DÉBAT. Profitant de la publication de son Livre blanc sur la qualité de l'enveloppe du bâti, le Pôle de compétitivité Fibres-Energivie adresse une salve de recommandations techniques aux pouvoirs publics, dans l'espoir que la réglementation intègre des aspects considérés comme négligés jusqu'ici. Détails.
Le Pôle Fibres-Energivie se présente comme un organisme de compétitivité alliant recherche publique et entreprises privées pour proposer in fine des pistes de réflexion afin d'améliorer le bâtiment durable en France. Basé dans le Grand Est, le pôle regroupe environ 200 membres, et ses travaux couvrent tout le processus, de l'extraction des granulats à la maintenance du bâti en passant par sa construction. D'une manière générale, le groupe de travail sur la qualité de l'enveloppe (GTQE) du pôle Fibres-Energivie s'inscrit dans une démarche d'accompagnement de trois sujets : la transition énergétique, la transition écologique et la transition numérique.
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Ce mercredi 12 décembre, le GTQE a dévoilé le fruit de ses travaux de réflexion, qui se veut un outil de synthèse et de prospective avant l'arrivée de la Réglementation Environnementale 2020 : un Livre blanc intitulé "Réussir la transition énergétique. Une enveloppe performante pour un bâtiment sain et économe", dont l'ambition est d'apporter sa pierre au débat public. Les neuf membres du groupe, qui représentent tant les industriels que les bureaux d'études, les assureurs et les organismes professionnels, ont planché pendant 18 mois sur le sujet.
Un objectif de neutralité carbone assez flou
Pour commencer, ce document rappelle que la première réglementation relative à l'efficacité énergétique du bâti est apparue suite au premier choc pétrolier de 1973, et qu'elle s'est d'abord focalisée sur les déperditions thermiques, avant d'intégrer à son champ d'application la consommation énergétique. Par la suite, le législateur a aussi intégré l'aspect carbone pour la construction et l'exploitation des bâtiments, avec un objectif de "neutralité carbone" à l'horizon de 2050. "Le problème, c'est que personne ne sait vraiment ce que signifie la 'neutralité carbone'", relève André Pouget, gérant du cabinet Pouget Consultants. "Ce qui est sûr, c'est qu'il va falloir une baisse drastique des émissions de gaz à effet de serre. Mais de quels indicateurs disposons-nous ? Le coefficient Bbio (pour Besoin bioclimatique) est intéressant pour juger la conception architecturale du bâti mais pas pour mesurer son isolation. Il a rajouté de la complexité, contrairement à l'indicateur UBAT."
De l'intérêt des ponts thermiques
Dans leur Livre blanc, les spécialistes du Pôle Fibres-Energivie insistent également sur le rôle des ponts thermiques : ceux-ci sont en mesure de diviser jusqu'à trois les problèmes d'humidité décelables dans les logements. Un score non-négligeable quand on sait que ces mêmes problèmes, au premier plan desquels se trouvent les moisissures, ont des impacts sanitaires multiples. D'après plusieurs études, on estime à 37% le nombre de logements contaminés par des moisissures, et de 37% à 47% la quantité de logements contenant des spores en suspension dans l'air. "Les origines des moisissures peuvent être variées", explique Claire-Sophie Coeudevez, directrice associée de Medieco. "Elles peuvent résulter d'une mauvaise maîtrise de la vapeur d'eau, de performances passables de l'enveloppe ou encore d'un renouvellement insuffisant de l'air intérieur. Les problèmes d'humidité ne sont donc pas uniquement liés à la qualité de l'air ou à l'isolation."
Et le coût de la qualité de l'air intérieur pour la collectivité se chiffrant à 19 milliards d'euros (100 milliards d'euros pour la qualité de l'air globale), les spécialistes estiment qu'il est urgent d'agir sur le sujet. Ce qui fait dire à certains que, sur l'aspect thermique, tout n'a pas encore été fait dans la réglementation, et qu'il s'agirait de briser l'idée très répandue selon laquelle isolation et ventilation ne vont pas ensemble.
"Beaucoup de constructions sont isolées sur le papier mais la réalité est toute autre"
"D'après nos retours chantiers, beaucoup de constructions, même certifiées RT 2012, sont isolées sur le papier, mais la réalité est toute autre", pointe Daniel Costa, directeur commercial chez Schöck. "Il y a besoin d'un suivi de qualité qui n'existe pas ou peu dans le monde du bâtiment aujourd'hui." Car c'est bel et bien une réflexion globale qu'il s'agirait de mettre en œuvre, selon le groupe de travail : si l'objectif est de traiter efficacement l'enveloppe et d'assurer un suivi de qualité, cela implique de revoir toutes les étapes du processus, à commencer par le choix du matériau. "Il ne faut pas perdre de vue que le coût d'un matériau reflète son efficacité. Les solutions existent donc déjà, et le savoir-faire des entreprises aussi", souligne David Corgier, directeur général de Manaslu Ing. "La France continue à faire de l'isolation par l'intérieur, alors que beaucoup d'autres se sont mis à isoler par l'extérieur..."
Trois axes de travail majeurs
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C'est pourquoi le Livre blanc du GTQE dresse au final trois propositions majeures pour orienter les débats : modifier les coefficients relatifs à la mesure de la performance de l'enveloppe dans la RE2020, développer le commissionnement et piloter la qualité grâce au numérique. Pour clôturer ces échanges, le directeur général de Sto et président du Mur Manteau, Philippe Boussemart, a une nouvelle fois insisté sur la consommation énergétique et les émissions polluantes du bâtiment : "D'après l'Observatoire Climat Energie, les émissions de gaz à effet de serre du bâtiment sont reparties à la hausse depuis 2013-2014 sur les segments du neuf et de la rénovation. L'Etat a investi des milliards depuis des années pour obtenir aujourd'hui des résultats inverses à ceux escomptés."
Un changement de braquet des pouvoirs publics est donc attendu, d'autant que les conséquences de l'enveloppe se répercutent à différentes échelles. "Avec une enveloppe performante, on bénéficie d'une baisse pérenne du coût du chauffage - qui représente en moyenne 14% du budget des ménages -, et on annule également des coûts de maintenance. Il y a un impact direct sur le reste à vivre des Français." Et de conclure, avec l'espoir que le message soit bien reçu par les pouvoirs publics : "Notre conscience citoyenne nous impose de transmettre aux générations futures un patrimoine bâti efficace".