EXPERT DS AVOCATS. L'aménagement opérationnel est en pleine évolution, cela ne fait aucun doute. Est-ce à dire qu'il est en pleine révolution ? Certains semblent prêts à le penser. Décryptage avec Monique Ambal, avocate associée chez DS avocats.
L'aménagement opérationnel est-il en révolution, notamment avec les dispositions nouvellement introduites par la loi Elan ? En tout cas, les acteurs impliqués dans les opérations d'aménagement visées par le code de l'urbanisme n'ont guère changé. Il s'agit toujours des collectivités territoriales, des établissements publics de coopération intercommunale, des établissements publics fonciers et des établissements publics d'aménagement, des sociétés d'économie mixte, des sociétés privées de promotion ou d'aménagement, même si de nouveaux aménageurs sont apparus sur le marché (sociétés publiques locales d'aménagement, sociétés publiques locales d'aménagement d'intérêt national, sociétés publiques locales, sociétés d'économie mixte à opération unique, filiales immobilières de propriétaires institutionnels...).
La loi Elan introduit la Gou et le PPA
Ce n'est pas non plus dans le compartiment "procédures d'urbanisme opérationnel" de la "boîte à outil de l'aménagement" que se sont produits de grands bouleversements. Nous continuons à y trouver la ZAC qui reste incontournable dans de nombreux cas, le lotissement soumis à permis d'aménager ou à déclaration préalable, le permis de construire valant division, la restauration immobilière, la résorption de l'habitat insalubre, etc. Il n'y a guère que la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite "loi Elan", pour innover en la matière par la création de la grande opération d'urbanisme (GOU) bénéficiant d'un régime juridique spécifique et dérogatoire aussi bien en matière de compétence, d'autorisation d'urbanisme que de réalisation ou de financement des équipements, inscrite dans un projet partenarial d'aménagement (PPA) (article 1 et 2 de la loi), digne héritier des contrats de développement territorial (article 21 de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris). Quant au compartiment des "procédures foncières", y figurent toujours les zones d'aménagement différées, le droit de préemption urbain et l'expropriation.
Il faut fouiller parmi les outils contractuels ou les outils financiers et fiscaux pour constater des évolutions plus marquantes.
Tendre vers un financement sur mesure des équipements publics
A nouveau, en effet, les opérations d'aménagement peuvent être mises en œuvre dans le cadre d'un mandat global qui allie les études préalables, les travaux et ouvrages qui ne sont pas soumis à la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privé dite "loi Mop", ainsi que les acquisitions et les cessions immobilières (article L. 300-3 du code de l'urbanisme modifié par la loi Elan). Par ailleurs, à l'issue d'un processus de près 20 ans, ont été fondues dans un même contrat susceptible de conférer les mêmes droits et obligations à son titulaire, quelque soit son statut, d'une part l'ancienne concession d'aménagement assortie de prérogatives de puissance publique qui était réservée aux Sem et aux établissements publics (dénommée un temps convention publique d'aménagement), et d'autre part la convention d'aménagement qui pouvait être conclue avec toute personne publique et privée y ayant vocation.
Les évolutions qui concernent les outils financiers et fiscaux traduisent le soucis du législateur de tendre vers un financement sur mesure des équipements publics par l'instauration de la taxe d'aménagement à taux renforcé de la convention de projet urbain partenarial (Pup) ou encore de la convention qui détermine les conditions de participation du constructeur qui n'a acquis son terrain de l'aménageur au coût d'équipement de la Zac.
"Il semble, en effet, fini le temps où les opérations d'aménagement étaient menées, en France, selon deux modèles qui se confrontaient dans un systématisme rassurant"
Si révolution il y a, force est de constater qu'elle ne concerne pas tant les acteurs ou les outils de l'aménagement que la façon de les utiliser. Il semble, en effet, fini le temps où les opérations d'aménagement étaient menées, en France, selon deux modèles qui se confrontaient dans un systématisme rassurant : "la Zac publique" et "la Zac privée". Ces dénominations qui ne correspondaient à aucune réalité juridique - la Zac, en tant que procédure d'urbanisme ayant toujours été initiée, créée et conduite par une personne publique (voir article L. 311-1 du code de l'urbanisme), était le fruit d'un amalgame entre la procédure et le contrat d'aménagement, la première correspondant en fait, la plupart du temps, à la mise en œuvre d'une opération d'aménagement encadrée par une procédure de Zac et concédée à une Sem ou un établissement public d'aménagement, la seconde, à la réalisation d'une opération d'aménagement également encadrée par une procédure de Zac mais confiée à un opérateur privé dans le cadre d'une convention d'aménagement.
