Le sentiment de facilité repousse les prises de décision".
Justement sur les questions de thermique, Damien Lang du bureau d'études Cyberfluides, relate : "Nous avons débuté notre historique BIM assez tôt, en 2014, en souhaitant anticiper pour ne pas subir. D'abord par des études thermiques sur les maquettes numériques, puis avec du dessin BIM, pour réaliser des plans fluides en niveau 1, c'est-à-dire de façon isolée. Ensuite, nous avons travaillé sur un projet de biométhaniseur, cette fois avec des plans BIM de niveau 2, avec l'ensemble des autres acteurs". Trois ans après ces premiers pas, le bureau d'études estime être entré dans une phase où l'outil est devenu "productif". Cyberfluides prodigue même des formations agréées auprès d'architectes. Parmi les freins identifiés, Damien Lang évoque : "Le jargon qu'il faut acquérir, ce qui prend beaucoup de temps et qui peut faire peur avant de se lancer. Et l'investissement économique est lourd, de l'ordre de 70.000 € pour notre bureau d'études. L'investissement en temps, 1,5 année à temps plein pour une personne, implique un manque de rentabilité au début. Ce n'est pas neutre pour une petite structure". Lancé sur le projet "La Licorne" de logements Bepos à Strasbourg et sur celui du siège régional de Maersk à Copenhague, Cyberfluides explique travailler encore une fois en BIM niveau 2, en partie grâce à un poste de BIM manager entièrement financé par le Plan de Transition Numérique dans le Bâtiment. Même si de nombreux problèmes d'interopérabilité sont apparus entre les solutions utilisées par l'architecte (AllCAD), l'ingénieur structure (Allplan) et ceux des fluides (Revit), obligeant à passer par le format IFC, il note que le BIM permet de résoudre les problèmes de clash et de mieux coordonner des équipes qui travaillent à distance. "C'est bon pour l'activité à l'international. Le BIM confère des avantages techniques et commerciaux au final", assure-t-il. Damien Lang soutient que le nombre d'avenants en phase exécution a été divisé par deux et que le gain de temps, lors de la réalisation, est de l'ordre de 10 %. Des arguments qui pourraient convaincre de nouveaux professionnels, jusqu'ici frileux, de se lancer dans la démarche.