TRAVAIL. Une association d'origine lyonnaise composée d'une centaine de membres œuvre à promouvoir le leadership féminin dans ces secteurs souvent très masculins. Si ses cofondatrices refusent l'étiquette de réseau "féministe", elles affirment vouloir promouvoir l'égalité femme-homme et permettre le développement des relations d'affaires.
Dans la région de Lyon et des Alpes, trois femmes ont créé un réseau exclusivement féminin de cheffes d'entreprises ou de professionnelles à haut niveau de responsabilité, dans les secteurs de la construction, de l'immobilier, de l'architecture, du paysagisme, de l'urbanisme et de l'aménagement. Baptisé le Cercle de Zaha, en hommage à l'architecte de renom Zaha Hadid, première femme lauréate du prix Pritzker d'architecture en 2004, l'association a été créée par Séverine de Fontgalland, Nora Tellis et Florence Rivaud-Moulin. Ces dernières réunissent 140 membres au sein de leur réseau qui offre aux femmes un espace de partage pour mieux travailler ensemble. "Notre ADN, c'est la bienveillance et la solidarité", assure à Batiactu Séverine de Fontgalland, co-fondatrice et gérante de Matière 2 Com. "Lors d'une soirée organisée par un bureau d'études, Florence, Nora et moi avons dressé le constat que les femmes étaient encore minoritaires dans nos secteurs." C'est de cette soirée que naît l'idée de monter un réseau de femmes. "Nous voulions les réunir autour de chantiers emblématiques et innovants, et mettre du sens dans ces rencontres, en créant un cercle convivial et de partage."
Se positionner comme leader
Depuis 2013, cette association cherche à promouvoir le talent des femmes dans leur secteur, à déclencher une réflexion autour du genre dans les projets d'architecture et d'aménagement, et à promouvoir une égalité femme-homme dans les pratiques professionnelles. Chaque année, quatre visites de grands chantiers sont présentées aux membres par des architectes, des maîtres d'ouvrage, des constructeurs et des bureaux d'étude. Des journées découvertes de villes sont également organisées, comme Marseille et Clermont-Ferrand, à travers trois ou quatre chantiers phares. Le réseau propose également des mini formations animées par des spécialistes, notamment sur les nouveaux labels et réglementations, sur la communication, sur le management ou les réseaux sociaux. "Nous accompagnons aussi les femmes à prendre le lead, à être confiante, à s'imposer et à savoir mener des réunions", ajoute Séverine de Fontgalland. De plus, une sous-commission de huit adhérentes intervient dans des écoles des secteurs concernés pour promouvoir les métiers de la construction, de l'architecture et du paysage.
Le dernier mardi de chaque mois, c'est le jour de la sous-commission "Tente rouge". Des adhérentes se réunissent pour discuter, en intimité, d'un problème d'ordre professionnel. "Les membres aident celle qui rencontre une difficulté à trouver des solutions. Cela peut, par exemple, être une femme qui rentre de congé maternité et qui n'arrive pas à retrouver sa place au sein de son entreprise. C'est un moment de soutien et la réunion reste confidentielle. Même les présidentes de l'association ne sont pas au courant de ce qui se dit", détaille Séverine de Fontgalland.
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Un concours d'architecture interrogeant la place du genre
Le Cercle de Zaha est également à l'origine du concours international d'idées d'architecture "La ville ensemble, toutes et tous". Ce dernier invite les étudiants et jeunes diplômés du monde entier à intégrer le sujet du genre dans la conception d'un espace public. "En se documentant sur des diagnostics menés par des géographes, des sociologues et des politologues, nous nous sommes rendues compte que l'égalité femme-homme dans la cité en est encore au stade d'étude", relate Florence Rivaud-Moulin, cofondatrice et présidente d'Urban Flow, conseil en stratégie et en développement d'affaires. "Il est prouvé que les hommes habitent une place, et que les femmes la traversent. Ils ne se déplacent pas de la même façon, n'utilisent pas les mêmes lieux. À l'adolescence, beaucoup de filles abandonnent leurs activités sportives et artistiques car leurs parents ne sont pas rassurés de les savoir marcher seule en ville."