Transfert de la compétence aménagement aux intercommunalités
Bien sûr, aujourd'hui les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents continuent de concéder la réalisation de Zac à des opérateurs. Mais, d'un point de vue juridique, quatre facteurs au moins ont, au cours des 20 dernières années, contribué à casser les modèles : la soumission des contrats d'aménagement au droit de la commande publique, le transfert de la compétence aménagement aux intercommunalités et l'éclatement induit de la gouvernance publique des opérations, la baisse des ressources financières publiques et, enfin, la prégnance du droit de l'environnement sur la définition et la mise en œuvre des projets.
Le premier de ces facteurs est certainement celui qui a révolutionné le plus profondément la façon de faire l'aménagement. Les opérations dont les vastes périmètres et/ou les problématiques sociales, urbaines, de mobilité obligent les acteurs à se confronter, sur de longues périodes, à des aléas inéluctables, semblent de plus en plus réservées à des établissements publics d'aménagement qui interviennent en régie ou à des SPLA ou des SPL des règles de la commande publique. Les opérations situées en secteur plus "tendus", dont le périmètre et la durée permettent une maîtrise des imprévus, continuent quant à elles à attirer les Sem ou les aménageurs purement privés qui agissent dans le cadre de contrats soumis à procédures de publicité et de mise en concurrence. Mais entre ces deux grandes tendances, il en existe une troisième de plus en plus marquée, qui repose sur la création de partenariats, soit verticaux et concernent tout ou partie de la chaîne de production de la Ville dont les maillons sont le propriétaire foncier - l'aménageur - le promoteur - l'investisseur soit horizontaux par lesquels opérateurs publics et privés unissent leurs forces pour concourir à l'attribution de concessions d'aménagement.
Un éclatement de la gouvernance des projets
Le deuxième facteur, à savoir le transfert de la compétence "aménagement" aux structures intercommunales, a certes permis à certains projets de trouver leur cohérence territoriale et notamment de les doter des ingénieries nécessaires. Mais, dans le même temps, il a conduit à un éclatement de la gouvernance des projets, l'initiateur de ceux-ci n'étant plus nécessairement l'auteur des règles d'urbanisme applicables, l'autorité compétente pour délivrer les autorisations d'occupation des sols et le destinataire des travaux et équipements induits par l'opération (notons que la loi Elan traite ce problème mais uniquement lorsque l'opération fait l'objet d'une Gou inscrite dans un PPA). Le transfert de compétence augmente par ailleurs la distance entre l'élu qui décide, l'élu qui, par les élections, assume la responsabilité politique du projet, l'usager et l'habitant qui a du mal à trouver un interlocuteur pour exprimer son besoin. D'où le réflexe de certains élus municipaux d'avoir recours à des montages juridiques qui ne font appel ni à des procédures d'urbanisme et ni à des contrats globaux dans l'espoir que leur projet échappent à la qualification d'opération d'aménagement.
La baisse de la capacité de l'initiateur public du projet à financer celui-ci est le troisième facteur qui, depuis plusieurs années, conduit à penser l'aménagement autrement. Les élus sont de plus en plus enclins à délaisser le dispositif de la Zac concédée qui, dans le cadre d'un process global, conduit au financement des équipements publics, soit par l'aménageur, soit par le constructeur à hauteur de la part de leur coût engagée pour répondre aux besoins des futurs habitants et usagers de la zone, et pour le reste, par la collectivité ou le groupement de collectivités destinataire de l'ouvrage. Ils tendent à lui préférer celui du Pup qui, par une convention signée avec le propriétaire, le constructeur ou l'aménageur (entendu au sens de lotisseur), va mettre à la charge de celui-ci la part du coût des équipements publics rendus nécessaires pour répondre aux besoins des futurs habitants ou usagers de leur programme immobilier.
"L'aménagement est, plus que jamais, une notion protéiforme qui ne supporte pas le carcan d'une approche unique."
La prégnance de plus en plus forte du droit de l'environnement et, plus particulièrement, l'obligation de soumettre tout projet d'une certaine importance, à évaluation environnementale, est le quatrième facteur qui, par la complexité et l'allongement des délais qu'il induit, pousse à l'abandon de modèle classique de la Zac concédée au bénéfice d'un aménagement de "macro lots".
L'aménagement est, plus que jamais, une notion protéiforme qui ne supporte pas le carcan d'une approche unique. Le traitement des secteurs d'habitats dégradés, des friches commerciales et industrielles, des cœurs de villes en déshérences, des quartiers anciens, des propriétés d'acteurs institutionnels, des délaissés fonciers, soulèvent autant de problématiques spécifiques qui méritent la mobilisation d'acteurs concernés et d'outils adaptés. L'évolution récente du droit, en bousculant les réflexes et les habitudes, a contribué à cette prise de conscience.
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