CRIMINALITÉ. L'organe de lutte contre le blanchiment et la corruption Tracfin publie son rapport annuel qui révèle une hausse des déclarations de soupçons émanant des notaires et de professionnels de l'immobilier. Mais ces deux métiers, qui sont les plus concernés par des questions de fraudes ou de blanchiment, n'ont pas encore pleinement conscience de leur rôle de lanceurs d'alertes.
Les déclarations de soupçons auprès de l'organisme de renseignement Tracfin du ministère de l'Economie et des Finances sont en augmentation en 2017. Le rapport d'activité, publié comme chaque année à la fin du mois de juillet de l'année suivante, révèle le rôle central de certaines professions situées en dehors du monde strictement bancaire et financier, et notamment celui des notaires et des agents immobiliers. Ces deux métiers, au cœur des transactions, signalent régulièrement des opérations douteuses et des versements indus.
Le notariat, par exemple, a effectué 1.400 "déclarations de soupçon" en 2017 (+34 %). Tracfin note : "Cet élan déclaratif doit être encouragé et poursuivi, les actes de ventes et les immobilisations enregistrés chaque année étant en constante augmentation". L'activité déclarative a été plus intense dans les régions les plus tendues, Île-de-France (30 % des cas) et Provence-Alpes-Côte d'Azur (15 %), devant le Grand Est (13 %). Dans les autres territoires métropolitains, les déclarations sont effectuées de façon plus inégale. Le rapport souligne : "L'attention des notaires se concentre quasi-exclusivement sur les opérations (…) d'immobilier résidentiel et, à la marge, [les] cessions de bail et cessions de parts sociales". Les professionnels ont signalé l'acquisition de biens par des personnes faisant par exemple l'objet de sanctions nationales ou internationales, ou ont décrit des situations ne permettant pas d'identifier formellement le bénéficiaire réel de la transaction (intervention d'un homme de paille ou d'une société écran). Essentiellement, ces problématiques ont eu un lien avec de l'évasion fiscale. Toutefois, Tracfin estime que la précision et la pertinence des déclarations pourrait être largement améliorée, les signalements étant souvent lacunaires, dénués d'analyse ou d'éléments financiers ou contextuels tangibles.
Les agents immobiliers pas encore agents de renseignement
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Du côté des professionnels de l'immobilier, pourtant très nombreux en France, le constat est encore plus décevant. Seules 178 déclarations ont été enregistrées en 2017, même si ce chiffre est en forte hausse par rapport à 2016 (+140 %). L'organisme de renseignement du ministère déplore un "volume des signalements [qui] demeure insuffisant" bien que la hausse du marché immobilier ait pu laisser espérer une plus grande activité déclarative. "Les récentes affaires médiatisées pour blanchiment aggravé de fraude fiscale rappellent la centralité du secteur immobilier dans la lutte contre le blanchiment", rappelle Tracfin. Evolution, l'an passé ce ne sont plus les seules filiales immobilières de groupes bancaires qui ont effectué des déclarations, mais des agences adossées à des réseaux, voire des indépendants, plus quelques syndics de copropriétés. Le rapport signale que 51 cas portaient sur des opérations d'un montant inférieur au demi-million d'euros, illustrant par-là que le risque relatif n'était pas réservé aux montants élevés. Une même quantité de dossiers portait en revanche sur des montants supérieur à 1 M€. Résultat : l'ensemble des professionnels de l'immobilier y sont confrontés, depuis la petite agence locale jusqu'aux spécialistes des biens de prestige. Régionalement, l'Île-de-France arrive largement en tête (56 % des cas) devant PACA (12 %), zone particulièrement exposée. Quant aux motifs de déclarations, ils portent régulièrement "sur l'incohérence entre le profil des acquéreurs et le montant des opérations". Le document de Tracfin a d'ailleurs dressé la liste les incohérences qui devront mettre la puce à l'oreille des professionnels (ci-dessous). Cela sera-t-il suffisant pour améliorer la lutte contre les fraudeurs ?
Pour un notaire, si les biens sont éloignés de l'étude ou s'il s'agit d'une opération de rapide achat-revente, sans que les acquéreurs n'y habitent. Le profil socio-économique d'un acquéreur, peu compatible avec le prix d'achat du bien, est également un indicateur pour les notaires ou les agents immobiliers. Pour les banques, les critères d'alertes portent sur les anomalies dans les dossiers de prêts et dans les remboursements grâce à des versements de sociétés tierces, sans lien connu avec le client. Du côté des sociétés, des irrégularités dans les comptes dont des versements conséquents et sans justificatif en provenance d'un notaire sont douteux, tout comme l'émission mensuelle de chèques aux montants identiques à des personnes physiques non salariées (qui s'en servent alors pour rembourser un emprunt).