Ainsi, "La ville ensemble" vise à promouvoir d'autres conceptions et constructions des espaces publics. L'usage de l'espace public fait souvent écho, et ce depuis des siècles, à des normes de genre. Une conception que le concours incite à dépasser. "A travers les diagnostics des géographes et notre vécu, il nous semblait évident de pousser les jeunes à réfléchir à l'égalité dans l'espace public, à travers l'éclairage, le mobilier urbain ou encore les toilettes publiques." Pour la seconde édition du concours, tenue en 2022, une centaine d'équipes, originaires de France, du Québec ou encore de Côte d'Ivoire, se sont portées candidates. "Personne ne fait remarquer aux étudiants que seulement 6% des rues portent un nom de femme", s'indigne la co-fondatrice, qui regrette que le prisme du genre ne soit pas enseigné dans les écoles de paysagisme, d'architecture et d'urbanisme.
Encore du chemin à parcourir
La création du Cercle de Zaha a déclenché quelques railleries, voire des commentaires sexistes. Certains professionnels les ont surnommées "le Cercle de Zara", comme la marque de vêtements espagnole, ou encore "le Cercle de Zahia", en référence à l'ex escort-girl Zahia Dehar, qui proposait ses services à des footballeurs. "C'est grave, cela montre que la bataille pour l'égalité n'est pas gagnée", s'agace Florence Rivaud-Moulin. Séverine de Fontgalland veut plutôt positiver, en affirmant que la situation a évolué. "Depuis quatre ans, nous recevons de nombreux encouragements suite au développement de l'association. Même des hommes affirment que ce que nous faisons est génial pour nos professions."
La cofondatrice se félicite de voir ces dix dernières années de plus en plus de femmes intégrer ces secteurs. "Dans notre cercle, nous accueillons des femmes de tout âge. Certaines étaient salariées et ont osé monter leur boîte car elles ont senti que c'était possible", témoigne-t-elle. Le Cercle de Zaha permet en effet aux membres de partager leurs compétences et de constituer un réseau dans des métiers originellement à tendance masculine. Pour autant, certaines femmes continuent de freiner leur propre réussite. "Elles sont humbles, restent en retrait et n'arrivent pas à apprécier le fait qu'elles aient les compétences. Nos formations les accompagnent pour qu'elles se sentent légitimes et qu'elles osent, par exemple, postuler à des postes qui leur correspondent."
Les co-fondatrices refusent de qualifier leur réseau de "féministe". "Nous ne sommes pas là pour faire des revendications dans la rue mais pour offrir des outils, une formation et faciliter les relations, qui créeront in fine un réseau de confiance dans les projets", argumente Séverine de Fontgalland. "Nous ne sommes pas contre les hommes, nous voulons la parité." Selon elle, il est "trop tard" pour changer la mentalité de certains. Elle préfère se tourner vers la jeunesse pour promouvoir l'égalité femme-homme. Même son de cloche pour Florence Rivaud-Moulin. Elle considère que la société gagnera en égalité si les jeunes générations intègrent cette notion. "Les femmes et les hommes doivent repenser la ville, c'est une façon de gagner le respect et de se sentir davantage en sécurité. L'idée n'est donc pas d'être en opposition avec les hommes mais de les inclure dans une réflexion sur les nouveaux codes à mettre en place."
Aujourd'hui, le réseau s'élargit pour conquérir de nouveaux horizons, avec pour projet de fonder de nouveaux cercles en Paca, en Auvergne et en Bourgogne. "Nous voulons également étoffer le réseau des Alpes, à Chambéry, Grenoble et Annecy, pour qu'une pluralité des métiers soit représentée", continue Séverine de Fontgalland. À plus long terme, le Cercle de Zaha réfléchit à s'installer à Paris, Marseille et Bordeaux.