ARCHITECTURE. Une semaine après la destruction par le feu de la toiture et de la flèche de la cathédrale, les propositions d'architectes et d'ingénieurs continuent d'affluer pour reconstruire Notre-Dame de Paris. Deux écoles s'opposent : celle d'une reconstruction à l'identique et celle d'une réinterprétation plus contemporaine du monument.
Le Premier ministre a annoncé, dès le 17 avril 2019, soit un jour et demi après l'incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris, que la cathédrale bénéficierait d'un traitement d'exception pour être remise en état. Edouard Philippe a notamment précisé qu'un concours international d'architecture serait lancé, rappelant que la fameuse flèche, effondrée le soir du drame, était un rajout du 19e siècle. "Ce concours permettra de trancher la question suivante : faut-il reconstruire une flèche, éventuellement la même que celle de Viollet-le-Duc, ou faut-il comme c'est souvent le cas pour ces monuments envisager une évolution ? Doter la cathédrale d'une nouvelle flèche adaptée aux techniques et enjeux de notre époque". Les professionnels de l'architecture et du patrimoine ont rapidement pris position.
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Une seule solution : reconstruire à l'identique…
D'un côté, les traditionnalistes, adeptes d'une restitution à l'identique de l'édifice. Plusieurs grands noms se sont déjà manifestés, comme Jean Nouvel, qui déclarait, voilà une semaine, qu'il n'envisageait pas une autre flèche que celle - pourtant controversée en son temps - de Viollet-le-Duc. Il qualifie cette partie de Notre-Dame de "geste fort et signifiant déjà à son époque" qui "faisait partie des choses intangibles de la cathédrale". Ce 21 avril, Denis Valode et Jean Pistre ont donné leur avis dans les colonnes du JDD et ils sont catégoriques : "Notre-Dame doit être reconstruite exactement à l'identique ! Nous devons avoir le courage et l'humilité de la refaire comme elle était avant l'incendie. C'est avec effarement que nous voyons surgir cette polémique : il est absurde de vouloir recréer artificiellement la querelle entre anciens et modernes. On nous parle du Reichstag à Berlin, mais cela n'a rien à voir : ce bâtiment politique avait été brûlé par les nazis, il fallait écrire une nouvelle page d'histoire en le reconstruisant autrement. Au contraire, Notre-Dame est l'emblème de Paris, un symbole pour tous les Français. C'est une icône de neuf siècles que nous avons reçue en héritage et que nous devons réparer puisque nous n'avons pas été capables de la préserver". Ils avancent même des arguments techniques pour opter pour la charpente bois traditionnelle : "Il n'y a aucune raison pour qu'une charpente en chêne soit plus longue à bâtir qu'une charpente en métal ; en béton c'est encore plus long. On nous dit qu'il faut faire sécher le bois 20 ans. Là encore c'est faux ! Il existe aujourd'hui des techniques de séchage très rapides". Denis Valode et Jean Pistre redoutent l'intervention de "starchitectes" qui profiteraient des malheurs de la cathédrale pour glorifier leur propre œuvre.
Le chercheur italien Paolo Vannucci, spécialiste de l'ingénierie des bâtiments historiques, répondant aux questions de Batiactu explique : "En France, il y a eu trois exemples qui ont précédé : la cathédrale de Chartres, qui a subi un incendie en 1836 lors d'un chantier de maintenance, la cathédrale de Reims en 1914, qui a été bombardée par les Allemands et la cathédrale de Nantes, dont la charpente a été brulée pendant une opération de maintenance, comme à Paris. Et Chartres a été reconstruite en acier, car c'était le matériau à la mode au milieu du 19e siècle, tout comme Reims a été reconstruite en béton armé, le matériau à la mode au 20e siècle. Or, le matériau à la mode aujourd'hui, c'est le bois. Une solution écologique qui se marie bien avec la cathédrale Notre-Dame". L'expert ne voit pas de raison structurelle à un changement de matériau. Plus tempéré, Jean Nouvel s'est également exprimé sur la question du chantier de reconstruction en faisant un distinguo entre la toiture proprement dite, et la flèche. Pour la charpente, pas de doute, l'architecte préconise le chêne. Il y voit une opportunité pour les jeunes apprentis : "C'est un moment pour développer l'apprentissage. Il y a par exemple des métiers formidables autour du plomb. Refaire la charpente en bois est par ailleurs un sujet d'avenir pour nous". En revanche, sur la pointe posée à la croisée du transept, il est plus mesuré, n'appréciant que moyennement le pastiche de gothique légué par Viollet-le-Duc : "Si un architecte trouve une solution géniale et moderne pour cette flèche, pourquoi pas ? On a bien fait cela pour la pyramide du Louvre". Egalement dans la tempérance, Rudy Ricciotti, a fait valoir : "Sur la physionomie générale de Notre-Dame, il faut retrouver le volume de toiture, écrit dans le même récit, la même narration. C'est une architecture extrêmement fragile et féminine", tout en affirmant un peu plus loin "Il y aura débat, notamment sur la flèche". L'architecte marseillais estime que cinq ans ne seront pas de trop : "Tout est possible. Tout dépend des moyens qu'on y mettra. Je crois plutôt qu'il faut trois ans d'études et trois ans de chantier. En tout cas le pays a la possibilité de reconstruire, à l'identique ou non".
