INTERVIEW. Signataire du courrier envoyé au Premier ministre dans le cadre du projet de loi Logement, le Président de l'Ordre des architectes, Denis Dessus nous explique la démarche du collectif.

La conférence de consensus était tout juste clôturée qu'un collectif, composé de présidents d'organismes professionnels de l'acte de bâtir, adressait un courrier au Premier ministre Edouard Philippe pour l'alerter notamment sur les risques d'une remise en question des règles de la commande publique et de la loi MOP pour les bailleurs sociaux publics. Denis Dessus, président du Conseil National de l'Ordre des Architectes (CNOA), est l'un des signataires. Il explique à Batiactu les raisons qui ont poussé ce collectif à agir.

 

Batiactu : Quelle est l'origine de cette démarche ? Pourquoi vous êtes-vous réunis pour adresser ce courrier au Premier ministre ?
Denis Dessus :
Nous avons déjà, à plusieurs occasions, travaillé ensemble, notamment sur des contrats globaux à l'époque des PPP ou des exceptions à la loi MOP avec la conception-réalisation, et nous collaborons, maîtrise d'oeuvre et entreprises, tous les jours sur les chantiers dans notre pratique professionnelle. Dans le cadre du projet de loi logement, nos organisations ont joué le jeu de la concertation et ont porté de multiples contributions pour satisfaire les objectifs affichés de l'accès au logement pour tous. Mais il se trouve que le projet de loi ne dit pas grand chose sur des négociations hors conférence de consensus qui s'attaquent aux principes d'une bonne gestion des deniers publics.

 

"Il serait incompréhensible que les bailleurs sociaux ne soient pas exemplaires dans la passation de leurs marchés", Denis Dessus

 

La prorogation envisagée de la possibilité d'utiliser la conception-réalisation, qui est une dérogation au principe de l'allotissement, sans avoir à justifier de motifs techniques, est un frein à la libre concurrence. Nous sommes attachés à une concurrence entrepreneuriale ouverte. Les PME et artisans constituent le tissu économique dans tous nos territoires et ils doivent avoir un libre accès à la commande publique par l'allotissement. Le risque de revoir arriver une politique des modèles est sous-tendu par les articles du projet de loi concernant la préfabrication. Une loi n'a pas à privilégier une filière de construction et doit surtout éviter de reproduire les vieilles recettes et les erreurs d'une approche productiviste qui ne sert que des intérêts marchands et non les besoins de la population.

 

Apparemment l'Etat cède tout et n'importe quoi aux bailleurs sociaux en compensation de leur restructuration. Un protocole d'accord a été ainsi signé avant la conférence de consensus entre le gouvernement et l'ESH remettant en cause le concours, demandant l'assouplissement des règles de la commande publique et, en séance, l'USH a carrément demandé de ne plus être soumis à la loi sur la maîtrise d'ouvrage publique. La loi MOP est pourtant une démarche qualité, un vecteur de transparence et d'efficacité, une loi particulièrement bien écrite et efficace dont il faut veiller à conserver les principes et toute l'intégrité. Il serait incompréhensible que les bailleurs sociaux ne soient pas exemplaires dans la passation de leurs marchés. Ils veulent également s'affranchir du concours d'architecture, procédure obligatoire mais qui ne s'impose que dans une part marginale de la production des logements sociaux. Cela démontre la méconnaissance des bailleurs sociaux des outils de la commande publique et de ce qu'ils peuvent leur apporter pour construire des logements de bonne qualité au meilleur coût. Transparence dans les choix, libre concurrence, architecture et urbanisme de qualité dans la production du cadre bâti, voilà ce que demandent les six organismes signataires*.

 

Batiactu : Pourquoi avoir réagi si tôt, avant même d'avoir eu connaissance des textes de loi ?
Denis Dessus :
Nous savons très bien que cette conférence de consensus a permis de satisfaire le Sénat, les parlementaires et élus locaux. Cela a aussi permis de mettre tout le monde autour de la table et d'entendre tout le monde. Mais nous savons aussi que les arbitrages et la rédaction se font indépendamment de cette conférence de consensus. Le protocole d'accord signé en décembre entre le gouvernement et l'ESH concerne tous les prestataires privés, toutes les entreprises qui travaillent avec les bailleurs sociaux et qui n'ont pourtant pas été associés aux discussions.

