RÉGLEMENTATION. Les syndicats de maîtrise d'œuvre s'associent aux fédération d'entreprises d'ingénierie pour dénoncer un décret "imposé" en toute discrétion et paru il y a plus d'un mois, qui réintroduit la possibilité pour les départements d'assurer des missions de maîtrise d'œuvre dans le cadre de leur assistance aux communes.

C'est un décret du 18 juin, publié "discrètement", qui mécontente fortement les syndicats de la maîtrise d'œuvre et de l'ingénierie privée. Un texte qui, au détour de l'ajustement des "champs d'intervention de l'assistance technique que fournissent les départements à certaines communes et à leurs groupements en matière de mobilités", "réintroduit également", d'après la notice même du décret, "les missions de maîtrise d'œuvre telles que définies [au] code de la commande publique dans le champ de l'assistance technique" que peuvent prodiguer les départements aux communes et intercommunalités.

 

 

Cet élargissement des compétences des départements à la maîtrise d'œuvre inquiète fortement la profession. Le 23 juillet, Cinov et Syntec Ingénierie, les deux organisations professionnelles représentatives de l'ingénierie privée, appelaient "les pouvoirs publics à supprimer une disposition qui fragilise un peu plus l'ingénierie privée et met en danger les emplois dans les territoires". Le 28 juillet, c'est au tour de l'Unge, l'Unsfa et le Synamome, respectivement Union nationale des géomètres-experts, Union nationale des syndicats français d'architectes et syndicat professionnel de l'architecture et de la maîtrise d'œuvre, de "s'inscrire pleinement" dans la démarche de l'ingénierie privée, et de "rappeler les expertises locales et non-délocalisables" des TPE et PME de la maîtrise d'œuvre.

 

Un décret "imposé sans aucune concertation"

 

"Depuis plusieurs années, l'ingénierie publique et parapublique étend son périmètre d'intervention et ne cesse de conquérir des parts de marché au détriment de l'ingénierie privée", déplorent Cinov et Syntec Ingénierie dans leur communiqué. Ils estiment que leurs entreprises, au premier rang desquelles les TPE/PME "qui composent majoritairement la filière construction" est-il rappelé, "ont perdu environ 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires et plus de 10 000 emplois entre 2011 et 2017".

 

Le décret du 18 juin "est venu fragiliser encore davantage les entreprises d'ingénierie privée car il ouvre les missions de maîtrise d'œuvre, autrefois réservées aux entreprises d'ingénierie, au secteur public. Ce décret imposé sans aucune concertation avec les acteurs entraînera de façon certaine une baisse de la commande publique pour le secteur de l'ingénierie privée. Une telle politique met en danger l'activité d'entreprises locales et la préservation d'emplois hautement qualifiés dans les territoires, sans garantie aucune que l'ingénierie publique y supplée demain, faute de moyens et d'expertises", jugent-ils encore.

 


"Dans une période où la maîtrise d'œuvre privée a beaucoup souffert, comme tous les secteurs économiques, un décret qui étend la compétence du secteur public est particulièrement malvenu".

 

Contacté par Batiactu, Patrick Julien, délégué général de l'Unsfa, estime que "dans une période où la maîtrise d'œuvre privée a beaucoup souffert, comme tous les secteurs économiques, un décret qui étend la compétence du secteur public est particulièrement malvenu". "Parmi les enseignements tirés de cette crise sanitaire et économique, le retour en grâce des territoires péri-urbains et ruraux représente une opportunité pour nos métiers. Ainsi, la naissance de nouveaux projets publics ou privés amène la nécessité de conseils et d'expertises en phase avec ces besoins. A la faveur d'un ancrage territorial homogène, les professionnels de l'architecture, de la maîtrise d'œuvre, les géomètres-experts et les bureaux d'études techniques sont les plus à mêmes de répondre aux exigences localisées", défend le communiqué commun des syndicats de la maîtrise d'œuvre et des géomètres-experts.

 

Créer des complémentarités

 

La situation est d'autant plus paradoxale, selon Frédéric Lafage, président de la fédération Cinov, que "le gouvernement sollicite l'ingénierie privée pour construire le plan de relance de l'économie". Il déplore ainsi cette attaque, qui accentue "encore davantage la concurrence avec le secteur public".

 

Au côté de Syntec Ingénierie, il réclame donc de revenir à la situation précédente et en appellent à une meilleure collaboration entre ingénieries publique et privée. "Pour qu'elles travaillent en bonne intelligence, il est crucial que chacun reste sur ses missions et champs d'expertise", insiste Pierre Verzat, président de Syntec Ingénierie. Et les deux présidents de demander aux pouvoirs publics "une concertation pour délimiter l'action de l'ingénierie publique et créer les complémentarités nécessaires". Pour que les choses soient claires, une fois pour toutes.

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