CONJONCTURE. Si l'Administration a globalement été réactive pour répondre aux attentes et inquiétudes des très petites entreprises, les cabinets comptables, les banques et les assurances seraient en revanche nettement moins enclins à apporter leur soutien, si l'on en croit une enquête d'opinion du Syndicat des indépendants. Qui formule au passage des propositions à court et moyen terme.

Le confinement sanitaire et la crise économique liés à la pandémie de coronavirus frappent l'économie française de plein fouet, exposant de très nombreux secteurs à des ralentissements voire des arrêts d'activité : rien que dans le bâtiment, l'activité s'est effondrée de 75% au mois de mars. Une situation qui inquiète naturellement les entreprises, dont l'une des premières préoccupations est l'état de leur trésorerie. Si l'Administration a globalement été réactive pour répondre aux attentes des artisans et indépendants, les cabinets comptables, les banques et les assurances seraient en revanche nettement moins enclins à apporter leur soutien, si l'on en croit une enquête d'opinion réalisée du 2 au 6 avril derniers par le Syndicat des indépendants (SDI) auprès de 1.583 entreprises, comprenant de 0 à 19 salariés).

 

 

Sur ce panel, 54% des structures interrogées ont dû arrêter leur activité suite aux mesures de l'état d'urgence sanitaire, mais sur les 46% qui n'ont pas été dans l'obligation de fermer, la moitié ont quand même dû s'y résoudre. "Les professionnels du bâtiment n'attendent qu'une chose : c'est la possibilité de pouvoir reprendre le travail", indique plus précisément Jean-Guilhem Darré, délégué général du SDI, à Batiactu. "Mais ce qui les inquiète, c'est la protection de leurs salariés. Ils veulent savoir comment les rassurer dans le cadre d'une reprise. Les chantiers se reportent mais il va aussi peut-être falloir travailler un peu plus. Ce serait bien qu'on ait la possibilité d'élargir les horaires de travail, en accord avec les salariés." Le SDI qui précise d'ailleurs ne pas avoir eu de retours sur le guide de l'OPPBTP à ce stade parmi ses adhérents du bâtiment.

 


Doublement du plan d'urgence du Gouvernement

 

Ce 9 avril, les ministres de l'Economie et des Comptes publics, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, ont annoncé qu'un rectificatif budgétaire sera présenté en Conseil des ministres le 15 avril prochain : d'après Les Echos, cette révision table désormais sur une récession économique de -6%, un déficit public à 7,6% du Produit intérieur brut, et une dette qui pourrait atteindre les 112% du PIB à la fin de l'année.

 

En parallèle, le Gouvernement double le montant de son plan d'urgence pour soutenir le tissu économique, qui passe de 45 milliards d'euros à 100 milliards. Après plusieurs semaines de négociations compliquées, les pays-membres de l'Union européenne sont également arrivés à un accord : selon Bruno Le Maire, les ministres des Finances de la Zone euro se sont entendu sur une enveloppe titanesque de 500 milliards d'euros "disponibles immédiatement" pour soutenir les entreprises du Vieux Continent et financer certains dispositifs spécifiques comme le chômage partiel, ainsi que sur "un fonds de relance à venir".

 


Vers une annulation pure et simple des charges sociales et fiscales sur la durée du confinement ?

 

Dans les circonstances actuelles, le secteur craint une hémorragie du tissu économique : d'après le sondage, 33% des TPE programment leur fermeture définitive sous un mois, 44% à plus de deux mois et seuls 23% affirment pouvoir tenir plus de deux mois. Mais dans tous les cas, 20% des entreprises sollicitées prévoient d'effectuer des licenciements économiques au moment où l'économie repartira. Toujours selon l'enquête du SDI, 75% des entreprises sondées ayant un crédit en cours ont vu leur banque reporter les échéances de remboursements. Mais seulement 32% des TPE ont sollicité un crédit de trésorerie basé sur les prêts garantis par l'Etat (PGE) ; un chiffre qui monte à 43% pour les structures obligatoirement fermées. Et malgré tout, celles qui ont demandé un PGE ont été 41% à se le voir bel et bien accordé, 47% attendant une réponse de leur banque. "Le nerf de la guerre dans tout ça, ce seront les conditions d'accès aux PGE. La seule chose qui pourra sauver les entreprises, c'est le cash, la trésorerie", insiste Jean-Guilhem Darré. "Avec sans doute, pour celles qui sont le plus en difficulté, une annulation des charges sociales et fiscales sur la durée de l'état d'urgence sanitaire."

