BIG DATA. Dans un référé adressé au Premier ministre Edouard Philippe, la Cour des comptes s'est intéressée à la question de l'ouverture et de la valorisation de données issues de certaines institutions publiques, telles que le Cerema. Deux recommandations ont été formulées, et le chef du Gouvernement y a répondu.
A l'heure de l'intelligence artificielle et de l'ouverture des données, la Cour des comptes a examiné l'enjeu de la valorisation des données issues de trois opérateurs publics relevant du ministère de la Transition écologique et solidaire : l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), Météo France et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Ces établissements publics administratifs produisent et détiennent effectivement d'importantes quantités de données, une situation qui soulève des questions de principe quant aux modèles économique et de gouvernance à adopter. Les Sages de la rue Cambon ont conséquemment adressé, le 11 décembre 2018, un référé destiné au Premier ministre pour constater la chose et formuler des recommandations.
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Le Cerema enfreint une disposition réglementaire en vendant moins de 500.000 euros de données par an
En premier lieu, la Cour des comptes a relevé les problématiques d'application des dispositions législatives, constatant, "au sein de ces établissements, des difficultés récurrentes et multiples pour se conformer au droit : l'obligation de publication de répertoires des principales données détenues n'est pas respectée ; de nombreux logiciels et certaines de leurs bases de données, qui pourraient être qualifiés d'informations publiques, ne sont pas mis à disposition du public […]". Dans son référé, l'institution napoléonienne cible notamment le Cerema, qui "contrevient à l'article R. 324-4-1 du Code des relations entre le public et l'administration, en vendant des logiciels et des publications hors habilitation à percevoir des redevances". Quelques chiffres à l'appui : le Cerema pratiquait jusqu'à présent une vente de données qui lui rapportait moins de 500.000 € par an, mais cette activité devrait prendre fin étant donné qu'il n'est pas listé comme établissement habilité à percevoir des redevances pour la réutilisation de ses données.
Les Sages soulignent de fait la nécessité de préciser le périmètre des informations publiques mises à disposition gratuitement. Par extension, la question des modèles économiques de ces établissements publics se pose également. Selon la Cour, ces derniers sont "soumis à une forme d'injonction paradoxale : développer leurs ressources propres, notamment par la commercialisation des données, tout en procédant à leur diffusion gratuite. Ils sont, dans le même temps, confrontés à la diminution de la valeur marchande de certaines données, voire à l'apparition d'offres gratuites concurrentes." C'est pourquoi ces opérateurs sont invités à prendre en compte l'apparition et le développement de nouveaux modes de production de données, comme le fonctionnement collaboratif et inclusif, intégrant tous les acteurs de la chaîne.
En conclusion de son référé, la Cour des comptes formule donc deux recommandations à l'adresse d'Edouard Philippe : d'une part, "clarifier la doctrine et les conditions d'application des règles relatives à l'ouverture des données et des codes sources des logiciels, ainsi que celles afférant à la gestion des licences" ; d'autre part, "redéfinir les modèles économiques des opérateurs en tirant les conséquences de l'ouverture des données publiques et de l'attrition des ressources propres correspondantes".
La production de la donnée, un enjeu "souverain" auquel l'Etat lui-même ne recourt pas assez
En date du 4 mars 2019, la réponse de Matignon rejoint le constat de la Cour, le Premier ministre "[considérant] que la donnée doit désormais être vue comme une infrastructure essentielle et critique du fonctionnement de l'économie et de l'Etat. La maîtrise de la production de la donnée, de son utilisation et de sa valorisation relève d'enjeux que l'on peut qualifier de souverains." Sur cette base, le chef du Gouvernement a demandé à l'Inspection générale des Finances et à la Direction interministérielle du numérique et des systèmes d'information et de communication de l'Etat (Dinsic) de dresser un premier bilan de la mise en œuvre de l'ouverture des données et de ses conséquences, en proposant aussi des mesures d'accompagnement.
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D'après Matignon, l'Etat a en outre invité "chaque opérateur concerné, dans le respect du cadrage fixé par sa tutelle, à redéfinir dans les plus brefs délais, et au plus tard à l'été 2019, son modèle économique et les conditions de son équilibre budgétaire, d'analyser les risques et opportunités spécifiques liés à l'ouverture des données et des codes sources, d'identifier en conséquence de nouveaux positionnements et offres de services et d'évaluer les besoins d'investissement spécifiques pour une bonne et rapide transition". Ce qui veut donc dire qu'un établissement public comme le Cerema devra présenter au ministère de la Transition écologique un modèle économique viable, qui intègre les enjeux de l'open data, d'ici l'été prochain. La réponse de l'intéressé ne devrait donc plus tarder.
En dernier lieu, Matignon lancera une "mission inter-inspections" qui aura comme objectif "d'évaluer précisément l'impact de l'ouverture des codes sources en open data, et de clarifier, si cela est nécessaire, la doctrine sur les codes sources et les données intermédiaires". Et le Premier ministre de reconnaître que les services de l'Etat eux-mêmes n'ont pas suffisamment recours à l'open data. L'Administration est donc invitée à soutenir le programme de valorisation des données publiques, un geste qui sera conforté par la publication prochaine d'une circulaire.