ARCHITECTURE. Plusieurs chefs d'agences d'architecture ont philosophé autour de leur manière d'imaginer des projets. Réunis au salon de la construction Batimat, ils ont pu esquisser pour concevoir autrement.

S'émanciper, imaginer de nouveaux cas de figure, contourner les règles… Plusieurs architectes étaient invités à y réfléchir lors d'une table ronde organisée au salon des professionnels de la construction Batimat, à Paris, le 1er octobre 2024. Pour sortir du paradigme de la commande ou du concours, "nous devons inventer des stratagèmes, en détournant les questions posées, en commençant le projet le plus tôt possible et en considérant les questions du programme comme secondaires", propose Tarik Oualalou, architecte et fondateur de l'agence Oualalou+Choi.

 

"Les questions budgétaires ne sont pas limitatives. Il faut partir d'un point de départ qui n'est pas donné. Nous construisons, en grande partie, les dispositifs de projets autour de ce que nous pensons qu'il est [bon de] faire." L'homme regrette que le périmètre de la maîtrise d'œuvre soit "en France, réduit avec la loi Mop (relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée)".

 

Questionner chaque paramètre

 

Anne Pezzoni, architecte associée à archi5, acquiesce. "Notre intervention [en tant qu'architecte] ne s'arrête pas où on nous demande d'être. Notre posture première est de questionner chacun des paramètres et d'aller au-delà de ce qu'on nous demande."

 

Son agence a conçu le projet Cité de la nature et des sciences à La Rochelle. Dans le quartier de Villeneuve-les-Salines, l'école Lavoisier et le centre de loisirs municipal ont été transformés en un ensemble éducatif nouveau. "La maîtrise d'ouvrage voulait un projet ambitieux et bas carbone, ouvert sur la nature. Ce n'était pas prévu dans le programme mais nous avons proposé d'aménager trois [salles de] classe dehors", raconte Anne Pezzoni.

 

Retrouver des communs


L'agence Plan Común cherche, elle, à créer des espaces partagés dans chacun de ses projets. "Nous augmentons l'espace vital des familles en concevant des espaces supplémentaires qui n'ont, peut-être pas, une valeur financière mais qui ont une valeur d'usage", explique Nissim Haguenauer, architecte et associé gérant du cabinet parisien.

 

À Pantin, il a imaginé La Maison commune, un projet de cinq logements et d'une serre partagée en réhabilitant une maison ouvrière. Environ 14.000 briques de réemploi ont été mises en œuvre dans cette opération. "Les briques viennent de Belgique car nous n'avons pas trouvé d'entreprise pouvant nous fournir en France. Certains nous ont dit que nous n'arriverons pas [à réaliser cette opération] mais elle a finalement permis d'ouvrir des brèches."

 

L'agence a vocation "à monter une entreprise de maîtrise d'ouvrage de manière à construire autrement. Nous pouvons tordre le cou aux modèles économiques classiques pour offrir plus d'espaces de vie de qualité aux habitants."

 

Tourner son regard

 

La construction non-standardisée passe également par la consultation des habitants. C'est ce que fait Compagnie Architecture. Le cabinet bordelais s'attache "à dialoguer avec la maîtrise d'ouvrage et les usagers", indique Jules Eymard, co-fondateur du cabinet. L'objectif est aussi de mieux expliquer les projets aux usagers. À Bruges, une grande maquette a été exposée durant le chantier dugroupe scolaire Frida Kahlo. "Nous expliquons ce qu'est l'architecture, les matériaux employés. C'est une manière d'amener de la culture et d'ouvrir le chantier."

 

Mais "peut-on standardiser le non-standard ?", s'interroge Tarik Oualalou. "Dès l'instant où nous ne sommes pas producteurs de normes, nous restons dans une activité marginale. Je me demande comment être producteur de règles", philosophe l'architecte qui propose de porter son regard vers d'autres territoires moins régis par les normes pour "apprendre de ce qui se passe ailleurs, où les cadres sont moins définis" afin d'"inverser notre rapport au monde".

 

 

 

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