ECHANGES. Jean-Louis Missika, adjoint à la mairie de Paris, en appelle à une "révolution copernicienne" du mode de gouvernance de la métropole du Grand Paris. Un souhait qui fait réagir Pierre Veltz, grand prix de l'urbanisme 2017. Les deux spécialistes échangeaient leurs vues, le 29 janvier 2018, lors d'un débat organisé à Paris par la Fabrique de la cité.
"Avec le Grand Paris Express, on est en train de développer un programme de grands équipements qui se chiffre à des dizaines de milliards d'euros, mais qui sera obsolète au moment de sa livraison. Car une chose est sûre : le technologie de déplacement, en 2040, cela ne sera pas du chemin de fer et du métro enterré." C'est ce qu'a notamment affirmé Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l'urbanisme et de l'architecture, le 29 janvier 2018 lors d'une conférence organisée par le think tank La Fabrique de la cité. Il débattait avec Pierre Veltz, grand prix de l'urbanisme 2017. Les échanges ont notamment tourné autour de la question de la gouvernance de la métropole du Grand Paris, actuellement remise à plat par le Gouvernement, où les deux spécialistes ont fait part de leurs vues en partie divergentes.
Pour Jean-Louis Missika, le projet du Grand Paris Express, qui devrait être décalé dans le temps, symbolise l'échec du mode de gouvernance utilisé. "Il faut être capable de trouver des modes de gouvernance agiles", a-t-il argumenté. "Or, le mode de décision jacobin, français, n'est pas agile. On ne peut plus gouverner comme cela. Il a deux défauts : d'une part, il découpe le territoire au scalpel (première couronne, deuxième couronne...), et d'autre part il attribue des compétences par niveau de territoire." Autre grand chantier cité en contre exemple par Jean-Louis Missika, celui de Paris Rive gauche. "L'urbanisme de dalle qu'on a inventé pour ce projet a suscité des programmes qui sont d'un coût exorbitant et d'une durée extravagante. Paris Rive Gauche va durer une cinquantaine d'année. Est-ce raisonnable de monter de tels opérations, alors que par ailleurs la société et les besoins évoluent de plus en plus rapidement ?"
La métropole du Grand Paris sera-t-elle gérée par la région Île-de-France ?
Le mode de gouvernance employé aurait aussi le défaut, selon le conseiller d'Anne Hidalgo, de ne pas mettre au centre des préoccupations les sujets les plus importants. "Si la totalité du débat, en ce qui concerne la métropole du Grand Paris, tourne autour du Grand Paris Express, et pas du tout sur la modification majeure de la mobilité au XXIème siècle - voitures électriques, autonomes, routes connectées...-, c'est que le mode d'organisation administrative n'est pas satisfaisant. Si nous voulons tuer le Grand Paris, continuons comme cela." Et ce ne sont pas les rumeurs actuelles, laissant entendre que les compétences liées à la métropole pourraient être transférées à la région Île-de-France, qui le rassurent.
A l'encontre de cette logique qu'il juge dépassée, l'adjoint d'Anne Hidalgo a cité en exemple des projets mis en oeuvre par la mairie tels qu'Inventons la métropole du Grand Paris ou l'Arc de l'innovation. Des programmes basés sur des logiques partenariales, sans obligations, et permettant de réunir différents acteurs et différentes zones au sein de projets transfrontaliers. Car, comme l'ont rappelé les participants, le développement de la métropole aujourd'hui passe systématiquement par l'idée de franchir les frontières (aller au-delà du périphérique ou d'un grand axe routier, d'un faisceau de voies ferrés, d'un découpage administratif, etc.). "Tous les no man's land métropolitains se situent à des frontières", assure Jean-Louis Missika, qui souhaite que soient privilégiés les conférences entre les parties, sur le modèle des Cop liées à l'environnement, pour aboutir à des décisions.
"Le réseau laissé à lui-même, c'est la loi du plus fort"
Pour Pierre Veltz, qui partage certains des constats de Jean-Louis Missika, comme le fait que les métropoles s'organisent aujourd'hui en réseaux, cette vision des choses comporte toutefois une limite : elle favoriserait les inégalités. "Il y a de plus en plus de réseaux, c'est vrai. Mais il ne faut pas qu'il n'y ait que cela, car le réseau laissé à lui-même, c'est la loi du plus fort. On le voit parfaitement à l'échelle mondiale, dans le secteur du numérique par exemple. Le réseau laissé à lui-même entraîne une hyperpolarisation qui renforce les plus forts." Pour l'urbaniste, le mérite des modes de gouvernance classiques est celui de "recréer une certaine forme de redistribution". "Dans le réseau lui-même, les dominés n'ont pas droit à la parole, et les riches se fichent de ce que vivent les pauvres", assure également Pierre Veltz.
L'urbaniste avance enfin que le mode décisionnel consistant à ne s'appuyer que sur des transactions entre des acteurs ayant des intérêts communs tend à favoriser ceux qui disposent de plus de moyens. "Qui dit transaction entre les acteurs dit coûts de transaction. Ainsi, la volonté de coopération peut etre noyée dans l'augmentation de ces coûts de transaction."
Pour autant, Pierre Veltz estime lui aussi que le mode de gouvernance de la métropole doit évoluer. "Il faut trouver un équilibre entre la logique de réseau et le pouvoir politique", a-t-il affirmé. "Il est vrai, par exemple, que la coupure inscrite entre la première et la deuxième couronne est totalement absurde."