LECTURE. La présidente du Conseil national des architectes, Christine Leconte, et l'urbaniste Sylvain Grisot signent un essai coup de poing sur le secteur de la construction face au changement climatique. Réhabilitation, lutte contre l'étalement urbain, matériaux biosourcés, abandon du "tout-voiture"... de nombreuses thématiques y sont abordées.

Et si les porteurs de projet de construction envoyaient valser les anciens modèles établis ? C'est ce que proposent l'architecte Christine Leconte et l'urbaniste Sylvain Grisot dans leur ouvrage "Réparons la ville !". Dans cet essai de 91 pages publié en février 2022 par les éditions Apogée, les auteurs s'emparent du sujet du réchauffement climatique sous le prisme du BTP. Le livre, destiné aux décideurs et aux habitants, se lit comme une conversation à deux voix. Les villes sont, selon les auteurs, les "grandes oubliées des politiques" et ne répondent pas assez aux besoins de leurs habitants. A travers différentes thématiques propres au secteur de la construction, Christine Leconte, présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes (Cnoa), et Sylvain Grisot, fondateur de dixit.net, une agence de conseil et de recherche urbaine engagée pour les transitions de la fabrique de la ville, dessinent ses enjeux. Leurs aspirations écologiques les poussent à inventer le monde de demain, en imaginant une ville à la fois durable et agréable. "On ne peut plus attendre" pour agir face au changement climatique, réagissent les deux auteurs dans leur ouvrage. Les porteurs de projets doivent répondre "aux enjeux du siècle". Feux de forêts, sécheresse, inondations, canicules… L'adaptation de la ville aux effets du dérèglement est urgente, alors que les événements climatiques s'enchaînent et sont de plus en plus violents.

 

 

Or, nombreux porteurs de projets et élus continuent de choisir "l'étalement urbain et la construction neuve", critiquent les auteurs. Ces derniers appellent à engager une transformation du territoire, en jouissant des infrastructures existantes. L'utilisation et la reconversion de l'existant sont des moyens de lutter contre l'accroissement des gaz à effet de serre générés par le secteur du Bâtiment. Sylvain Grisot travaille régulièrement sur des reconversions de friches. "Construire un immeuble nécessite 70 fois plus de matériaux et produit cinq fois plus d'émissions de gaz à effet de serre qu'une réhabilitation", avance-t-il. La façon de fabriquer la ville est en "contradiction" avec les enjeux planétaires, selon lui. "Je n'arrive pas à me résoudre à la destruction de terres agricoles pour y étaler des lotissements et des zones de tout type, alors que des friches et des bâtiments vacants se multiplient", écrit-il. L'aménagement du territoire doit ainsi être repensé, argue sa consœur, en conjuguant les projets et le monde du vivant. Peu de professionnels du secteur embrassent pourtant cette philosophie. "La construction de la ville épuise les ressources naturelles et énergétiques", avertissent les auteurs, qui rappellent que le BTP consomme le plus de ressources minérales et produit le plus de déchets en France. L'extension des espaces urbains grignote des sols agricoles, naturels et forestiers. Ainsi, 20.000 à 30.000 hectares sont artificialisés en France chaque année, selon le ministère de la Transition écologique. Un chiffre qui augmente quatre fois plus vite que la population.

 

La construction neuve "accélère le volume de déchets"

 

Pour voir émerger de nouveaux modèles de ville, il faut permettre à des projets pionniers de se lancer, continuent l'urbaniste et l'architecte. Mais aussi, abandonner "la monoculture automobile", néfaste au développement de la proximité des usages. L'interdiction systématiquement de la circulation automobile devant les écoles, la création de plus de pistes cyclables à l'échelle des agglomérations et la généralisation des dimanches sans voiture sont prônées par les auteurs. Quant à la construction neuve, elle fait l'objet d'une analyse. Si les professionnels de l'immobilier estiment que la construction de 500.000 logements neufs chaque année est nécessaire pour répondre à la demande en France, Sylvain Grisot et Christine Leconte considèrent que la construction neuve "accélère l'étalement urbain, multiplie les surfaces à entretenir, la consommation de matières premières et le volume de déchets". Il n'est cependant pas question d'arrêter de construire. Ils proposent simplement, parmi les solutions disponibles sur le territoire, de réhabiliter certaines habitations parmi les trois millions de logements vacants.

 

Il faut "rompre avec un mode de fabrication de la ville focalisé sur les grandes opérations et des produits immobiliers neufs standardisés" et se détourner de la "standardisation à outrance" des logements, continuent les auteurs. Ils regrettent "l'effondrement" de la qualité des logements neufs et la "banalisation" de la mono-orientation des bâtiments, empêchant toute ventilation naturelle. Ces logements ne répondent pas aux besoins des habitants et n'aident pas à réguler les prix du marché, alertent-ils.

 

Quid des matériaux ?

 

Sans surprise, la question des matériaux est abordée dans cet ouvrage, qui encourage le réemploi et l'utilisation de matériaux biosourcés locaux. Bois, terre, paille, osier, chanvre… Ces matériaux issus de la biomasse, peu transformés, possèdent de bonnes performances d'isolation et sont efficaces pour réguler les variations de températures d'un bâtiment. A contrario, le béton, qui permet "la construction de deux tiers des bâtiments dans le monde", est le produit manufacturé le plus émissif en gaz à effet de serre, soulignent les auteurs, qui préconisent de l'employer avec parcimonie.

 

 

L'adaptation de la ville aux effets du changement climatique ne pourra se faire sans le rassemblement d'élus, de professionnels de la construction et de citoyens autour de cette question. La présidente du Cnoa et l'urbaniste aimeraient que cet ensemble d'acteurs se mobilisent pour définir des stratégies locales, notamment sur le développement des filières de matériaux. Christine Leconte prévoit en tout cas un avenir nouveau pour les métiers du secteur, avec l'apparition de nouvelles professions, comme "ingénieur en non-construction", "aménageur agricole" ou "écologue urbain".

 

Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires, Christine Leconte et Sylvain Grisot, éditions Apogée, prix éditeur : 10 euros.

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