D'après le géographe Yves Raibaud, les espaces urbains seraient conçus "par et pour les hommes". Les femmes seraient donc oubliées des aménagements et équipements publics culturels ou de loisirs. Le chercheur invite les municipalités à réfléchir sur cette question.
En plus du monde du travail, la ville serait-elle un autre espace d'inégalité entre les hommes et les femmes ? C'est en tout cas ce que pense Yves Raibaud, maître de conférence à l'université Bordeaux 3, spécialiste de la géographie du genre et auteur de plusieurs études sur le sujet. Ses recherches feraient apparaître un grand déséquilibre dans l'attribution des moyens, par les collectivités locales et par l'Etat, entre les loisirs "féminins" (danse, gymnastique) ou "masculins" (skateboard, football). Cette inégalité serait même voulue : l'offre de loisirs dite "neutre", les activités d'extérieur comme le basket ou le football de rue n'étant pas spécifiquement réservées aux garçons, serait en fait implicitement orientée vers ces derniers. Elus et travailleurs sociaux rappelleraient que l'objectif premier serait en fait d'occuper les jeunes et de canaliser leur énergie vers des activités positives. Les filles, jugées plus mûres, sauraient s'occuper autrement et préfèreraient même rester chez elles…
Inégalité de traitement
Le géographe dénonce "une très grande injustice" dans ce traitement qui relève "de l'ordre de l'évidence". L'inégalité se retrouverait également au niveau de la gestion des municipalités, la présence de femmes aux postes clés étant faible, notamment aux postes d'architectes, d'urbanistes, de direction des services d'équipement ou de conception des programmes urbains. De même, la participation citoyenne lors des conseils de quartier, des opérations de concertation et des enquêtes publiques, serait majoritairement masculine. "Eh bien, 'on' pense (...) qu'il est de la responsabilité des femmes de s'adapter à la ville, et non aux nouvelles pratiques de s'interroger sur les discriminations qu'elles provoquent", écrit le géographe dans le Journal du CNRS, qui réprouve cette pensée à sens unique.
Les usages intrinsèques de la cité ne seraient pas les mêmes, selon si l'on est un homme ou une femme. Difficile en effet de recommander la marche à pied à travers certains quartiers ou l'emploi du covoiturage avec des inconnus à des jeunes femmes seules. Même la pratique du vélo serait principalement celle des hommes (à 60 %, proportion qui grimpe à 80 % la nuit ou sous la pluie). Les sociologues préconisent donc de mettre en place des dispositifs d'observation et d'évaluation des politiques publiques incorporant les différences "non biologiques" entre les femmes et les hommes. Ils avancent également la nécessité de soutenir la prise de décision féminine ainsi que des associations et activités leur étant destinées. "Nous invitons les municipalités à réfléchir aux lieux d'accueil collectifs pour adolescents afin que les filles en retrouvent l'usage lorsqu'ils sont accaparés par des collectifs de jeunes garçons, produisant du virilisme, du sexisme et de l'homophobie", déclare Yves Raibaud. Une recommandation pour repenser les politiques publiques d'habitat, de transport, d'équipement et d'aménagement, sous l'angle des rapports sociaux entre les sexes, afin d'améliorer la mixité des espaces - de jour comme de nuit.