… Ou continuer à faire vivre le monument grâce aux techniques actuelles ?
A l'opposé de cette vision conservatrice, d'autres architectes envisagent de faire entrer la bâtisse de pierre dans le 21e siècle par le haut. Dominique Perrault s'est exclamé : "La reconstruction de Notre-Dame sera un chantier délicat, et la perte irréversible de sa charpente médiévale, 'la Forêt', ne doit pas nous décourager. Le patrimoine d'aujourd'hui est une superposition d'époques, chaque siècle, ou presque, aura laissé son empreinte dans la cathédrale (…) Il faudra la reconstruire, sans dénaturer sa substance patrimoniale, et cela nous encourage à ré-envisager notre relation au patrimoine et à croire en sa capacité de résilience". Jean-Michel Wilmotte, autre architecte de renom, a pris position pour plus de modernité sur la question de la flèche : "Elle peut être reconstruite avec des matériaux actuels. J'aime l'idée de stratification dans les bâtiments du patrimoine, les époques qui se superposent. Il serait intéressant que cette flèche ait une nouvelle histoire : pourquoi ne pas la reconstruire en carbone ? Cela serait un très beau signal". Il évoque également une charpente en métal, deux fois plus légère que l'originelle, recouverte de titane. Un matériau particulièrement stable et solide, qui serait un symbole de pérennité. Dans la même veine, l'architecte britannique Norman Foster, à qui l'on doit justement la coupole en verre du nouveau Reichstag à Berlin, a publié sur les réseaux sociaux un visuel "d'inspiration" pour la cathédrale parisienne, où elle est recouverte d'une toiture translucide "pour éclairer naturellement les espaces situés en dessous" - les voûtes en ogive donc - ainsi qu'une flèche de cristal et d'acier inoxydable, à l'allure résolument contemporaine. Une proposition qui rejoint celle du cabinet Godart + Roussel Architectes, où "le bois laisserait la place à l'acier dont le dessin s'élancerait de manière très légère en direction de l'ancien pinacle de la flèche". Cette superstructure serait remplie de panneaux vitrés, "qui s'alterneraient ponctuellement avec de larges tuiles de cuivre". Ils souhaitent une construction "monumentale, lumineuse et élancée" dans la continuité de l'architecture gothique qui recherchait la hauteur et la lumière.
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Si la restitution en bois de la charpente peut sembler nécessaire pour son caractère "vert" avec une faible empreinte environnementale et une capture de tonnes de CO2 pour les siècles qui viennent, certains ingénieurs avancent des pistes pour rendre la cathédrale encore plus vertueuse. C'est notamment le cas d'André Joffre, spécialiste du solaire passé par les Arts & Métiers, qui déclare : "Notre-Dame n'en est pas à sa première révolution. Sa force est justement de traverser les âges pour raconter l'Histoire de France et pas seulement l'histoire de sa genèse. N'oublions pas qu'Eugène Viollet-le-Duc, architecte de la rénovation de la belle au 19e siècle, fut décrié en son temps (…) Notre-Dame doit témoigner de notre époque, qui est l'histoire de demain". Pour lui, l'emblème d'une France en pleine transition écologique et solidaire doit se doter d'une toiture photovoltaïque : "Notre-Dame de Paris, appuyée sur ses Piliers de la Terre, peut servir cette cause vitale et en devenir un symbole universel. Notre-Dame est déjà le centre de Paris et de la France, son parvis accueillant le kilomètre zéro de nos routes. Désormais, elle pourrait être le kilowatt zéro du réseau des énergies renouvelables national". En restaurant l'édifice, il estime que l'église pourrait conserver sa silhouette mais devenir à énergie positive, et couvrir ainsi ses consommations tout en aidant les bâtiments voisins à réduire leur empreinte énergétique, hôpital de l'Hôtel Dieu en tête. Pour André Joffre, "un nouveau temps des cathédrales est venu. Notre-Dame trace la voie". Le débat ne fait donc que commencer. Et vous, êtes-vous favorable à une évolution de la silhouette de la cathédrale ou, au contraire, partisans d'une restauration strictement à l'identique ?