 

"Le prêt garanti par l'Etat va servir à payer les charges. Aucune banque n'accepterait de faire de l'emprunt pour payer les charges ; ça n'existe pas. On fait de l'emprunt pour faire de l'investissement."

 

La batterie de mesures mise en place par le Gouvernement pour soutenir les entreprises face à la crise économique est pourtant bien vue par 50% des entreprises, qui estiment que les pouvoirs publics ont bien pris en compte et réagi efficacement aux conséquences de la pandémie sur leur activité. 61% des TPE ont d'ailleurs demandé le report de leurs charges sociales, une des possibilités offertes par les autorités, et 73% jugent que les Urssaf ont été réactives à ce sujet. A contrario, seuls 38% des entreprises interrogées ont déclaré avoir demandé le report de leurs charges fiscales - le chiffre grimpe toutefois à 70% pour les sociétés qui ont été obligées de fermer. Malgré cela, 68% des entrepreneurs estiment que la Direction générale des finances publiques (DGFIP) a bien pris en charge cette problématique. Pour l'heure, les reports ont donc globalement bien marché, mais que va-t-il advenir par la suite ? "A un moment donné, il va falloir payer", prévient le délégué général du SDI.

 

"Admettons que le confinement dure jusqu'à fin avril, et le déconfinement se fera vraisemblablement par tranches : en gros, quand est-ce que l'entreprise sera dans une situation de générer suffisamment de cash pour payer tous ces retards ? On va en plus tomber sur les mois de juillet et d'août, qui sont généralement faibles en activité. Concrètement, on ne sera pas dans une situation de reprise avant septembre, et il faudra ensuite le temps de se reconstituer du cash."

 


Combien de TPE pourront résister ?

 

 

Fin 2019, le SDI a participé à une réunion de l'Observatoire du financement des entreprises, à laquelle la Fédération bancaire a également assisté. Celle-ci avait alors expliqué que 20% des TPE étaient financièrement fragiles et donc difficiles à financer. Une part qui représente environ 400.000 entreprises, ce qui risque, à hauteur de 3 salariés en moyenne par structure, d'exposer au chômage 1,2 million de personnes, sans oublier les entrepreneurs qui perdent leur outil de travail.

 

Pour limiter la casse, le SDI suggère de créer un guichet unique auprès de BPI France pour permettre à ces TPE d'obtenir un crédit directement auprès d'une institution, sur la base d'une attestation délivrée par un cabinet comptable. Car "les banques n'ont pas fait évoluer leurs critères de filtre avec la pandémie", déplore Jean-Guilhem Darré. "Actuellement, la Médiation du crédit reçoit chaque jour autant de dossiers qu'en un mois et demi de temps avant la crise."

 


Les Direccte suivent malgré des délais parfois longs, les cabinets comptables sont pointés du doigt

 

Concernant les autres dispositifs dont peuvent bénéficier les entreprises, celui du chômage partiel a été engagé par 86% des TPE sondées, les demandes ayant été immédiatement acceptées dans seulement 56% des cas par les Direccte (43% en attente), dont les services sont vraisemblablement submergés. "L'anxiété des chefs d'entreprises est d'autant plus grande qu'ils ont dû avancer sur leur trésorerie le paiement des salaires ainsi que pour leurs propres besoins financiers courants, sans savoir quel serait le résultat de leurs démarches, ni quand ils seront éventuellement remboursés", souligne l'enquête. "La situation peut parfois s'avérer catastrophique lorsque, en l'absence de trésorerie suffisante, la banque ne suit pas et bloque le paiement des salaires. A ce stade, les pouvoirs publics indiquent que seules une quarantaine de demandes ont fait l'objet d'un refus formel sur l'ensemble des demandes déposées."

 

Pour mieux s'y retrouver dans toutes ces démarches, les entreprises ont été 84% à demander le soutien de leur cabinet comptable. Un service qui a été facturé par ces derniers dans 30% des cas, 55% des TPE ne se prononçant pas pour le moment car ne sachant pas encore ce qu'il adviendra. "Au-delà des premières informations inexactes communiquées par certains cabinets comptables quant à la possibilité de reporter le paiement de la TVA sous forme de déclarations à zéro euro, nombre d'entre eux ont procédé à des facturations considérées comme abusives dans le cadre des demandes de chômage partiel", note le sondage. "Concrètement, les facturations constatées selon les témoignages à notre disposition varient de 200 € à 600 €. Pour un professionnel, une déclaration de chômage partiel prend environ 5 minutes (nom du salarié, numéro de SS, nombre d'heures chômées)."

