OUTRE-MER. Le Conseil national de l'Ordre des architectes et son antenne locale en Guyane ont pu discuter avec des élus et des confrères étrangers des défis que doivent affronter les 64 architectes inscrits à l'Ordre dans cette région. L'un d'eux est celui du dérèglement climatique et de ses effets sur les activités du secteur de la construction.
La Guyane est sur le front du dérèglement climatique. Situé sur le continent sud-américain, le territoire français, recouvert à 90% par la forêt amazonienne, connaît une hausse des températures avec des saisons sèches plus chaudes, selon Météo France Guyane. La région devrait aussi être impactée par la montée des eaux. Le niveau de la mer devrait augmenter entre 60 et 120 cm à l'horizon 2100 et faire reculer le trait de côte dans certaines zones.
Face à ces risques, les architectes guyanais se mobilisent et imaginent une autre manière d'habiter le littoral. Lors d'un événement le 25 octobre 2024 à Cayenne, le Conseil régional de l'Ordre des architectes (Croa) Guyane a réuni architectes et élus autour de cette question. L'événement a été organisé dans le cadre de la série de rencontres "Architectures et Territoires" du Conseil national de l'Ordre des architectes (Cnoa), tenue dans toute la France en septembre et octobre 2024 et qui vise à faire dialoguer les architectes et élus.
La thématique de cette rencontre locale était celle de la "Coopération dans le bassin amazonien face aux enjeux du changement climatique". Le Croa a invité l'Ordre des architectes du Suriname et de l'Etat brésilien d'Amapa pour parler ensemble de la problématique du recul du trait de côte.
"Un outil de reconquête"
"L'idée était de parler de l'architecture comme un outil de reconquête de notre littoral", explique André Barrat, président du Croa Guyane, contacté par Batiactu. "Ce littoral est le plus mouvant du monde, à cause de l'envasement et de l'ensablement qu'il connaît. Des plaques de vases se déplacent à cause des fleuves, entraînant la rétractation de plages. Face à cette problématique environnementale, j'ai présenté aux municipalités concernées des projets d'aménagement paysager et urbain publics issus d'un concours d'idées."
Les opérations ont été imaginées dans quatre sites "emblématiques" de Guyane, notamment sur le front de ville de Cayenne. "La ville tourne le dos à la mer. Nous avons proposé de créer des ouvertures en imaginant des espaces publics", poursuit André Barrat. "Nous montrons à travers ces opérations que l'architecture est une solution et peut élaborer des propositions concrètes."
Enjeux semblables
Lors de cet événement, deux architectes de l'Amapa ont aussi présenté des projets de reconquête des berges. Le Suriname est, par ailleurs, également confronté à des enjeux semblables à ceux de la Guyane française. "J'ai remarqué une prise de conscience similaire chez les architectes du bassin amazonien", témoigne le président du Cnoa, Christophe Millet, qui s'est rendu en Guyane quatre jours pour cet événement. "Avec le risque d'élévation du niveau de la mer, le pays réfléchit au déplacement de certaines populations", reprend André Barrat.
La restitution des travaux présentés se fera au Salon des maires à Paris, en novembre prochain. Les projets seront également montrés à la COP30, organisée à Belém (Brésil) en novembre 2025. Pour Christophe Millet, ces projets sont une "opportunité de se tourner vers la mer et de la redécouvrir, en aménageant la côte et en faisant prendre conscience de la présence de la nature".
Des matériaux encore trop chers
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Les architectes guyanais "sont sensibilisés au dérèglement climatique et aimeraient aller plus vite dans l'utilisation de matériaux" bio et géosourcés, soutient Christophe Millet. Leur mise en œuvre est toutefois un défi dans cette région qui importe la majorité des matériaux.
"La Guyane, qui se situe à 8.000 km de la métropole, souffre du surcoût de l'importation des matériaux, qui se vendent généralement 30% plus cher qu'en métropole", affirme, de son côté, le président du Croa Guyane. Le territoire possède seulement de la brique de terre crue et plusieurs essences de bois, mais le bois local "est onéreux". Son extraction est coûteuse, tout comme la certification de nouvelles essences.
Il est aussi compliqué de les extraire de la forêt, dense et composée de très nombreux cours d'eau. "Les arbres sont repérés par satellites, les scieurs vont ensuite les chercher. Ils sont parfois obligés d'aménager une piste pour récupérer deux grumes. L'Office national des forêts (ONF) essaie de simplifier le process mais la forêt guyanaise est complexe et est protégée par une réglementation drastique." En 2020, l'ONF avait vendu près de 94.000 m3 de bois certifié dans la région.
Un foncier rare
L'autre enjeu des architectes et élus est celui du foncier, rare. "La Guyane est urbanisée à 0,01% mais n'a pas de foncier car la plupart appartient à l'Etat, ce qui fait qu'il n'y a pas la possibilité de produire autant de logements qu'il le faudrait", explique Christophe Millet. La région est, en effet, en pénurie. "Pour contenir la demande, il faudrait produire 4.000 à 5.000 logements chaque année mais seulement 2.000 sortent de terre", chiffre André Barrat.
"C'est tout le paradoxe de la Guyane. C'est un département vaste mais le foncier est, pour la plupart, non-aménagé. Et quand il l'est, les procédures [à la construction de nouveaux projets] sont très longues", souligne-t-il. Les terrains appartiennent souvent à plusieurs propriétaires, ce qui rend la cession plus complexe.
"C'est l'un des enjeux que nous portons auprès des maires. Nous souhaitons densifier la ville, plutôt que d'aménager de nouvelles zones", assure Christophe Millet. "L'Etat avait mis à disposition des promoteurs un foncier pour produire 600 logements mais il a fallu huit ans pour l'aménager et quatre ans pour construire. Les maires ont une très forte demande en logements et se retrouvent face à des habitants qui construisent, parfois, sans autorisation et espèrent décrocher une régularisation plus tard."
Cette rencontre "Architectures et Territoires" est donc une véritable opportunité pour les architectes guyanais. "Nous profitons de notre proximité avec les élus pour échanger sur ces problématiques, dans ce territoire en voie de développement", conclut André Barrat.
Une Ecole nationale supérieure d'architecture bientôt aux Antilles ?
Batiactu a interrogé le président du Cnoa sur la potentielle création d'une Ecole nationale supérieure d'architecture (Ensa) dans cette partie du monde. La France compte actuellement 21 Ensa, dont la dernière a été créée à La Réunion. "On pourrait imaginer une Ensa à l'échelle des Caraïbes car il y a autant d'architectes dans cette zone qu'à La Réunion", répond Christophe Millet.
Les architectes de cette région du monde doivent répondre à des problématiques différentes de celles de l'Hexagone : "il y a des risques sismiques et cycloniques aux Antilles, et de foncier et de montée des eaux en Guyane", pointe-t-il.
Pour l'heure, les étudiants de ces territoires se forment en Métropole, et certains étudiants d'écoles franciliennes viennent en résidence quelques mois en Guyane afin de se former. "L'enjeu est de s'assurer que les élèves guyanais et antillais qui effectuent leurs études en France métropolitaine retournent dans ces territoires pour exercer, et ainsi, assurer un vivier d'architectes dans ces zones."