 

Quand nous voyons que l'article 25 du projet de loi, qui concerne la restructuration des bailleurs, indique qu'il va y avoir des modifications, des assouplissements de la commande publique et que cet article est en discussion, nous constatons que nous ne sommes pas dans les discussions. Je rappelle que la commande publique concerne deux acteurs : l'acheteur public et le prestataire. Et dans le cas présent, les discussions se font sans les prestataires, sans les entreprises, ni la maîtrise d'œuvre alors que nous sommes les concepteurs du cadre bâti. Cela est difficilement admissible.

 

Ce qui est fait ne va pas dans le bon sens. Les bailleurs sont en colère, nous l'avons bien compris, car ils ont été ponctionnés. Mais en compensation, on risque de les sortir des bonnes pratiques de la maîtrise d'ouvrage publique et des règles de la commande publiques, voilà pourquoi nous avons réagi tout de suite. Avant que les textes ne soient figés.

 

Batiactu : Qu'en est-il de vos discussions avec les bailleurs sociaux ?
Denis Dessus :
Nous avons organisé de nombreuses réunions à l'Ordre avec tous les acteurs, les principaux bailleurs mais aussi des ONG du logement. Nous travaillons avec tout le monde pour maîtriser nos sujets et faire des propositions constructives à chaque fois qu'il y a une loi.

 

"S'attaquer à la loi MOP et au concours, c'est s'attaquer à de merveilleux outils et c'est totalement contreproductif pour atteindre les objectifs de la loi : construire plus, moins cher et mieux", Denis Dessus.

 

Concernant les bailleurs, nous les avons audités et avons pu, par exemple, avancer sur les problématiques de VEFA. Sur ce sujet, il est clair que la dérégulation de l'achat de logements sociaux en vefa a de multiples effets pervers, avec des logements de moins bonne qualité à coût égale et un urbanisme médiocre. Il faut recadrer la vefa pour que le phénomène soit contrôlé et conforme aux règles de l'achat public. Sur les points clivant, nous essayons de trouver de bonnes solutions. Notre rôle n'est pas de défendre les intérêts des architectes mais de trouver les démarches pour, in fine, produire les meilleurs bâtiments, la meilleure architecture et le meilleur cadre de vie, et permettre l'accès pour tous à des logements confortables. C'est notre seul credo. Donc lorsque nous voyons que quelque chose dysfonctionne, nous mettons le doigt dessus et essayons de l'améliorer. S'attaquer à la loi MOP et au concours, c'est s'attaquer à de merveilleux outils et c'est totalement contreproductif pour atteindre les objectifs de la loi : construire plus, moins cher et mieux.

 

 

Batiactu : Quelle est la prochaine étape ? Maintenir la pression, rencontrer à nouveau les bailleurs sociaux... ?
Denis Dessus :
C'est plutôt de rencontrer ceux qui rédigent les lois. En essayant de leur faire comprendre qu'il ne faut pas détruire les excellents outils qui font que l'architecture français est enviée à l'international. L'objectif est donc de préserver les règles de la commande publique, la loi MOP et l'intérêt public.

 

*Les signataires sont :
Denis Dessus, Président du Conseil national de l'Ordre des architectes
Patrick Liébus, Président de la CAPEB
Dominique Sutra Del Galy, Président de la Fédération CINOV
Charles-Henri Montaut, Président de la Fédération des SCOP BTP
Jean François Fraysse, Président de la SNSO
Régis Chaumont, Président de l'UNSFA

INFORMATION DE DERNIERE MINUTE

Les architectes en appellent à Emmanuel Macron

 

C'est une mobilisation inédite des architectes. Toute la profession : grands noms de l'architecture, représentants des organisations professionnelles et associations d'architectes ont adressé ce 13 février un courrier au président de la République, Emmanuel Macron, pour réclamer le maintien du concours d'architecture et de la loi MOP pour les bailleurs sociaux.

 

Comme nous l'a confié Denis Dessus, le président de l'Ordre des architectes, lors de notre entretien, la profession craint que la future loi Logement de touche aux règles de la commande publique. "Cela n'entrainerait aucune augmentation, accélération de la production de logements, ou économie, mais génèrerait une architecture et un urbanisme dégradés", écrivent-ils.

 

Lire la lettre, téléchargeable sur le site du CNOA.

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