Les outils pour lutter contre le travail détaché en France ne manquent pas aujourd'hui. Mais encore faut-il qu'ils soient appliqués et respectés sur le terrain, rappelle Gilles Savary, député PS, auteur de la loi française qui a tout déclenché. Morceaux choisis.

La bagarre contre le contrat du travail détaché monte d'un cran. Reconnaissant que "l'enjeu de la relance du secteur du bâtiment est essentiel cette année", la ministre du Travail, Myriam El Khomri, compte, en effet, beaucoup sur les dispositions des autorités pour y faire face. Pour cela, elle dispose différents outils : Loi Savary, loi Macron, décret "liste noire" paru au Journal officiel le 23 octobre 2015... Et bientôt, deux autres décrets paraitront, celui relatif aux donneurs d'ordres et celui attendu pour février 2016, consacré à la carte d'identification professionnelle des salariés du BTP.

 

 

Tout est donc en place, mais encore faut-il que soient respectés et appliqués ces principes, ce que ne semblent pas percevoir à ce jour les responsables des organisations professionnelles du bâtiment, l'un des principaux secteurs concernés.

 

"Un sujet aussi explosif que la directive Bolkestein", Gilles Savary

 

C'est lors d'un colloque*, organisé le 12 janvier dernier à la Maison de l'Europe à Paris, que le député socialiste de la Gironde, Gilles Savary, principal artisan de la loi votée le 11 juillet 2014 a rappelé l'importance d'appliquer le dispositif complémentaire à la directive d'application visant seulement le bâtiment et les travaux publics.

 

"Ce qui m'a déterminé à faire une proposition de loi le 8 janvier 2014, qui je reconnais au début n'intéressait pas le Gouvernement, c'est la prise de conscience du Président de la République, au printemps 2013, sur le fait qu'il s'agissait d'un sujet
aussi explosif que la directive Bolkestein…
confie le député de la Gironde. J'observais justement que nous étions en train de passer d'un détachement des travailleurs, qui était un détachement d'accompagnement des échanges matériels entre Etats membres, à une utilisation du détachement devenue systématique dans le cadre des stratégies d'optimisation sociale par le recours à de faux détachés."

 

La philosophie de la loi, votée il y a deux ans, est donc assez simple, estime-t-il : "Les contrôles exhaustifs étant impossibles compte tenu de la finitude des moyens des services d'inspection et de la difficulté qu'ils ont à appréhender les montages très complexes auxquels se livrent les prestataires de main-d'œuvre et des entreprises, les sanctions doivent être rapides et exemplaires, complète le député. Elles doivent pouvoir atteindre les entreprises installées en France impliquées dans la fraude en faisant surtout jouer leur responsabilité en tant que donneur d'ordre ! "

Quatre trains de mesures

Où en est-on à ce jour de l'application de la loi ? Depuis 18 mois, quatre trains de mesures ont été enclenchés : "Le renforcement des modalités de détachement ; l'accroissement de la responsabilité des donneurs d'ordres vis-à-vis de leurs co-contractants et sous-traitants, la création d'une sanction administrative nouvelle spécifique aux situations de détachement et enfin un élargissement de l'action de substitution des syndicats à la défense des travailleurs détachés ou victimes de travail dissimulé."

 

Au-delà, de sa loi, Gilles Savary salue les moyens mis en place par Manuel Valls, le 12 février 2015, via la Commission nationale de lutte contre le travail illégal. Ainsi que les mesures suivantes : la possibilité de taxer à un maximum de 500.000 euros les entreprises sans déclaration de détachement ou sans désignation d'un représentant sur le territoire national, la faculté donnée au préfet de sanctionner immédiatement un chantier ou une entreprise en le fermant pendant une durée maximale d'un mois, ou la généralisation d'une carte d'identité professionnelle dans le bâtiment et les travaux publics demandée par la Capeb, la FNTP et la FFB. Sur ce dernier point, le député se montre toutefois perplexe sur ses résultats. "Je m'interroge sur son efficacité sur le long terme ! Des salariés pourront la falsifier, ou se la refiler sur le chantier, j'en suis sûr !", estime-t-il.

"Parvenir à un bloc commun, la France reste très isolée sur le sujet"

Par ailleurs, le principe de responsabilité solidaire qui vient d'être validé par Bruxelles marchera-t-il en Europe en cas de fraude, permettant de faire payer la chaîne des donneurs d'ordres ? "Sans une coopération administrative entre les vingt-huit, ce sera très difficile, reconnaît Gilles Savary. J'espère avant tout que l'on parvienne à un bloc commun ! La France demeure très isolée sur le sujet, malgré le soutien du Benelux, l'Espagne et l'Italie. Or le bloc de l'Est -notamment formé de la Pologne, Roumanie, Albanie- allié au Royaume-Uni, à l'Irlande et aussi aux scandinaves s'opposent fermement aux contrôles d'inspection du travail !"Malgré tout, la formule suivante "A travail égal, salaire égal" répétée ces mois-ci par la Commission européenne va dans le bon sens, conclut le député Gilles Savary.

 

*Colloque "Le détachement des travailleurs, vers un dumping social en Europe ? ", organisé le 12 janvier 2016 à la Maison de l'Europe, à Paris

 

Qu'est-ce que le détachement ?
Un travailleur est considéré comme "détaché" s'il travaille dans un État membre de l'UE parce que son employeur l'envoie provisoirement poursuivre ses fonctions dans cet État membre. Par exemple, un prestataire de services peut remporter un contrat dans un autre pays et décider d'envoyer ses employés exécuter ce contrat sur place. Cette catégorie ne comprend pas ni les travailleurs migrants qui se rendent dans un autre État membre pour y chercher un emploi et qui y travaillent, ni les réfugiés.

 

 

Pour rappel : en 1996, la Communauté européenne promulguait une directive garantissant au détaché le même socle de droits, notamment la rémunération, qu'aux salariés du pays hôte, les charges sociales continuant à être acquittées dans le pays d'origine.

 

En chiffres, d'après un rapport du Conseil économique social et environnemental, (CESE), réalisé par Jean Grosset, en septembre 2015, la France recensait officiellement en 2013 quelque 210.000 détachés. Quant au nombre de travailleurs français officiellement détachés à l'étranger il serait stabilisé autour de 290.000 personnes.
Source: CESE.

 

 


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