 

Un coût évalué entre 50 et 80 milliards d'euros si les assurances devaient prendre en charge les pertes d'exploitation

 

Mais c'est surtout l'attitude des sociétés d'assurances qui est globalement dénoncée : le problème émane surtout d'un vide juridique, dans la mesure où une pandémie telle que celle du Covid-19 ne peut être considérée comme une catastrophe naturelle, et donc écarte de fait toute prise en charge par les assureurs des pertes d'exploitation. Dans le sondage du SDI, 51% des indépendants ont malgré tout fait une demande en ce sens à leur assurance, mais la réponse a été négative dans 100% des cas. "La perte d'exploitation n'est pas prise en charge parce que la question de la pandémie n'est pas incluse dans les conditions contractuelles. Théoriquement, la position des assureurs est correcte", note Jean-Guilhem Darré. "Autant dans les catastrophes naturelles, la zone sinistrée est circonscrite, autant dans les pandémies, c'est l'intégralité des zones qui est sinistrée. On est sur un coût qui est évalué entre 50 et 80 milliards d'euros si les assurances devaient prendre en charge les pertes d'exploitation. Ce n'est pas imaginable, les assureurs ne tiendraient pas le choc."

 

L'idée serait donc, dans l'immédiat, de re-flécher les économies engrangées par les sociétés d'assurances dans certains domaines pour abonder le fonds de solidarité, aujourd'hui doté d'1,7 milliard d'euros, incluant les 200 millions versés par les assureurs. Plus largement et à long terme, la création d'un fonds identique à celui des catastrophes naturelles devrait être envisagée d'après le SDI, avec un cadre juridique défini et des cotisations propres. Enfin, bien qu'elles n'ont été que 17% à demander un report de paiement d'une facture d'eau, de gaz ou d'électricité, les TPE ont tout de même reçu une réponse positive dans 57% des cas. Idem pour les loyers : 33% ont sollicité un décalage d'échéance auprès de leur bailleur, qui a répondu par l'affirmative dans 49% des cas, et entamé une négociation dans 40% d'autres cas.

 


Les propositions à court et moyen terme du SDI

 

Sur la base de ce constat, le SDI formule des propositions pour soutenir les TPE, aussi bien dans l'immédiat qu'au moment de la reprise économique.

 

A court terme :
- Une taxe exceptionnelle sur les assurances à hauteur minimum d'un milliard d'euros par mois sur la durée de l'état d'urgence sanitaire, soit un complément de 800 millions d'euros pour le mois de mars 2020.

 

- Organiser la prise en charge sans carence par les complémentaires santé des arrêts maladie liés à la garde d'enfant de moins de 16 ans par un indépendant.

 

- Interdire toute tarification des cabinets comptables au titre des diligences accomplies liées au Covid-19, notamment les demandes de chômage partiel et leur suivi.

 

- Neutraliser les effets des incidents de paiements sur la dégradation de la note bancaire des structures sur la période d'étude du PGE, incluant la période de recours à la Médiation du crédit.

 

- Annuler tous les frais bancaires sur la période d'étude du PGE, incluant la période de recours à la Médiation du crédit.

 

- Accorder aux TPE la possibilité d'imposer 6 jours de congés payés sur la période d'urgence sanitaire sans accord d'entreprise préalable.

 


A moyen terme :
- Annuler des charges sociales et fiscales sur la période d'urgence sanitaire pour les TPE, ou étaler le paiement des charges sociales et fiscales liées à la période d'urgence sanitaire, augmentée de 2 mois, sur une durée s'écoulant jusqu'au 31 décembre 2021.

 

- Elargir le déplafonnement de la durée hebdomadaire maximale de travail de 48 heures à 60 heures aux secteurs du commerce de manière générale.

 

- Déplafonner le seuil de déclenchement des heures supplémentaires à 42 heures.

 

- Désocialiser et défiscaliser les heures supplémentaires au-delà de 42 heures.

 

- Accorder la possibilité de payer un volume de congés payés en sus du salaire en considérant que le salarié concerné travaillera sur cette période.

 

- Organiser les modalités de remboursement des loyers non-perçus au titre du décret du 1er avril 2020.

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