FINANCES PUBLIQUES. Parmi les dossiers de son rapport public annuel publié en ce mois de mars 2021, la Cour des comptes en a consacré un au fonctionnement du Fonds de solidarité, l'une des mesures de soutien mises en place par le Gouvernement pour aider les entreprises durant la crise économique du Covid. Si le dispositif est salué, les Sages mettent toutefois en garde sur le risque de fraude.
Un bon point pour le Fonds de solidarité. Parmi les (nombreux) dossiers émaillant son rapport public annuel publié en ce mois de mars 2021, la Cour des comptes en consacre un au Fonds de solidarité, l'une des mesures de soutien mises en place par le Gouvernement dès mars 2020 pour aider les entreprises durant la crise économique du Covid. Un an jour pour jour après le premier confinement sanitaire de l'Hexagone, et alors qu'un nouveau tour de vis a été décidé pour une quinzaine de départements, les Sages de la rue Cambon dressent un bilan plutôt positif de ce dispositif d'aide, en estimant que les résultats sont au rendez-vous.
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Aux côtés de l'Activité partielle de longue durée et des Prêts garantis par l'État, le Fonds de solidarité a permis, dans un premier temps, de verser une aide aux micro-entrepreneurs, indépendants, professions libérales et très petites entreprises étant contraints par une fermeture administrative ou subissant une importante baisse de leur chiffre d'affaires à cause des restrictions sanitaires. Lors du déconfinement de l'été 2020, il a été recentré par Bercy sur les secteurs d'activité ayant le plus souffert de la crise, comme l'hôtellerie-restauration, avant d'être de nouveau ouvert à l'ensemble des entreprises au moment du second confinement de l'automne 2020. Après avoir notamment enquêté en août dernier sur des entreprises éligibles à ce Fonds et avoir effectué une comparaison avec ce qui se pratique dans d'autres pays, la Cour des comptes - qui précise que ses travaux ne permettent pas de juger de l'impact économique du dispositif - estime que celui-ci "a été mis en place avec une grande efficacité, sa conception simple permettant des paiements très rapides et des adaptations régulières au vu des difficultés rencontrées".
Une fraude limitée, pour l'instant
D'après le rapport, 1,7 million de TPE auraient ainsi eu recours au Fonds de solidarité entre mars et septembre 2020, "avec une fraude assez limitée". La mesure a donc rempli sa mission, à savoir verser rapidement des aides à des entreprises en difficulté. Mais sa pérennisation, couplé à l'élargissement du champ de ses bénéficiaires, induit des risques sur lesquels la rue Cambon tient à attirer l'attention. L'institution fondée par Napoléon Bonaparte revient notamment sur la fraude au Fonds de solidarité, récemment épinglée par Le Canard Enchaîné et sur laquelle Batiactu a eu l'occasion de revenir. Sur ce point, il semblerait que les escroqueries n'ont pas été très nombreuses sur la période courant de mars à septembre 2020 : concernant la fraude aux effectifs, son impact est estimé à "21 millions d'euros sur les 2 milliards d'euros distribués aux entreprises présentes dans la DSN (Déclaration sociale nominative) 2019, soit 1% des demandes".
Les chiffres seraient toutefois plus élevés s'agissant de la fraude due à une sous-déclaration de chiffre d'affaires ou de revenu : selon les Sages, 13.000 entreprises sur les 890.000 bénéficiaires du Fonds de solidarité auraient dépassé le plafond de chiffre d'affaires établi à 1 million d'euros, soit 1,4% du total, tandis que 33.000 auraient dépassé le plafond de revenu établi à 60.000 euros, soit 3,8% du total. "Il en résulterait une fraude potentielle estimée à 20 millions d'euros au titre du chiffre d'affaires, et 81 millions d'euros au titre du revenu", résume la Cour. Si on y ajoute les sous-déclarations présumées d'effectifs, de chiffres d'affaires et de bénéfices imposables, ainsi que les doubles comptes, la fraude globale au Fonds de solidarité pourrait osciller entre 20 et 100 millions d'euros sur la période de mars à septembre 2020, ce qui représente respectivement 0,3% à 1,6% des aides distribuées. "À ce montant s'ajoutent, sans qu'ils puissent être chiffrés à ce stade, les montants versés à tort aux entreprises ayant déclaré des baisses de chiffre d'affaires supérieures à leur baisse réelle, ce qui ne pourra être vérifié que lors des contrôles a posteriori", relève le rapport.
La crainte d'une explosion des faillites
Ce qui n'enlèverait rien au "succès" du Fonds de solidarité, "créé en deux semaines" et utilisant efficacement "des outils déjà existants, simples et efficaces", salue la Cour des comptes. Le verdict est donc positif pour ce dispositif qui "a permis de limiter les effets de la crise par la distribution rapide, au 31 décembre 2020, de 11,8 milliards d'euros d'aides à 1,8 million d'entreprises et d'entrepreneurs individuels et indépendants". Néanmoins, c'est surtout de mars à septembre 2020 que la mesure aurait été la plus pertinente, lorsqu'elle était un "outil général de soutien aux petites entreprises versant l'équivalent d'un revenu de survie à leurs dirigeants", et avant de se transformer en un "support de mesures plus durables visant à éviter la faillite d'entreprises de plus grande taille". Et c'est bien là que le Fonds de solidarité risque d'être dévoyé : ses cibles et ses objectifs étant parfois très différents les uns des autres, les aides pourraient se cumuler et dépasser ainsi le "préjudice subi", pour au final aggraver la fraude.
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"La suppression du Fonds de solidarité et des autres mesures d'urgence, nécessaire dès lors que l'apaisement de la crise sanitaire aura permis le retour à une activité normale, pourrait entraîner un ressaut important des défaillances d'entreprises." -Cour des comptes
Il n'est pas pour autant question de "désarmer" du jour au lendemain cette mesure de soutien, même si le Gouvernement fait de plus en plus comprendre que les aides Covid ne seront pas éternelles. La Cour des comptes recommande d'agir "avec prudence" lorsque sera venu le temps d'arrêter ce Fonds qui permet de maintenir en vie des entreprises "qui auraient disparu" s'il n'avait pas été là. Dans cette optique, la rue Cambon adresse plusieurs recommandations au ministère de l'Économie pour éviter que le débranchement de cette perfusion ne soit trop violente : déjà, "imputer la contribution des collectivités territoriales au Fonds de solidarité en dépenses de fonctionnement" ; ensuite, instituer "des outils permettant d'éviter que le cumul d'aides versées à une entreprise soit supérieur au préjudice subi" - autrement dit, effectuer les contrôles a posteriori qui s'imposent pour vérifier que les bénéficiaires ne trichent pas ; et enfin, "accompagner l'accroissement du montant des aides et l'élargissement du Fonds à des entreprises de taille plus importante par la mise en place d'une instruction plus exigeante des aides et d'un dispositif renforcé de prévention de la fraude et de sanctions". Ce qui revient au même que la deuxième préconisation, mais cette fois pour des contrôles a priori. Une façon de mettre une saine pression sur Bercy.