Bercy a saisi la justice au mois d'octobre 2016 pour que le parquet ouvre une enquête préliminaire sur le maintien de l'activité de la cimenterie de Jalabiya (Syrie) par le groupe Lafarge en 2013-2014, dans une région contrôlée par l'Etat islamique. L'Union européenne avait interdit, depuis l'automne 2011, d'acheter du pétrole dans le pays, un carburant nécessaire au fonctionnement des installations.
Un rapport parlementaire expliquait, en juillet 2016, que Lafarge n'avait pas participé "directement ou indirectement, ni même de façon passive, au financement de Daesh". Mais pour ses activité en Syrie, le ministère de l'Economie a saisi la justice, à l'automne dernier, pour qu'elle enquête sur de possibles infractions commises par le groupe cimentier. Il avait maintenu, coûte que coûte, l'activité de l'usine en période de guerre, enfreignant peut-être une sanction imposée par l'Union européenne au mois de novembre 2011, à savoir ne pas acheter de pétrole et de produits pétroliers finis provenant de ce pays, ni en assurer le transport.
La plainte de Bercy porte donc sur ce non-respect des sanctions imposées au régime de Bachar el-Assad ainsi qu'au mouvement terroriste Daesh. Elle se distingue donc d'une autre plainte, déposée en novembre 2016 par l'organisation non gouvernementale Sherpa, pour financement du terrorisme, au nom de la "défense de victimes de crimes économiques". L'ONG dénonçait des faits de complicité de crime de guerre, de crimes contre l'humanité, mise en danger, exploitation abusive du travail et négligence. Le président de Sherpa, William Bourdon, déclarait alors : "Ce que nous dénonçons, c'est l'obsession d'une entreprise de maintenir une activité profitable au risque de devoir rendre des comptes et que soient mis à jour des liaisons pour le moins dangereuses avec ceux qui sont perçus comme les pires ennemis de l'humanité". Cette seconde plainte n'a pas débouché sur l'ouverture d'une information judiciaire.
Protection des personnels ou de la production ?
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De son côté, le groupe Lafarge, désormais adossé au Suisse Holcim, contacté par Batiactu, réagit lapidairement : "LafargeHolcim souhaite établir la réalité des faits sur ses activités en Syrie. Le groupe rappelle d'ailleurs qu'il a lancé une enquête interne approfondie qui est actuellement en cours. Nous collaborerons à l'enquête menée sous l'autorité du procureur et apporterons toutes les informations requises dans ce cadre". En dehors de faciliter le travail de la Justice, le cimentier déclarait, à l'été 2016, qu'il réfutait "tout arrangement" et qu'il avait donné la priorité à "la sécurité et la sûreté de son personnel" sur place : "Lorsque le conflit s'est rapproché de la zone de l'usine, la priorité absolue de Lafarge a toujours été d'assurer la sécurité et la sûreté de son personnel, tandis que la fermeture de l'usine était étudiée".
Rappelons que l'usine de Jalabiya avait été rénovée en 2010 et qu'elle produisait annuellement 3 millions de tonnes de ciment avant que ses opérations ne soient suspendues au mois de septembre 2014 et qu'elle ne soit incendiée par les djihadistes de l'Etat islamique. Le groupe avait souligné que l'unité était "un employeur important dans la région", qui avait "un rôle vital" pour les populations locales. Il nous précisait que l'installation "approvisionnant environ un tiers du marché local, répondant à un besoin de première nécessité de la population et aux besoins de développement économique de la Syrie". Des arguments qui n'avaient, semble-t-il, pas convaincu Sherpa.