Près de 5 millions de personnes se trouvent en situation de précarité énergétique et peuvent prétendre à des aides. Mais, selon le think tank La Fabrique Ecologique, la lutte contre la véritable "pauvreté énergétique" ne serait pas suffisamment coordonnée, ne favoriserait pas la conversion vers des modes de chauffage propres, et risquerait de délaisser 1,6 million de ménages. Explications.
La lutte contre le changement climatique et contre la précarité énergétique sont deux priorités liées au niveau des logements qualifiés de "passoires thermiques". L'élévation progressive des prix de l'énergie - y compris les carburants fossiles dont les tarifs ne resteront pas éternellement aussi bas qu'aujourd'hui - rend les travaux de rénovation énergétique toujours plus pertinents. Selon le think tank La Fabrique Ecologique, la situation se serait même améliorée ces dernières années, notamment grâce aux dernières dispositions prises dans le cadre de la loi de 2015 sur la transition énergétique : les chèques énergie et les certificats d'économies d'énergie (CEE) "précarité" sont des avancées importantes. "Mais les aides souffrent de dispersion, d'un manque de coordination, et ont le plus souvent pour base de calcul le seul niveau de revenu", note le cercle de réflexion.
Plaidoyer pour une réponse intermédiaire
Une situation qui risque de laisser pour compte une partie des ménages, dans la frange la plus pauvre : des locataires qui consacrent plus de 15 % de leurs dépenses à régler leur facture énergétique, et qui seraient 1,6 million en France (selon les derniers chiffres de l'Observatoire national de la précarité énergétique datant d'avril 2015). Les travaux du groupe de réflexion, dirigés par l'urbaniste Guillaume Joly, pointent la situation de ménages à revenus considérés comme corrects mais qui louent un logement où les déperditions sont très grandes : leurs dépenses énergétiques seront donc disproportionnées, même si leurs moyens ne sont pas faibles. Le document explique : "Les guichets destinés à informer sur les outils de rénovation énergétique (Anah, Point Info-énergie) sont principalement ciblés sur les propriétaires, alors que les associations départementales d'information sur le logement (Adil) aident les locataires mais n'ont toujours pas une compétence spécifique en matière d'énergie".
La Fabrique Ecologique propose donc de "donner une vraie priorité à la réalisation de travaux dans les passoires énergétiques du parc résidentiel privé, qui constituent la plupart du temps des situations de vraie pauvreté énergétique". Pour ce faire, il apparaît nécessaire aux membres du groupe de travail de mettre en place un dispositif coordonné permettant de lancer rapidement des travaux de moyenne ampleur, afin de rendre le logement "chauffable", avant d'envisager des travaux plus lourds. Ils plaident pour "une réponse intermédiaire, entre la réhabilitation lourde et performante, mais coûteuse, et l'intervention technique à minima (lampe basse consommation, multiprises à interrupteur) quasi-gratuites pour le ménage". Une proposition qui vient s'intercaler entre les deux autres, sans les exclure, les travaux intermédiaires devant être perçus comme une première étape dans une démarche plus globale.
La question des chèques énergie et des CEE
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Le think tank avance également l'idée que les nouvelles plateformes énergétiques, initiées depuis 2013 et prévues par la loi de 2015, constituent un guichet unique coordonné, destiné à traiter les situations de pauvreté énergétique. Elles n'ont pourtant - pour le moment - pas de vocation reconnue sur ces questions de précarité. Et il serait nécessaire d'y associer les autres partenaires, "en particulier le Fonds de solidarité logement", soutiennent les auteurs. Autre point crucial, celui du financement : "Le montant des chèques énergie ou les certificats d'économies d'énergie sont, à eux seuls, d'un montant insuffisant pour des travaux qui, souvent, pour avoir une chance de voir le jour, doivent bénéficier d'une subvention couvrant la quasi-totalité du financement". L'étude évoque les CEE "Précarité" qui pourraient financer les Fonds sociaux d'aide à la maîtrise de l'énergie (FSATME) créés à l'initiative des conseils départementaux ou de collectivités territoriales, et qui devraient être complémentaires au programme "Habiter mieux" de l'Anah. "Ces fonds pourraient constituer l'outil principal pour massifier les réponses en termes de financement et devraient disposer des moyens nécessaires. Ils pourraient devenir des vecteurs importants permettant aux fournisseurs d'énergie 'Obligés' d'atteindre leurs objectifs de CEE Précarité", assure le rapport. Le micro-crédit pourrait également venir supplémenter le dispositif, pour des besoins de financements de l'ordre de 2.000 à 3.000 €, pour les petits logements.
Enfin, les membres du groupe de travail insistent sur un dernier point : "Il est nécessaire que, s'agissant du chauffage au fioul, le chèque énergie soit réservé au financement des opérations d'économie ou de substitution d'énergie, et non à la simple consommation des ménages". En clair, il n'est pas concevable qu'à un moment où la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la dépendance énergétique, des aides servent à brûler des énergies fossiles. La Fabrique Ecologique souhaite que ces chèques servent "à des travaux d'isolation (…) ou de conversion vers un mode de chauffage plus propre". Une disposition qui serait justement facilitée actuellement, le prix des hydrocarbures étant à un niveau très bas.