CRISE. Le manque de personnel et de moyens financiers a poussé étudiants, enseignants et personnel administratif à retarder la rentrée du second semestre de l'École nationale supérieure d'architecture de Normandie (Ensan). Face à cette situation de crise, une professeure et une étudiante nous livrent leur témoignage.
Cela fait trois semaines que l'École nationale supérieure d'architecture de Normandie (Ensan) n'a pas dispensé de cours à ses étudiants. Trois semaines que les élèves, le corps enseignant et le personnel administratif portent des revendications auprès des politiques pour alerter sur une situation devenue préoccupante. La rentrée scolaire du second semestre, qui devait avoir lieu le 30 janvier 2023, a été reportée. Le blocage des enseignements, "mais pas de l'école", a été voté début février pour deux semaines reconductibles. La raison ? Les équipes et étudiants de l'Ensan estiment manquer cruellement de moyens financiers et humains. Un mouvement de contestation, rassemblant le personnel, des professeurs et des élèves, s'est ainsi formé, afin d'alerter l'État sur la situation "catastrophique de l'établissement qui n'est plus en mesure de remplir certaines de ses missions de formation et de recherche". Ils ont ainsi adressé deux lettres au ministère de la Culture pour demander de meilleures conditions de travail et d'étude, et pointer les nombreux dysfonctionnements dans l'établissement.
"Des emplois précaires, des professeurs sous-payés et des moyens financiers dérisoires"
Depuis 13 mois, l'école fonctionne sans responsable et se retrouve, régulièrement, en sous-effectif. Des agents administratifs qui partent en congé maternité ou en arrêt maladie ne sont pas remplacés, impliquant ainsi l'impossibilité d'assurer les inscriptions pédagogiques et l'affectation des salles d'enseignement. "Certains membres du personnel ont fait des burn-outs parce qu'ils occupaient plusieurs postes à la fois", raconte Marina Hardy, étudiante en troisième année de licence élue au conseil d'administration de l'école. "Indirectement, les élèves en pâtissent. Il arrive qu'une classe de 100 étudiants n'ait pas de salle disponible à la dernière minute. Nous avons atteint un point de rupture avec le report de la rentrée."
Dans les courriers adressés au ministère, que Batiactu a pu consulter, le mouvement appelle à augmenter, de "manière significative", les moyens affectés à l'école de Rouen, qui devrait connaître en 2023 un déficit budgétaire de 680.000 euros. Ils dénoncent également l'existence d'"emplois précaires, de professeurs sous-payés et des moyens financiers dérisoires". "Nos financements doivent être alignés sur ceux des établissements qui proposent des formations comparables et qui forment les personnes avec qui les architectes de demain seront tantôt en collaboration, tantôt en concurrence (écoles d'ingénieurs principalement) et ce dans un souci évident d'équité."
La sous-direction de l'enseignement et de la recherche en architecture du ministère de la Culture n'a pas tardé à réagir. Le 30 janvier 2023, elle a proposé l'embauche d'un demi-équivalent temps plein en CDD, "pour terminer l'année scolaire". L'administration a aussi déclaré qu'il y aurait "à terme, un rééquilibrage des dotations entre les Ensa". Une réponse jugée "loin d'être à la hauteur des enjeux" pour le personnel.
Objectif ? Faire connaître le mouvement à l'échelle locale et nationale
Vingt jours après notre premier article relatant la crise que traverse l'Ensan, le mouvement "de lutte" s'est structuré. Des actions ont été menées, dans et en dehors des murs de l'école. "Même s'il n'y a pas eu de cours, nous n'avons pas eu le temps de souffler", relate Marie Gaimard, enseignante en histoire de l'architecture à l'Ensan. Depuis fin janvier, plus de cinq assemblées générales ont eu lieu, réunissant jusqu'à 200 personnes. "Les étudiants, enseignants et personnel administratif étaient conviés à prendre part aux discussions. Notre volonté est de rassembler le plus de monde possible, de créer une communauté et de faire connaître l'initiative à l'échelle nationale mais aussi locale", continue l'enseignante.
Des cours ont été dispensés dans le centre-ville de Rouen, dont des leçons de croquis dans la rue fréquentée du gros-horloge, et le montage d'un mur en brique crue sur l'une des places de la commune. "Nous avons également posé des banderoles dans la ville, engagé des conversations avec les passants et, bien sûr, contacté les élus locaux. Plusieurs rendez-vous ont été pris avec la métropole, le conseil régional et des députés", indique la professeure. "Un travail avec les élus locaux est nécessaire, il en va de la réputation de l'école, de la représentation de l'architecture et de la culture sur le territoire, mais aussi de l'enseignement supérieur proposé dans la région."
Vers un mouvement national ?
Si une centaine d'étudiants s'engagent activement, d'autres se disent "inquiets" pour la validation de leur semestre. "Nous les avons rassurés en leur promettant qu'il n'y aurait pas de sanctions, notamment contre les boursiers, puisqu'une motion a été votée pour permettre la non-pénalisation pédagogique et administrative des semaines de blocage", assure Marina Hardy. "Beaucoup nous ont dit qu'ils nous soutenaient mais qu'ils souhaiteraient continuer d'aller en cours. Mais nous aussi, nous aimerions étudier. Il est important d'agir avant qu'il ne soit trop tard." La direction, de son côté, a adressé un mot aux représentants de la mobilisation, expliquant qu'elle n'empêchait pas la prise de parole et de revendication mais qu'elle encourageait les étudiants à reprendre le chemin de l'école.
En attendant, ceux qui mènent le rassemblement espèrent que le gouvernement se penchera sur leur sort. "Le ministère de la Culture a proposé de nous rencontrer le 24 mars 2023, il y a donc un peu d'espoir", annonce Marie Gaimard. Cette avancée n'empêche pas la tenue d'une prochaine assemblée générale le 27 février prochain.
"Cette crise dépasse celle de l'Ensan. C'est une situation nationale puisque nous appelons à élever le niveau de dotations des ressources humaines et financières dans les écoles les moins bien dotées en France", assure Marie Gaimard, qui aimerait "nationaliser le débat". Une pétition commune aux Ensa, lancée par des étudiants, a déjà récolté plus de 700 signatures. "Des soutiens venant de plusieurs écoles, où la situation n'est guère enviable non plus, nous sont parvenus, ce qui laisse envisager une mobilisation nationale imminente", conclut Marina Hardy.
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