Si la modélisation des données des infrastructures n'est pas encore aussi mature que dans le domaine du bâtiment, cette technologie émergente amène de nombreux avantages. L'agglomération du Havre l'a bien compris et utilise toutes les ressources de ces outils informatiques dans le cadre de la gestion de ses projets d'urbanisme. Reportage.
Le BIM (Building Information Modeling), ou "maquette numérique", est une exploitation intelligente de la représentation en trois dimensions d'un modèle associant tout une somme d'informations pour la conception et la gestion des constructions, tout au long de leur cycle de vie. Si son usage se développe largement dans le secteur du bâtiment, il demeure encore confidentiel dans celui des infrastructures. Pourtant, cette construction virtuelle permet, avant même d'entreprendre le premier coup de pioche, d'anticiper des problèmes. Un avantage non négligeable pour les collectivités dans la gestion de leurs projets d'urbanisme. "Le Havre est un précurseur dans le domaine", confie Anthony Guerout, ingénieur responsable de la 3D au service SIGU (Système d'information géographique urbain) du port normand. "Le gain d'argent est assez important, car le système permet d'éviter des erreurs liées à la gestion de projets par de multiples intervenants (ville, agglomération, conseil général…)". Des économies substantielles qui pourraient atteindre 25 % du coût total d'un projet, selon Autodesk, l'éditeur de logiciels et de services.
Le Havre, ville pionnière dans la 3D
"La démarche 3D a été lancée dès 2001 pour l'élaboration d'une cartographie avec rendu photoréaliste de la ville avec une précision de 40 cm. Nous avons débuté le travail avec Autodesk en 2009-2010, moment de l'intégration du concept de BIM dans les services. C'est une nouvelle étape qui permet de faire parler différents outils informatiques dans un monde unifié", explique l'ingénieur havrais. Le BIM fait le lien entre la CAO/DAO (conception/dessin assisté par ordinateur) et SIG (système d'information géographique), ce qui permet d'améliorer les échanges entre les services utilisateurs en interne. "D'où une conception plus intelligente avec possibilité d'interroger la base de données et de visualiser le tout en 3D", s'enthousiasme Anthony Guerout. En tout, un soixantaine de personnes utilisent ce BIM sur poste fixe, et plus de 3.000 en bénéficient en tout. Et pour tous les grands projets désormais, la ville du Havre demande des maquettes numériques aux équipes qui répondent aux concours, en leur fournissant les données nécessaires. Ce fut le cas pour le grand stade, le nouveau tramway, l'entrée de ville ou la future école de Marine marchande. "Nous exigeons des groupements à nous fournir des maquettes 3D et nous regardons, avec les services juridiques, comment imposer le BIM à l'avenir", précise l'ingénieur. "Pour le centre des congrès nous demandons même une maquette 4D, c'est-à-dire avec une visualisation de l'évolution dans le temps". Une exigence qui a une utilité dans la planification du chantier, la gestion des matériels, les exigences de sécurité ou la budgétisation de l'opération.
Un outil multifonction d'aide à la décision
Cette opération de numérisation de la ville, étendue à l'agglomération, couvre aujourd'hui 65 km² et 65.000 bâtiments. "Environ 45.000 nouveaux bâtiments de l'agglomération seront intégrés en 2013 pour un coût de 40.000 €. Le coût initial de la première maquette était de 60.000 € et le coût de fonctionnement de 100.000 € par an (hors coût du personnel)", déclare Anthony Guerout. "Mais 300 projets ont été réalisés avec l'aide de l'outil depuis 2001, aussi bien des projets architecturaux que des travaux de voirie". Car les utilisations sont aussi nombreuses qu'inattendues : problématiques d'ombres portées de bâtiments, calcul d'inter-visibilité entre constructions, gestion des flux de véhicules ou de personnes pendant des travaux sur la voie publique, estimation des surfaces de toitures disponibles pour l'implantation de panneaux solaires… "Pour les décideurs, la 3D n'est évidemment pas une finalité en soi", explique Patrick Morinat, le directeur général adjoint du service "Grands projets, Aménagement urbain et Prospective" de la ville du Havre. "C'est un outil technique qui permet de mesurer l'impact des projets, et qui aide donc à la décision pour la délivrance des permis. C'est également un outil de concertation et de communication qui présente aux habitants les projets d'aménagement et permet de dialoguer avec eux. Il existe ici une volonté politique de laisser les gens intervenir en leur donnant les moyens de le faire". D'où l'exigence d'un outil interactif et simple, pertinent dans la gestion de l'avenir de la cité. "L'outil informatique doit être performant et moderne, avec la marge d'erreur la plus faible possible pour un rendu objectif des projets et une orientation éclairée de toutes nos décisions", conclut le responsable havrais. Si la justesse technique semble désormais acquise, reste maintenant aux habitants de vraiment s'approprier ce concept de maquette virtuelle : pour l'heure, le service informatique enregistre déjà 10.000 connections par mois sur le site cartographique Internet.