ARCHITECTURE. Composante récurrente des projets architecturaux actuels, la végétalisation des bâtiments est souvent présentée comme pertinente au vu des enjeux environnementaux. L'architecte Alain Sarfati a néanmoins livré à Batiactu son analyse sur le sujet, en relevant quelques contradictions. Entretien.
Nombre de projets de construction actuels proposent une végétalisation du bâti, soulignant l'intérêt et la pertinence de cet élément au vu des enjeux environnementaux auxquels nous sommes confrontés. Nonobstant leur aspect esthétique, les végétaux présenteraient d'autres avantages : absorption des émissions de CO2 dans des milieux urbains toujours plus denses et pollués, réduction des îlots de chaleur, développement de l'agriculture urbaine… Pourtant, à l'heure où les citadins souhaitent voir la nature réinvestir la ville, l'architecte Alain Sarfati estime que d'autres questions mériteraient d'être posées. Il s'est entretenu avec Batiactu pour préciser sa pensée, et expliquer le rôle que l'architecture doit jouer, selon lui, pour renouer le lien entre la nature et l'homme.
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Batiactu : En tant qu'architecte, quel est votre avis sur la végétalisation du bâti ? Plus largement, quel lien établissez-vous entre nature et architecture ?
Alain Sarfati : Je crois que l'on va au-devant de très grosses difficultés en s'amusant à croire que tout peut être végétalisé. En fait, on ne s'intéresse pas vraiment aux raisons motivant les citadins à demander plus de nature. On croit que recouvrir les bâtiments de végétaux est une bonne chose, mais bien souvent les individus qui sont en charge de ces projets n'ont jamais eux-mêmes cultivé un bout de jardin ! C'est pourquoi on en arrive à une espèce de fascination misérable. S'il y a une telle attente de végétaux, qui n'est pas nouvelle en soi, c'est que cela correspond à une dimension compensatoire : depuis Haussmann [préfet de la Seine qui a radicalement transformé l'architecture de Paris sous le Second Empire, NDLR], la ville a été redécoupée mais elle a aussi introduit le concept d'arbre d'alignement. Aujourd'hui, les citadins réclament la même chose en posant à leurs élus la question : que pouvez-vous nous offrir pour calmer nos angoisses ? On est là face à une vraie dimension métaphorique de l'architecture. Je pense qu'il y a une véritable réflexion à conduire pour accorder une place plus importante à l'air et à l'eau dans les projets architecturaux. Et pour cela, on ne peut pas s'appuyer que sur des végétaux.
Aujourd'hui, les citadins réclament la même chose en posant à leurs élus la question : que pouvez-vous nous offrir pour calmer nos angoisses ? On est là face à une vraie dimension métaphorique de l'architecture. Je pense qu'il y a une véritable réflexion à conduire pour accorder une place plus importante à l'air et à l'eau dans les projets architecturaux.
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Batiactu : L'architecture doit donc se remettre elle aussi en question, et arrêter de suggérer de végétaliser les bâtiments ?
A. S. : C'est de la communication et de la mauvaise communication, qui masque le besoin d'opérer un vrai travail de fond sur l'ambition éthique de l'architecture. Aujourd'hui, on attend de cette dernière qu'elle soit aimable, ronde, attentionnée, mais dans les faits on assiste à une architecture minimaliste et même brutale, violente. A l'heure actuelle, c'est le quantitatif qui fait l'architecture, alors que c'est la nature des attentions qui devrait la guider. On assiste donc à du "green washing" en bonne et due forme. Les écologistes vont nous dire que la photosynthèse absorbe le CO2 - certes, mais c'est une part infime !
Batiactu : Dès lors, quelles solutions les architectes sont en mesure de proposer ?
A. S. : L'architecture doit jouer ce rôle de faire vivre l'imaginaire. Il ne faut pas perdre de vue qu'on nage toujours dans des contradictions : je rappelle que, d'un point de vue historique, la nature n'existe pas dans la ville. La ville, par définition, est faite pour être dense, pour accueillir l'humain, et la nature s'est toujours située à l'extérieur de la ville. Donc quand on nous dit qu'on veut faire rentrer la nature dans la ville, on se fout de notre gueule [sic]. La cité, les végétaux… chacun doit rester à sa place. L'architecture, pour sa part, doit entretenir des relations spécifiques avec la nature. Il faut inventer une nouvelle architecture, qui intègre dans ses espaces esthétiques une dimension naturelle, avec l'eau et l'air, mais sans pour autant se peindre en vert. Pour moi, la nature, c'est autre chose que la végétation. Il faut regarder vers le ciel, vers l'horizon.