PATRIMOINE. Les deux co-présidents du Groupement français des entreprises de restauration de Monuments Historiques (GMH) expliquent les travaux qui ont été réalisés sur la cathédrale meurtrie ainsi que le calendrier des futures interventions de sauvegarde puis de diagnostic. Malgré l'extrême prudence requise, ils estiment que le chantier pourrait - peut-être - durer moins de 10 ans.
"Les équipes ont travaillé jour et nuit, pour conforter les murs voûtaux", racontent Frédéric Létoffé et Gilles de Laâge, les deux présidents du Groupement français des entreprises de restauration de Monuments Historiques. Le programme des travaux est chargé pour sauver la cathédrale de Paris, lourdement endommagée par un incendie ce 15 avril 2019. Ils listent les travaux en cours : "Tout d'abord la mise en place d'un parapluie provisoire sur l'ensemble de la nef et sur le chevet. Les éléments ont été posés sur un échafaudage léger, pour protéger Notre-Dame des intempéries et éviter des dégradations futures". L'entreprise Jarnias a mis hors d'eau l'édifice, à l'exception de la zone où s'est écroulée la flèche du transept, qui reste trop dangereuse pour y accéder.
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Statues et vitraux sont en cours de démontage
Les deux co-présidents continuent : "Des statues ont été déposées, notamment l'ange musicien qui a été fendu en deux mais qui est restaurable. Les éléments qui menaçaient de tomber ont été mis en sécurité et le pignon ouest a été renforcé". A la tour sud, les flammes ont lourdement endommagé les chimères et décors sculptés, qui seront ramenés au sol. De même, les vitraux sont en cours de démontage par sept entreprises de maîtres verriers (Ateliers Duchemin, Ateliers Parot, Ateliers Muranese, Ateliers Loire, Ateliers Claire Babet, Manufacture Vincent Petit et Vitrail France) pour éviter de les endommager pendant le chantier de sauvegarde. "Ils sont en parfait état, mais des poutres seront mises en place à travers leurs ouvertures, pour poser des platelages et, plus tard, restaurer les voûtes", annoncent Frédéric Létoffé et Gilles de Laâge. Le but : assurer le contreventement de la cathédrale et retrouver du poids pour la stabiliser. Sur le sommet de l'édifice, ce sont 160 m3 de poutres qui seront installés par-dessus la membrane d'étanchéité, pour sécuriser Notre-Dame face au vent et rééquilibrer les poussées qui s'exercent sur elle. Ces grands éléments de 18 mètres de portée seront posés la semaine prochaine. En revanche, le grand échafaudage qui a subi l'incendie, ne sera pas démonté dans l'immédiat. "Il n'appuie pas sur la cathédrale, il est stable et ne génère pas de désordres supplémentaires. Il n'y a pas d'urgence", assurent-ils. Cet immense ensemble maillé, qui pèse au moins 250 tonnes, s'est déformé sous la chaleur du sinistre et certains de ses éléments se sont soudés. Son démontage interviendra donc plus tard.
En tout, 80 personnes sont actuellement mobilisées sur le chantier pour cette première phase de sécurisation et de protection des biens. "La sauvegarde durera environ quatre mois", estiment les deux présidents du GMH. L'évacuation des déblais de la charpente effondrée demanderont des semaines, ainsi que le nettoyage de la voûte et l'aspiration des poussières. Dans un deuxième temps, des spécialistes s'attèleront à établir un diagnostic précis, pour connaître l'état complet de Notre-Dame, "et établir un cahier des charges ainsi qu'un programme de restauration". Drones et capteurs sont déjà entrés en action, pour vérifier l'éventuelle déformation de l'édifice. Frédéric Létoffé et Gilles de Laâge préviennent : "Il faudra du temps, cette phase sera la plus importante, et elle pourra être longue". Sans réellement donner de délai précis, il semble qu'une à deux années seront nécessaires aux équipes d'architectes et spécialistes des monuments historiques pour y parvenir, aidés de bureaux d'études capables de déterminer la qualité des matériaux (pierres et mortiers). "La chape de chaux posée sur le sommet des voûtes sera enlevée pour vérifier l'état des pierres situées en dessous", précisent-ils. Seule une inspection précise permettra de déterminer l'état des maçonneries. Ils ajoutent que la couverture a probablement aggravé les choses : "Le plomb s'est consumé, d'où la fumée orange observée. Et la céruse de plomb a participé à l'embrasement", expliquent les deux experts. Cet oxyde forme en effet une poussière, accumulée au cours des siècles, qui serait particulièrement inflammable.
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"Restaurer" pas "reconstruire", nuance
Interrogés sur le délai de 5 ans, avancé par le Président de la République pour reconstruire la cathédrale, Frédéric Létoffé et Gilles de Laâge répondent : "J'avais donné un délai de 10 à 15 ans. Mais on peut aller plus vite selon les moyens financiers et techniques, avec une accélération des procédures administratives". Selon eux, les matériaux ne poseront aucun souci : "Les pierres du bassin parisien sont encore exploitées dans les carrières, le bois de charpente hors flèche représente 500 m3 soit environ 2,2 à 2,3 fois ce volume en arbres. Or il y a 5,2 millions d'hectares de chênes en France. Et il y a également assez de plomb". Le bois n'aura pas besoin d'être séché pendant des années, puisque l'ensemble de la charpente sera réalisé en même temps et qu'elle travaillera au même rythme (ce qui n'est pas le cas quand on ne restaure qu'une partie). Et les chênes pourraient même être coupés dès cet automne. Les co-présidents du GMH ajoutent : "Notre-Dame est un jeu d'équilibre où la charpente bois participe, par son poids et son assemblage. Les matériaux et calculs de poussée du 13e siècle en tenaient compte". D'après eux, l'intérieur de la cathédrale pourrait être rendu aux visiteurs et aux fidèles d'ici 3 ou 4 ans, pendant que les travaux de charpente et de couverture se dérouleront 30 mètres plus haut, sous un parapluie géant. Pas question pour eux par contre, d'imaginer d'autres solutions que des procédés classiques pour restaurer le monument. Ils expliquent représenter des métiers du patrimoine (plus de 230 entreprises sont qualifiées dans le domaine des Monuments historiques en France) et ne militent pas du tout pour une "reconstruction" ou une réinterprétation moderne. La loi d'exception aurait, selon Frédéric Létoffé et Gilles de Laâge, le mérite de "ne pas avoir de tabou et de permettre de réfléchir à tout ce qui pourrait coincer ou ralentir" le chantier. "Il n'est pas incongru de sortir d'une organisation classique de travaux d'entretien simple. Cependant le gros risque est d'en arriver à dire qu'on peut faire n'importe quoi…".